Le 6 décembre 2019, je publiais ma critique de Still There, un excellent jeu mêlant résolution d’énigmes pas toujours simples et propos autour du deuil. Celui-ci n’étant pas fait par des développeurs français, j’ai été très agréablement surpris de la qualité d’écriture pour un petit jeu indé. Via les crédits, j’ai pu trouver le nom du traducteur français qui a réalisé ce travail (aux côtés de sa femme). Cela m’a permis de découvrir son CV et de constater l’envergure de sa carrière. Une présence importante, parfois centrale, au sein d’oeuvres vidéoludiques majeures. Curieux, j’ai finalement eu envie d’en savoir plus sur lui et, par extension, sur la traduction de jeux vidéo. Après un entretien de près d’une heure, j’ai découvert non seulement quelqu’un de passionnant et d’extrêmement sympathique, mais aussi un métier intéressant, nécessaire, autant que contraignant et souvent précaire.
Entretien réalisé le 21 juillet 2020
Pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Eric Holweck, cela fait près de 25 ans que je travaille dans le milieu de la traduction, j’ai commencé en 1995 très exactement. J’ai débuté avec la traduction de jeux de rôle papier puis quelques romans, et finalement j’ai découvert la traduction de jeux vidéo un peu par hasard en 1999. Ça m’a tellement plu que j’ai fini par migrer totalement vers ce secteur.
Quelles sont les différences fondamentales entre la traduction littéraire et celle de jeux vidéo, s’il y en a ?
C’est effectivement plutôt différent. À l’origine, en commençant le métier de traducteur, je visais le domaine littéraire. J’ai donc commencé par le JDR papier, le temps de faire mes premières armes et d’obtenir des contacts. Je suis ensuite passé sur des romans et des recueils de nouvelles, une quinzaine en quelques années. Et comme je le disais, je suis arrivé dans le jeu vidéo finalement par le plus grand des hasards.
Un autre traducteur que je connaissais m’a demandé de le remplacer dans l’urgence pour la fin de la traduction du jeu sur lequel il travaillait à l’époque, Planescape : Torment.
J’ai ensuite enchaîné la traduction d’autres jeux avec le même client et c’est comme ça que je me suis aperçu que ça me plaisait plus que la traduction littéraire. Je ne sais pas vraiment pourquoi précisément. Peut-être au niveau du contact avec le client, avec les autres traducteurs impliqués, ou peut-être la plus grande variété dans le travail de traduction lui-même.
Je pense que c’est là d’ailleurs qu’il y a une différence majeure. Contrairement à un roman où le style est finalement toujours le même pendant un long processus de traduction, dans le jeu vidéo on a des délais courts et on change donc vite de projets. On peut ainsi passer d’un projet d’heroic fantasy dans un style proche de Tolkien à un jeu de sport et puis à de la SF. Ce sont justement ces changements de ton, de vocabulaire, qui me plaisent.
Vous traduisez de l’anglais au français. Avez-vous suivi un parcours spécifique ?
À ma connaissance, il existe trois écoles en France : l’ISIT (institut supérieur d’interprétariat et de traduction), l’ESIT (école supérieure d’interprétariat et de traduction) et l’Institut Britannique, que j’ai suivi, qui est normalement en Angleterre mais qui a une antenne en France, à Paris.
Quand j’ai commencé, on me regardait avec des gros yeux parce que dans le jeu vidéo, à l’époque, les traducteurs étaient avant tout des joueurs. Mais depuis, ça s’est franchement professionnalisé car la plupart sont traducteurs avant d’être joueurs, ou ont, en tout cas, une formation dans la traduction.
Est-ce que vous avez une définition personnelle du métier ? Y-a-t’il une voie qui peut pousser à aller vers le métier de traducteur de jeux vidéo ?
Il faut forcément bien comprendre l’anglais et bien écrire le français. S’intéresser aux jeux peut être bien, ou avoir un côté un peu “touche à tout”. Mais ce n’est pas une règle, des traducteurs préfèrent se spécialiser dans des domaines précis, style jeux de sports ou jeux de tirs. Ça pourra être parce qu’ils sont plus à l’aise avec le vocabulaire et qu’ils ont une meilleure connaissance des termes utilisés, ou parce que justement les autres thèmes ne leur conviennent pas. Je trouve ça un peu dommage de se restreindre mais après tout chacun suit sa voie.
Donc je ne pense pas qu’il y ait une voie précise à suivre. Mais les études de traduction, c’est pas idiot, ça apporte quand même de bonnes bases. Certains jeunes traducteurs arrivent avec un très bon niveau que d’autres n’arriveront pas à atteindre. Même si, la traduction reste de toute façon un exercice d’expérience et c’est en faisant qu’on s’améliore.
Vous avez une journée-type de travail ?
Hé bien, on se lève très tôt et on se couche très tard ! (rires). Non en vérité je ne sais pas s’il y a vraiment une journée de référence. C’est aussi parce que les projets sont très différents. Au-delà du style, ça varie énormément selon que la traduction porte sur de l’interface, où il faudra utiliser un vocabulaire très précis et se contraindre dans la traduction afin de bien adapter l’écriture aux boîtes de texte. Là où, pour des dialogues ou de la description, on se rapproche davantage d’un format d’écriture littéraire et une créativité plus libérée.
Une journée de travail va être aussi énormément dépendante du format même de la traduction vidéoludique.
Le développement de jeux vidéo se fait dans des timings très resserrés de quelques semaines, ce qui n’aide pas à décrire une journée typique de travail. En gros, on a rarement le temps dont on voudrait disposer pour finir une traduction. Là où dans le domaine littéraire, les délais sont plus longs, parfois d’un an, et potentiellement extensibles d’une ou deux années.
Vous avez le statut de freelance depuis le début de votre carrière. Avez-vous des retours de traducteurs qui ont choisi le salariat ? Je pense notamment aux gros studios, qui possèdent leur propre équipe de traduction.
Tout à fait, j’en connais qui sont encore salariés. J’en connais d’autres aussi qui, après des années de salariat, ont tenté l’aventure en freelance, après avoir obtenu expérience et carnet de contacts. Ça leur a permis d’avoir une base assez solide pour leur garantir une masse de travail régulière. Car c’est finalement là le plus gros risque en démarrant en freelance. En étant salarié, il y a évidemment la sécurité. Cela dit, je ne connais pas les revenus des salariés mais je pense qu’on gagne sensiblement moins qu’en étant en freelance.
J’imagine que grâce à votre expérience et votre implication dans de nombreux projets, vous n’avez plus trop de problème du point de vue de la masse de travail et de la reconnaissance ?
… Ca serait bien ! (rires). C’est vrai dans une certaine mesure. Je connais des traducteurs qui ont des revenus moindres que les miens, mais les tarifs ont quand même fortement chuté depuis mon arrivée dans le milieu, dans les années 1990, 2000. Les tarifs étaient bien plus élevés. Depuis, la concurrence a été de plus en plus forte, notamment avec des boîtes de localisation qui se sont ouvertes dans plein de pays. Les tarifs ont donc été tirés à la baisse.
En plus de ça, il y a eu l’arrivée des TAO, les outils de traduction assistée, qui sont très utiles pour les gros projets car ça permet de garder en mémoire les traductions effectuées. C’est très intéressant pour retrouver comment un terme a été traduit ou, quand plusieurs traducteurs travaillent sur le même projet, de suivre ce qui a été fait, assurant une cohérence dans l’avancement du projet.
Après, il y a un effet pervers à ces logiciels : ils font de la reconnaissance de cellules. Donc lorsqu’ils trouvent des correspondances ou des correspondances partielles, la plupart des clients appliquent un tarif dégressif. Par exemple, si le logiciel va traduire 90% d’une ligne via des correspondances de mots, la rémunération du traducteur va chuter. Et à côté de ces baisses, il y a eu en plus de nouvelles taxes, donc…
Au final, pour avoir fait le calcul, par rapport à quand j’ai commencé, à travail égal, on est payés 40% de ce que je touchais à l’époque.
Pour beaucoup, c’est donc un travail plutôt précaire. Je connais d’ailleurs des traducteurs dont le travail est même parfois devenu juste de la relecture, car la traduction avait été faite automatiquement. C’est vraiment dommage car ça annonce un peu la mort du métier à plus ou moins long terme.
On connait les conditions de travail pas toujours simples des compositeurs de musiques de jeux, qui peuvent se retrouver avec des délais resserrés et parfois aucune visibilité sur le contexte de l’action. Est-ce quelque chose qui se retrouve dans la traduction de jeux vidéo ? Avec, par exemple, juste des lignes de textes à traduire sans contexte ?
C’est effectivement le cas la plupart du temps, on a juste des morceaux : on peut recevoir un bout de jeu avec quelques fichiers textes et quelques milliers de mots, et la suite n’arrivera que quelques mois après avec du texte qui se trouve avant dans l’intrigue. Ce qui oblige à courir derrière le client pour préciser qu’il faut des modifications sur le texte précédent. Ce problème de contexte s’est un peu amélioré, notamment pour les jeux sur Steam. Quand on traduit sur Steam, c’est beaucoup plus facile pour le client de laisser un accès à la bêta, permettant au moins de voir à quoi ressemble le jeu.
Il y a un souci d’organisation qui explique notamment des traductions parfois à côté de la plaque ou surprenantes, parce qu’effectivement les traducteurs n’ont aucun contexte et doivent se débrouiller uniquement via le texte. C’est d’autant plus un problème avec des clients qui ne répondent pas aux questions et qui obligent à s’adapter du mieux possible.
Avez-vous la sensation que les gens ont pris conscience de l’importance d’une bonne traduction ?
Honnêtement… je ne sais pas (rires). C’est difficile de connaître l’impact d’une bonne traduction sur les ventes d’un jeu. Mais quand on est du milieu, le fait d’avoir une bonne traduction dans un jeu paraît vitale. Au niveau des clients, certains le font clairement par obligation, parce que ça ne leur paraît pas du tout important. Pour d’autres, une bonne localisation est essentielle, cela a été pensé en amont et le dialogue se fait facilement. Par exemple, pour ce qui est de la traduction de l’anglais vers le français, on pourra leur poser des questions sur le genre et le choix des articles. Il est parfois même possible de leur faire envisager des changements au niveau du développement, ce qu’en tant que traducteurs, on ne peut pas directement gérer.
Il y a quelques années, on recevait les fichiers et il fallait se débrouiller, rendre un peu comme ça sans poser trop de questions. Désormais, il y a des développeurs qui s’impliquent pour avoir une bonne traduction.
C’est aussi peut-être grâce aux réseaux sociaux, car ils se retrouvent davantage en prise avec leurs fans et les gens qui jouent à leur jeu. C’est une manière d’avoir des retours qu’ils n’avaient peut-être pas avant. On a eu des échos de clients qui sont venus nous voir car ils avaient eu des mauvais retours avec d’autres traducteurs suite à des traductions ratées, et ils voulaient de meilleures garanties avant de commencer un projet avec nous. Ils se sont rendus compte que ce n’était pas une mauvaise idée de s’impliquer davantage sur la localisation plutôt que de simplement donner des fichiers et de dire “allez, débrouillez-vous !” (rires)
Y-a-t’il des changements que vous aimeriez voir appliqués à ces conditions de travail, y compris au niveau législatif ?
Législatif, je ne pourrais pas vous dire. Là, on est dans une période de transition. J’ai toujours été à l’AGESSA, la caisse des auteurs, mais depuis peu, tous les traducteurs viennent d’être affectés à l’URSSAF. On est encore dans le flou sur le fonctionnement futur.
Après, un des soucis qu’ont beaucoup de traducteurs et surtout ceux qui se lancent, c’est qu’il y a un vrai problème de reconnaissance. Dans le milieu littéraire c’est bien ancré, le nom du traducteur est plutôt bien mis en avant. Mais dans le jeu vidéo, ça commence seulement, et c’est loin d’être systématique. Je sais que quand j’essaie de recruter des nouveaux traducteurs pour divers projets, la seule ressource véritable, c’est Moby Games et encore, c’est déjà bien si on trouve un quart ou un cinquième des jeux sur lesquels on a travaillé.
Il y a quand même du mieux. Au début des années 2000, je me souviens que c’était presque une surprise de voir apparaître son nom dans les crédits ! Après, ça reste un métier de l’ombre, on ne fait pas ça pour être une star.
Pour revenir à la question, ce serait bien de disposer de plus de temps. Très souvent on est la cinquième, sixième voire septième roue du carrosse. Et quand le projet prend du retard ou que la date de sortie a été avancée, c’est bien souvent la phase de traduction et la phase de test qui en pâtissent. Mais d’un autre côté, pour les gros jeux, ce n’est pas forcément simple : les éditeurs veulent jouer une sortie simultanée dans toutes les langues ce qui implique que tout le monde puisse tenir le rythme, au détriment parfois de la qualité.
Parmi tous les jeux auxquels vous avez participé, certains vous ont-ils marqué plus que d’autres ?
Oui, probablement parce qu’il y en a qui ont été plus ardus, avec plus de complications (sur l’organisation des textes et des choses comme ça). Les projets qui ont tendance à marquer sont plutôt les très gros que j’ai pu faire seul ou en très petit comité. En général dans le jeu vidéo, les délais sont très courts, ce qui fait que pour des volumes importants, il faut la plupart du temps faire appel à une équipe de traducteurs et/ou de relecteurs.
Les projets marquants ont plus eu lieu il y a longtemps, comme Morrowind où j’ai dû faire près d’un million de mots seul. Oui, ça faisait beaucoup !
Les MMO, comme Le Seigneur des Anneaux Online ou Age of Conan, m’ont permis de découvrir une autre facette du métier. C’était au début des années 2000, les sociétés qui se lançaient dans ces projets n’avaient pas d’équipe de localisation habituée à ça. Comme j’avais déjà pas mal de gros RPG à mon actif, un client m’a demandé de monter une équipe et de faire en même temps de la gestion de projet pour le recrutement de l’équipe en veillant à l’harmonisation du travail.
Est-ce que vous jouez dans votre temps libre ?
Je joue très très peu. Comme je le disais, les journées sont longues et quand je finis de travailler, le moment de détente c’est plutôt d’éteindre l’ordinateur (rires). Mais puisqu’on a parfois des clés Steam, ça arrive qu’on en profite pour tester quelques jours en avance le jeu et passer un peu de temps dessus pour mieux se l’approprier. C’est plutôt mes fils qui jouent pour moi !
Avez-vous des projets en cours dont vous pouvez nous parler ?
Des projets en cours il y en a, la possibilité d’en parler, c’est niet je suis désolé (rires). On signe systématiquement des NDA (non-disclosure agreement, en français : accord de non divulgation), qui sont peut-être parfois un peu trop restrictifs mais c’est un milieu où les éditeurs veulent se protéger. Non seulement on n’a pas le droit de parler du contenu du jeu, ce qui est logique, mais avec la plupart des éditeurs, on n’a même pas le droit de parler du jeu lui-même. D’ailleurs, je précise, je dis “on” parce que depuis une dizaine d’années je travaille avec ma femme. Donc souvent, on travaille en binôme : soit je traduis et elle relit, soit l’inverse, soit, suivant les projets, on peut aussi être tous les deux à la traduction, ça va dépendre de la commande.
Parmi vos nombreux projets figurent des jeux marquants. Avez-vous une anecdote sur la traduction de Morrowind, que vous avez évoqué ?
Au tout début du projet, on était deux sur la première partie qui était la plus courte. Il s’agissait des “books”, c’est-à-dire les livres qui étoffent le background du jeu. Et ensuite, je me suis retrouvé seul pour le reste. La traduction comptait environ 1,1 millions de mots, et j’ai dû personnellement m’occuper d’un million. C’est quelque chose que j’ai fait quand j’étais jeune et… je ne le referais plus, ou alors avec beaucoup plus de temps (rires). Mais c’était intéressant. Quand je l’ai reçu, c’était bien plus gros que ce qui était prévu. J’ai reçu le fichier de dialogues à traduire le 30 ou 31 décembre et c’était un fichier Excel géant. À la base, il devait faire 300 000 mots, il en faisait en fait 700 000 et d’autres sont en plus venus se greffer dessus. On a donc dû renégocier un minimum, mais bon, ça fait des souvenirs, on va dire (rires).
Vous avez repris la traduction de romans et de nouvelles ou vous restez focalisé sur le jeu vidéo ?
Pour le plaisir, avec ma femme, on a traduit il y a deux ans un assez gros jeu de plateau, et on se dit qu’on pourrait en refaire un ou deux de temps en temps. Mais ça reste principalement du jeu vidéo.
Vous avez évoqué vos premières expériences sur des manuels de jeux de rôle. Est-ce quelque chose que vous envisagez de nouveau ? Je pense notamment à tout ce qui se fait autour de l’univers Donjons et Dragons.
Non, on m’en a proposé il n’y a pas si longtemps mais j’ai refusé pour deux raisons. La première, c’est le manque de temps, tout simplement. La seconde, c’est que dans le jeu de rôle, les tarifs sont catastrophiques. C’est un milieu qui reste assez petit, les ouvrages édités sont publiés à petit tirage et donc la traduction est mal payée. Mais je ne critique pas le milieu. Vous parliez de Donjons et Dragons, c’est grâce à ça que j’ai commencé, et à tous les niveaux. En sortant de l’école de traduction, j’ai envoyé des CV et des lettres de motivation à presque tous les éditeurs qui existent et je ne dirais pas que j’ai eu zéro réponse mais celles que j’ai eues, c’était pour me dire qu’ils me gardaient dans leurs fichiers (rires). A ce moment là, j’ai réfléchi à mes options : ayant beaucoup joué à Donjons et Dragons dans ma jeunesse, j’ai écrit à TSR (avant leur rachat par Wizard of the Coast). À ma grande surprise, j’ai reçu une réponse de leur directeur de collection de l’époque, David Wise, qui m’a indiqué les coordonnées de la société française qui les traduisait, Hexagonal.
Cela m’a permis ensuite de me diversifier et ça m’a suivi après puisque quelques années plus tard, Wizard of the Coast m’a contacté pour la traduction de la 3ème édition de Donjons et Dragons. Ca a été mon dernier travail au niveau du jeu de rôle avant le passage au jeu vidéo. Mais le travail sur Donjons et Dragons m’a aussi aidé au niveau du jeu vidéo parce qu’après Planescape : Torment, j’ai enchaîné sur Icewind Dale, Icewind Dale 2 et ensuite c’était bon.
Autre preuve que ça m’a vraiment lancé, c’est que sur ces jeux, je travaillais pour une société, SDL, qui est un des leaders mondiaux de la traduction mais qui, à la base, fait de la traduction technique. Et ils possédaient à l’époque les jeux Interplay mais très peu de traducteurs attachés à la non-technique. Mon profil, avec des connaissances du jeu de rôle et les termes qui vont avec, leur a pas mal plu.
Puisque vous traduisez de l’anglais vers le français, vous retrouvez-vous parfois à traduire sur la base d’une autre traduction ?
Oui ça arrive, et c’est d’ailleurs systématique pour tout jeu qui vient de Chine ou du Japon. Et c’est rarement une bonne nouvelle. Déjà parce que, forcément, la qualité de la traduction en est affectée. Ensuite parce qu’ils ont tendance à faire énormément d’interfaces, ce qui n’est pas le truc le plus excitant à traduire. D’autant qu’on se retrouve alors avec des restrictions de tailles impossibles à tenir, puisque les écritures sont en pictogrammes, ce qui donne parfois des traductions qui semblent avoir été passées à la broyeuse.
Il arrive des fois où ces restrictions ne sont pas indiquées à l’avance aux traducteurs, ce qui va compliquer le travail. Et même lorsque c’est le cas, ça nécessite des tests pour être sûr du format. Sauf que sur un jeu comme Final Fantasy 11, qui était très vaste avec énormément de texte, c’est difficile d’avoir une idée précise du rendu final.
Vous évoquez FFXI. Plus généralement pour les jeux de rôle, les arborescences de dialogues, ça se gère comment ?
Ca va dépendre des développeurs. Au début des années 2000, quand je travaillais pour Interplay et Bioware, on n’avait pas accès à l’arborescence. Systématiquement, quand on avait une ligne à traduire, elles étaient protégées via des fichiers Word remplis de macros dans tous les sens. On avait uniquement la ligne suivante et la ligne précédente. Donc on savait à peu près où la ligne s’insérait. Mais d’autres développeurs ont leurs propres outils, permettant d’accéder à l’arborescence du dialogue, ou alors d’autres envoient tout plus ou moins dans l’ordre.
Il nous est arrivé de traduire un gros jeu où les lignes avaient été envoyées par personnage, donc on traduisait par exemple “garde nain de sexe masculin 1”, on n’avait que ses lignes à lui et elles étaient organisées par ordre alphabétique. Ce qui veut dire que lorsqu’il répondait, on ne savait pas à qui il s’adressait, donc il fallait faire le plus générique possible. Et pendant ce temps, un autre traducteur récupérait les réponses mais il ne savait pas à quoi ça correspondait non plus. Il fallait essayer de faire le plus neutre possible et espérer que derrière, ça soit bien testé.
Heureusement, certains s’y prennent mieux. Par exemple, Larian Studios sur Divinity : Original Sin II a développé un outil qui permettait d’entrer dans les dialogues et on avait nos petites cases reliées entres elles avec des couleurs dédiées. Mais même avec un outil comme ça, certains dialogues sont tellement gros que les développeurs doivent les découper. Par moment, il y a des reprises de dialogues et il faut s’adapter pour retrouver avec quoi ça va. Dans le pire des cas, on entre en contact avec les développeurs mais comme je le disais, tous n’ont pas la même fréquence de réponse.
Ce souci de réponse peut être encore plus gênant sur des gros projets impliquant un grand nombre de langues différentes, puisque les traducteurs espagnols n’auront pas les mêmes soucis que les traducteurs allemands, par exemple. Ce qui peut rallonger le temps de réponse.
Je pense que vous ne pourrez pas me répondre mais ça me permet de conclure : en parlant de Divinity : Original Sin II, et vu votre implication dans de nombreux projets de jeux de rôle, il y a un autre jeu de Larian Studios qui arrive bientôt…
Oui j’en ai entendu parler… (rires).
Veltar
Joueur de jeux vidéo qui aime la politique. Du coup j'écris surtout des trucs qui parlent des deux. Stratégie, Outer Wilds, Metal Gear Solid et indés en pixel art.
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