La récente sortie de Steel Division (Eugen Systems, édité par Paradox), et l’annonce du prochain Call of Duty, qui revient à sa période historique de base, risque de relancer la mode de la Seconde Guerre mondiale dans les jeux. Souvenez-vous du début des années 2000, où le moindre shooter était une opportunité de tirer sur des nazis plus ou moins bien modélisés. La question est : peut-on vraiment jouer avec la Seconde Guerre ? La réponse est oui, on peut jouer avec tout. Encore faut-il le faire avec plus ou moins de subtilité. Fin, merci d’avoir lu.
Plus sérieusement on va creuser le sujet en évoquant trois jeux récents qui ont (ou vont) aborder le sujet de manière différente.
Heart of Iron et faire gagner les Nazis
L’année dernière Paradox a sorti le dernier opus de sa série de Wargame/Grande Stratégie sur la Seconde Guerre. Heart of Iron IV est un bon jeu, même si à la sortie il souffrait de deux trois problèmes classiques chez le développeur (dont une IA à la ramasse incapable de réagir correctement). Évidemment l’intérêt principal de jouer à ce genre de jeu, et particulièrement Heart of Iron, c’est de modifier l’histoire, et de tester ce qui n’a pas marché pour le camp des perdants (car l’Histoire est écrite par les vainqueurs). Mais quand il s’agit de faire gagner l’Axe, il reste cette drôle de sensation, qui, une fois la partie finie, te fait contempler la carte colorée aux couleurs de l’Allemagne nazie avec un air de satisfaction, mais aussi la pensée de « qu’est-ce que j’ai fais, j’ai détruit le monde, mon dieu ».
Paradox sont rarement timides quand il s’agit d’aborder les sujets sensibles dans leurs jeux historiques, même s’ils évitent au maximum de donner dans la controverse (parfois ils n’ont pas le choix, leurs jeux étant par exemple interdits en Chine pour cause de Tibet libre). Ainsi dans Crusader King on a bien les persécutions religieuses, les Croisades et les Jihads et dans Europa Universalis les guerres de religions, et autres exterminations de natifs américains (même si ce n’est pas vraiment une action que peut faire le joueur, plus un résultat de coloniser l’Amérique). Europa Universalis a d’ailleurs été accusé d’un certain eurocentrisme (voir ce poste des forums officiels, où l’on découvre que les fans de Paradox ne râlent pas comme tous les joueurs), les pays d’Europe étant particulièrement puissants, et ayant tendance à rouler sur les nations non-européennes. C’est vrai, mais c’est aussi une conséquence de l’Histoire elle-même, l’Europe du 15e Siècle ayant, hélas, fait exactement la même chose. Il n’empêche que sur les derniers patchs et DLC le studio a essayé de changer la donne, en offrant plus de variété aux civilisations non-européennes.
On pourrait donc s’attendre à ce que Heart of Iron, que ce soient le 4 ou ses autres épisodes, plonge dans les côtés les plus sombres de la Seconde Guerre mondiale. Sans aller jusqu’à demander au joueur de lancer les atrocités commises par le régime nazi ou stalinien, mais au moins évoquer, via des events ou un quelque chose. Mais avec une question aussi sensible Paradox a fait le choix de la sécurité. Peut-on leur en blâmer ? Non. Néanmoins l’absence des éléments les plus affreux de ce conflit dans un jeu qui a l’ambition de le reproduire le plus précisément possible, change la perception que l’on a de cette guerre. Lorsque l’on joue les Alliés il s’agit juste de gagner face à l’IA, et pas d’empêcher qu’un régime totalitaire emporte le monde, et quand on incarne l’Axe le jeu ne change rien sur le sentiment que l’on a de notre faction. La sensation étrange que je décrivais au début ne vient que de ma propre connaissance qui influence la perception de la partie que je viens de gagner avec l’Allemagne. C’est un exemple typique de la particularité de traiter la seconde guerre, encore plus dans un jeu qui te propose de contrôler le moindre détail d’un pays impliqué. Faire gagner les nazis ? Normal si tu désires du défis, mais tout de même bizarre en y réfléchissant. [
Call of Duty, « la guerre c’est caca »
Malgré la réputation de jeu bas du front que traîne Call of Duty, la série a étonnement un message politique. Volontaire ou non, les épisodes « modernes » de la série transmettent un message très pro-américain, interventionniste et globalement très George W. Bush friendly. Il est probable que ce ton America Fuck Yeah soit l’héritage de l’histoire de la série. En effet s’il est contestable de galvaniser les USA de nos jours, concernant des conflits modernes, il y a un conflit où jouer des américains héroïques passe crème : la 2nde Guerre.
Forcément les épisodes se déroulant durant le second conflit mondial sont moins décriés. Ils manquent évidemment de subtilité, on ne va pas évoquer l’enrôlement de jeunes gens dans l’armée nazie, il ne faudrait pas donner des sentiments au joueur. On est là pour tuer du nazi, pas pour les apprécier. De la même manière, les jeux Call of Duty qui se déroulent durant la Seconde Guerre évitent également soigneusement toute allusion à l’Holocauste . Bien sûr les CoD qui se déroulaient durant la Guerre sont sortis au début des années 2000, à une période où le jeu vidéo était encore mal vu, et se cherchait encore. Il est probable que si le sujet n’était pas abordé, et encore moins montré, c’est avant tout une question d’autocensure, afin d’éviter scandales et levée de boucliers.
Mais maintenant nous sommes en 2017. Spec Ops : The Line est passé par là, avec son histoire sombre, traitant la guerre sérieusement. Nos deux sagas militaires préférées se sont bien gardées de faire de même, même si Battlefield 1 a essayé quelque chose avec sa campagne solo, notamment le segment Storm of Steel et sa simulation de « meurs inutilement en chaîne, c’est ça la guerre ». Cela devrait changer avec le Call of Duty annuel. Sledgehammer Games a ainsi confirmé que la campagne solo évoquerait de front la question de l’Holocauste. En particulier via un soldat de votre escouade, juif, qui au sein même de son équipe est confronté à l’antisémitisme. Ils cherchent notamment à s’inspirer de Band of Brothers et l’épisode Why We Fight, où les personnages arrivent dans un camp de concentration et font directement face à l’horreur. Reste à voir si ce parti pris, audacieux, ne sera pas désamorcé par la dissonance narrative typique de Call of Duty et des jeux d’action (mais si, celle qui vous dit : « la guerre c’est mal » mais vous divertit avec la même guerre).
Wolfenstein, comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à shooter des nazis
Wolfenstein c’est le grand père de tout le genre FPS. Forcément c’est encore moins politique que CoD, et les nazis ne sont là que pour donner des cibles au joueur dont la seule et unique motivation est de taper des trucs. En y rajoutant un mecha-Hitler on comprend que le jeu ne cherche aucune cohérence. C’est valable pour toutes les itérations de la franchise, à une exception près.
Bethesda s’est fait une spécialité de ressusciter, avec un certain brio, les franchises cultes du FPS. En 2014 Wolfenstein The New Order débarque sur nos écrans, avec la promesse de plus de massacre de nazis, et un contexte original (pour la licence) de futur uchronique où les nazis ont gagné la guerre (donc : après ma partie de Heart of Iron IV). Et en effet le jeu était brutal, jouissif et tout ce que l’on attendait d’un Wolfenstein. Mais une surprise se cachait dans ce titre idiot en surface : la séquence du camp de travail, où vous devez libérer un scientifique juif. Et là, soudain, le jeu prend un tout autre ton : exécution sommaire, misère, violence, faim, les détails des camps de concentration ne vous sont pas épargnés, allant jusqu’à vous placer, en première personne, dans un four crématoire. La séquence est parfaitement exécutée, mais semble néanmoins malvenue.
C’est un symptôme général du jeu, et de la plupart des jeux pour être honnête. Dans The New Order Blazkowicz est traité comme un héros sombre, ravagé par ses souvenirs, dévoré par la culpabilité. La séquence du camp n’est qu’une horreur parmi d’autres que le soldat Blazkowicz doit affronter. Mais voilà : elle est en contradiction complète avec le gameplay. Lui est une ode à l’explosion, à la violence, et à la destruction de nazis, grands et petits. Et nous plongeons en plein dans la dissonance narrative typique du genre. On vous demande de prendre du recul sur les atrocités de la guerre mais d’un autre côté, vous en commettez. Même Spec Ops, reconnu pour sa subtilité, souffre de ce syndrome.
En conclusion : bien sûr que la Seconde Guerre doit être abordée par le jeu vidéo. Aucun sujet n’est trop sensible pour justifier une autocensure. Mais encore faut-il savoir le faire avec subtilité. On a abordé ici des exemples précis, mais plein d’autres jeux peuvent choisir d’autres manières d’aborder un sujet si difficile, même si la plupart prennent le choix facile de rester consensuels. On ne peut que saluer la décision de Sledgehammer Games d’évoquer la Shoah dans le prochain Call of Duty, en espérant que ce soit fait avec le respect et la finesse qu’exige le sujet. En attendant je retourne lamentablement louper le débarquement dans Steel Division.
Tritri
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