Wytchwood, dernier titre à se lancer sous l’égide de Whitethorn Games, vise le calme et le confort derrière une boucle de gameplay réfléchie, un joli trait et une sorcière placide en totale possession de ses moyens.
Whitethorn Games se donne pour rôle d’éditer des jeux répondant à trois critères, énoncés sur son site internet : une facilité de prise en main, la possibilité d’y jouer par petites touches et une expérience générale libérée de tout stress. Une politique éditoriale prônant l’accessibilité de la proposition de gameplay, dans la lignée de ce courant indépendant labelisé « wholesome », qui entend se pratiquer un plaid sur les genoux et un chocolat chaud à portée de main. C’est là toute la réussite de cet axe marketing qui réussit à vendre, en quelque sorte, des expériences de jeu « qui font du bien », dans un geste d’ouverture qu’on peut lire à la fois comme un appel à une autre idée de ce qui fait le jeu vidéo, éloignée de celles préconçues qui peuvent persister, et comme la célébration d’un public potentiel énorme. C’est dans cette dynamique que sort Wytchwood, dernière production du studio canadien Alientrap, dont les précédents titres ne cochaient a priori pas les cases de cette approche tout en douceur. Et il se défend bien sur le sujet, nous invitant par la même occasion à observer la répétitivité d’une boucle de gameplay sous un œil positif.
Une pincée d’acide, une pincée de sale
Une sorcière se réveille dans son fauteuil à bascule. Son dos craque, elle se plaint, la tête enfoncée dans une sorte de heaume en forme de chaudron. La stupéfaction la prend quand, arrivée devant son grimoire, elle constate que l’ouvrage a été débarrassé de ses nombreuses pages, et par extension des recettes qu’il contenait. La responsable ne tarde pas à se faire connaître : devant la charmante maisonnée, une chèvre se promène, frange trop longue devant les yeux. Alors que la sorcière s’approche, menaçante, l’animal se met à parler, révélant sa vraie nature. Pour entrer en contact avec la faiseuse de sorts, un esprit a pris possession du premier être vivant qui passait par là. Il vient chercher son dû. Sauf que l’intéressée, qui semble avoir dormi pendant un laps de temps inconnu, possiblement très long, n’a aucun souvenir de la nature du pacte passé. Pour remplir sa part du marché, elle va devoir rassembler les âmes de certaines entités pour réveiller le secret qui sommeille dans la crypte toute proche. Et ça ne sera pas de tout repos.
On aura beau se tourner vers Wytchwood avec l’envie de souffler, en jeu, ça va bosser et pas qu’un peu. Notre sorcière va devoir crapahuter par monts et par vaux afin de trouver les individus qu’elle recherche, que la renommée souvent funeste va heureusement aider à identifier : un violent ours capitaine de peloton ivre de bière au miel, un bœuf à la réussite agricole suspicieuse depuis que sa famille a disparu, une liche doctoresse qui voit ses patients venus pour une cheville abîmée repartir les deux pieds devant direction le marais attenant… C’est tout un bestiaire fantastique qui passe ainsi en revue, du casting principal aux figurants, dans ce monde qui embrasse à plein bras elfes et sirènes, hommes-poissons et mandragores, brassant les diverses influences venues de fables, légendes et autres contes. Cette inspiration du livre d’illustration, l’équipe d’Alientrap l’a superbement travaillée, avec un rendu visuel dessiné aux traits doux et colorés, qui ne fait pas l’économie de détails charmants donnant vie aux décors et à leur traversée (les ombres s’adaptent à la surface sur laquelle elles se posent, par exemple). Un sound design creusé et fourmillant donne ce qu’il faut de plus à une ambiance tantôt apaisante, tantôt (gentiment) angoissante, qu’une musique dans le ton, aux boucles un peu courtes mais qui sait ménager un silence bienvenu, termine d’habiller. Les acteurs de ce cortège bigarré, qu’ils soient rongeurs, champignons ou citrouilles-squelettes, aussi variés que l’imagination le permet, ont tout de même un point commun et pas des moindres : tous finiront, invariablement, par agrémenter en plus ou moins large proportion les potions et sortilèges qu’on sera amené à élaborer.
Sorcière de sa flemme
Pour réussir notre récolte spirituelle, la démarche se résume le plus souvent à un schéma très simple : une interaction avec un personnage ou un objet garnit le grimoire de recettes, lesquelles débloqueront la situation d’une manière ou d’une autre, une résurrection-zombification par-ci, une réparation de rouet à tisser la laine par-là. Partir à la chasse aux ingrédients occupe le plus clair de notre temps, qu’on passe ainsi à cueillir des herbes et ramasser des châtaignes ou, plus délicat, à couper des ongles de dragon ou bannir des fantômes en perdition. Une activité de loot au long cours qui aurait pu se révéler fastidieuse, ce que permettent d’éviter des interactions rapides et souples (une seule pression permet de ramasser plusieurs objets). Cette collecte nécessite régulièrement l’emploi d’outils (truelle, hachette…) et d’objets précédemment craftés, qu’une barre de raccourci met à disposition. Si l’organisation des menus et raccourcis montrent que le jeu est pensé pour le clavier/souris, l’utilisation à la manette se révèle très fluide, en particulier après une rapide optimisation des touches et avant tout des gâchettes, ce qui permet d’évoluer aisément dans des environnements calmes mais pas totalement sans danger. Certains locaux se montrent plus farouches que les autres et les approcher sans solution pour les neutraliser pourrait coûter un de nos trois points de vie. La recette pour se régénérer est de toute manière très accessible et les perdre tous n’a pour conséquence que de nous ramener à la maison, délesté de quelques ingrédients qu’on pourra retrouver sur place. Une menace pour le jeu, en quelque sorte.
Une fois passé son rapide tuto, Wytchwood laisse vite libre cours à nos envies d’exploration et ouvre quatre grandes quêtes, une pour chaque âme à collecter, avec lesquelles on jongle à l’envi. Si on commence par remplir les objectifs linéairement, on prend vite le pli d’avancer sur plusieurs fronts à la fois, en essayant de faire le point sur les ingrédients disponibles dans la zone où l’on se trouve et desquels on a besoin. La localisation de tel ou tel élément n’est que rarement un problème, les informations étant généralement disponibles dans le menu de quête, ce qui a parfois pour conséquence d’encombrer un peu l’écran, là où l’épure aurait pu jouer sur le côté repos visuel. Devant une production aussi soignée, les premières heures passent toutes seules, bercés qu’on est par nos balades en forêt, au cœur d’un marais ou au milieu des champs, dans cette boucle assez addictive, il faut l’avouer. Mais une fois les premières âmes en notre possession, on découvre que Wytchwood en a plus dans sa sacoche qu’attendu. Une bonne surprise teintée de préoccupation, car on finit tout de même par entrevoir les limites du système mis en place : grossièrement, la progression n’est qu’une suite de quêtes FedEx nous demandant de parcourir en boucle les mêmes environnements à ramasser des trucs et des machins.
En avoir plein le chaudron
Le côté pervers, et parfois même un peu rébarbatif, de cette boucle survient lorsqu’on avance plus loin dans l’aventure, quand les besoins en loot se chevauchent comme des poupées gigognes, un objet à crafter demandant plusieurs éléments qu’on a eux aussi besoin de crafter ou d’aller chercher dans un endroit précédemment visité. Si les zones se traversent heureusement assez vite et qu’un hub central auquel on peut se téléporter (sans devoir fabriquer un objet aurait été mieux) permet de les rallier rapidement, la succession de ces allers-retours fatigue à la longue et fait perdre un peu de son charme à ce si agréable monde. Cet état de fait est toutefois contrebalancé par deux points. D’abord, ces quêtes de livraison sont largement soutenues par la narration du jeu, au style très littéraire. Jamais trop longues, ces régulières interventions, qui font preuve d’un humour piquant, se posent en éléments de mise en scène, en donnant à voir par la lecture ce qui aurait été trop compliqué à animer, et donne l’illusion d’accomplir un éventail d’interactions variées alors qu’il n’en est rien. Un procédé très efficace qui participe de la construction qu’on se fait de l’univers parcouru, que les éléments de description uniques pour chaque élément observé enrichissent grandement, ainsi que de l’attachement qu’on tisse pour le personnage principal, une bougonne de premier ordre droite dans ses bottes.
Le deuxième point intervient à un niveau plus personnel. Lorsque nous avons fait part de ce sentiment de lassitude causé par la boucle de gameplay, amené à s’étendre au long de la douzaine d’heures que dure Wytchwood, à une personne proche, celle-ci nous a indiqué que ce genre de système était bien plus rassurant que contraignant à ses yeux. Évoluer dans un système clos dont elle a repéré et assimilé les enjeux tient avant tout du confort, une sensation qu’on retrouve dans une part non négligeable de la production actuelle, d’Animal Crossing aux innombrables free-to-play qui font tout pour nous mettre à l’aise. Et s’il faudrait tout de même pouvoir identifier à quel moment cette logique de répétition et de boucle du plaisir tend plus vers l’enfermement ou le conditionnement, un jeu comme Wytchwood semble en tirer un usage satisfaisant et inclusif.
Wytchwood a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Il est également disponible sur PlayStation, Xbox et Switch. Il est disponible en anglais, japonais et chinois à l’heure actuelle et on n’a pas vu de signe de traduction française pour le moment.
Jouer à Wytchwood donne parfois l’impression de partir en balade avec son personnage principal, une très bonne copine qui en a vu d’autres et à qui on ne la fait pas, toujours prête à filer un coup de main ou à rentrer dans le lard du premier relou venu. Servi par une patte artistique et un soin du détail charmants, le nouveau titre concocté par Alientrap, s’il se frotte aux limites induites par sa boucle de gameplay, parvient à créer autour de soi le cocon recherché grâce à son ambiance et son écriture fine. Un agréable jeu d’automne.
Seastrom
C'est la Loire qui coule dans les veines de Seastrom, mélangée aux subtilités de la vaporwave. Possibilité de l'amadouer en lui parlant indés et D&D (Dreyer et Digimon).
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