Le traitement d’un monde post-apocalyptique est devenu un motif récurrent de la culture et, quel que soit le support, on a tous des images qui nous viennent lorsque l’on parle de ce genre. Guerre, famine, ensauvagement de la société, radiations nucléaires et autres conséquences d’une fin de civilisation humaine sont des clichés dont il est difficile de se défaire pour une œuvre qui s’aventure dans ces contrées hostiles. Wasteland 3 ne fait pas exception à cette règle et c’est dans un monde triste et sans espoir, mais avec des gros sabots, que je vous emmène aujourd’hui. Allez, lisez la suite, ça va être fun.
Wasteland 3 est donc la suite de Wasteland 2, sorti en 2014, qui avait su faire revivre une certaine vision de la licence Fallout par les développeurs d’InXile Entertainment. Cette vision était principalement portée par Brian Fargo et se proposait de mettre au goût du jour le système de jeu qui avait fait le succès des premiers Fallout, en revenant notamment à un sytème de combat assez proche et une caméra inspirée de la 3D isométrique des années 90. Mais contrairement au précédent, l’équipe a bénéficié de l’argent de Bill Gates Microsoft pour mener à bien ce projet, suite au rachat du studio en 2018, simplifiant ainsi les besoins en trésorerie, qui avaient mené Brian Fargo à avoir recours au financement participatif pour le 2 mais également pour débuter le développement du 3. Mais bien avant le 2 et le 3, il y a forcément un Wasteland premier du nom pour arriver à cette numérotation, et celui-ci est sorti en 1988, soit en l’an 29 avant TPP selon notre calendrier. Et avec tout ce recul, on peut espérer qu’une certaine forme d’innovation sera présente pour un pionnier du genre dans le jeu vidéo.
Mais du passé il n’est pas question ici et parlons donc de ce 3e épisode d’une série qui a 32 ans à présent. Il fait suite aux événements du 2 mais change de décor en passant du désert d’Arizona aux vastes étendues enneigées du Colorado (un désert, mais en blanc, si on veut caricaturer). Les Rangers, représentants plus ou moins légitimes de l’ordre dans ce monde en proie aux pillards et autres malandrins, sont à nouveau dirigés par le joueur (vous, ou moi dans le cas présent), pour résoudre les tracas de la vie quotidienne des habitants de ce monde de merde® qui manquent tragiquement de bonnes nouvelles. Problèmes de pouvoir, cannibalisme, boucheries en tout genre voire communisme des voisins. Tous les petits problèmes courants auxquels nous sommes confrontés chaque jour sont ici à résoudre en prenant plus ou moins parti pour le camp de votre choix à chacune de vos actions.
Les adorateurs de Ronald Reagan contre les robots communistes et les hippies démembreurs
C’est dans l’exercice de l’écriture et de la nuance que j’avais placé mes attentes et c’est dans l’excès, la blague vulgaire et la facilité que le jeu tombe bien trop souvent. Ces mondes post-apocalyptiques sont l’occasion de raconter des choses variées sur les ressorts de l’humanité en cas de crise, ici on a encore et toujours la même vision : celle d’une humanité dont il ne faudrait rien attendre, condamnée à n’être qu’un ensemble de raclures dont il n’y aurait rien à sauver. Cette vision particulièrement pessimiste est très ancrée dans l’imaginaire de la fiction post-apocalyptique, et pourtant elle ne repose pas sur grand-chose. En effet (vous le voyez venir le chapitre sur l’apocalypse hors sujet par rapport au jeu qui m’a assez peu intéressé ?), ce préjugé sur ce que serait l’après-fin du monde ne se base que sur une vision de droite voire d’extrême droite de ce que les survivants endureraient.
Eh bien oui, toutes ces années on vous a menti, la vision que vous avez tous des sociétés humaines après une guerre/pandémie/invasion alien/catastrophe climatique majeure/autres événements qui laissent des terres pleines de morts et de désolation, n’est qu’une vision de gens qui ont peur du changement et de l’avenir : les réacs. Et c’est d’ailleurs parce qu’ils sont méfiants envers les autres qu’ils pensent que ça va mal se passer, ce qui mène à différencier deux grands courants dans les personnes qui envisagent le Monde d’Après®. On a d’un côté les survivalistes : craintifs qui pensent que l’autodéfense sera la clé de la réussite, et que la protection de leur lopin de terre en étant armés jusqu’aux dents est la seule solution, puisque tout autre être humain est un danger à repousser ou éliminer. Et de l’autre côté les collapsologues, qui envisagent plutôt que la survie passera par l’entraide et la vie en communauté, qui permettront de tirer parti des compétences de chacun dans un monde qui aura vu les ressources, et les humains, se raréfier. Et au milieu de tout ça, il y a bien sûr une multitude de positions intermédiaires qui laissent la place à la nuance et au débat pour savoir comment organiser une suite dans la joie, la convivialité, la maladie et sans doute la famine ou les boîtes de corned-beef périmées (je choisis la famine).
Mais que savons-nous des réactions en cas de catastrophe pour déterminer qui qu’a raison et qui qu’a tort ? Figurez-vous qu’il existe des études qui permettent une modélisation mathématique de la réaction des gens lors d’un désastre soudain et de grande ampleur. Bien que manquant de données pour juger des résultats d’un vrai cataclysme global ramenant l’humanité à un nombre réduit d’individus, il apparaît que lors d’une catastrophe les comportements immédiats soient tout d’abord de l’ordre du réflexe et de la panique, avec la fuite du lieu concerné et la tentative de trouver un abri. Puis, assez rapidement après le traumatisme, viennent des réactions plus raisonnées et contrôlées, et des systèmes de recherche des survivants et d’entraide, que ce soit entre les personnes touchées, ou par les personnes externes envers ces personnes touchées, se mettent en place. Les comportements de vol, pillages… arrivent en dernier, et sont considérés comme des comportements déviants par les auteurs de l’étude, qui amènent donc l’idée que ce n’est pas la norme et que cela reste marginal dans ces situations. Alors pourquoi toujours nous remettre ces choix mineurs comme étant la seule voie pour l’humanité en cas de fin de carrière tels les premiers dinosaures venus ? Sans doute une forme de paresse dans l’écriture et la documentation, et parce que c’est plus facile (mais toujours paresseux) de ne penser le jeu vidéo que par une succession de combats, entrecoupés de dialogues corrects avec des blagues grasses, alors que l’on se dit mature dans l’écriture.
Waste of time
Mais alors, ce scénario bas du front dans un univers sans imagination cache-t-il le renouveau du tactical et un système de combat novateur qui permettrait de dire : « oui, ok, si c’est pour ce genre de combat alors ça va, un prétexte simple est suffisant » ? Non, raté, pas là, dommage. Le système n’est pas mauvais, il fonctionne bien et vous pourrez choisir entre une difficulté sans challenge, pour ceux qui voudraient juste suivre l’histoire, ou trois modes plus ou moins compliqués. Mais il n’invente rien et reste assez conservateur dans ses mécaniques, certains iraient jusqu’à dire réac mais c’est peut-être un peu fort. Ce n’est pas non plus par ses qualités techniques qu’il fera briller les yeux des aficionados des textures 4K du HDR ou du ray tracing, ce n’est pas moche mais c’est loin d’être un étalon technique. D’ailleurs il est assez étonnant pour un jeu de ce calibre technique de proposer des temps de chargement très longs et très fréquents qui vous permettront de profiter de votre thé ou de vous faire cuire des pâtes.
On pourra apprécier une gestion de base assez intéressante et un choix des armes plutôt vaste, mais à superposer un grand nombre de systèmes, on risque de lasser le joueur avec trop de menus, trop de réglages… Et également trop de personnages intégrables à l’équipe qui sera véritablement la seule entité à diriger. Réduisant du coup les personnages à des pions interchangeables en fonction des besoins en compétences du moment, ce qui n’aide pas à l’identification selon moi, mais c’est un des principes de ce genre de RPG. Ah, et si les blagues lourdes des dialogues ne vous enchantent pas, vous en retrouverez également sur certains items que vous pourrez récolter dans la pléthore de loot que vous amasserez au cours de cette quête. Donc un tactical RPG qui sait faire du tactical RPG mais qui ne sait pas se réinventer pour nous offrir une innovation digne des 32 ans d’expérience du domaine de son principal auteur. On pourra noter un choix et une utilisation pour la bande-son d’une très grande qualité avec des compositions de Mark Morgan, également auteur des bandes-sons des deux premiers Fallout, de Wasteland 2 ou de Planescape Torment. Mais malheureusement cet élément n’en fera pas un indispensable pour autant.
Wasteland 3 a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Wasteland 3 ne sera donc pas le renouveau de la licence Wasteland, ni du tactical RPG et encore moins du genre post-apocalyptique. Si vous êtes fan de tactical le jeu fera l’affaire, mais si vous cherchez un jeu à l’écriture de qualité qui tente de renouveler un genre, passez votre chemin. Après plus de 30 ans d’écriture sur les suites d’une apocalypse, raconter toujours la même chose et se penser mature en affichant des boyaux et des blagues de cul commence à apporter une certaine lassitude. Résoudre toute intrigue par le combat est une solution de facilité bien trop souvent empruntée, et ce n’est pas parce que c’est fait sur une musique de qualité, ou avec des dialogues corrects que ça en devient subitement une bonne idée. Et pour finir, il serait temps de se documenter, pour écrire autre chose que le cliché de l’humanité pourrie dont tous les représentants seraient uniquement voués à s’armer et à s’entre-tuer pour trois patates et deux bouts de torchons.
JoK
J'aime les chiffres, tous les chiffres, et aussi les jeux vidéo mais pas tous
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