Source éternelle de memes dans la communauté des titres Paradox, Victoria 3 est quasiment sorti, pratiquement dix ans après la dernière extension de son prédécesseur. Il faut dire que le concept de cette série de jeux est quelque peu différent des autres, et probablement un petit peu moins populaire. Plus qu'un wargame comme Hearts of Iron, ou un quasi-jeu de rôle comme Crusader Kings, Victoria est, à son cœur, une simulation économique et sociétale. Et à ce titre, Vicky peut paraitre quelque peu austère de prime abord. Évidemment, il y a toujours du peinturlurage de carte, mais ce n'est clairement pas le centre du gameplay, et de toute façon le jeu vous sanctionne si vous avez le malheur de jouer à Victoria comme vous joueriez à Hearts of Iron. Du coup la question qui se pose est : est-ce que les joueurs voulaient vraiment un nouveau Victoria ? Est-ce que, lorsqu'ils mettront leurs mains sur ce Victoria 3, ils ne se rendront pas compte que finalement, c'est un peu ennuyeux par rapport aux autres titres de Paradox ? Et surtout, est-ce que Paradox, ayant probablement une bonne idée de ce que veut sa communauté, a mis autant d'effort dans ce titre que dans d'autres plus populaires comme Crusader Kings III ?
Welcome to the machine
Comme souvent lors de mes tests de jeux Paradox, je ne sais pas vraiment par quel bout prendre ce Victoria 3. Ce sont des jeux tellement gros, aux mécaniques tellement intriquées et profondes qu'il est très difficile de ne pas se contenter de faire une liste des mécaniques qui marchent en thèse, puis celles qui ne marchent pas en antithèse, pour finir par une synthèse avec un avis final sur le jeu. On va donc commencer par se poser la question suivante : qu'est-ce que l'on veut d'un jeu de grande stratégie se déroulant entre 1836 et 1936 ? Qu'est-ce qui caractérise cette période de l'Histoire et comment Paradox s'y est pris pour représenter la Révolution industrielle et toutes les autres révolutions qui ont émaillé cette époque ?
Le XIXème siècle et le début du XXème siècle pourraient facilement être qualifiés de naissance du monde moderne comme nous le connaissons : industrialisation massive, urbanisation, avancées technologiques et sociétales qui représentent la base (et la cause) de notre société actuelle, la quasi-intégralité des problèmes que nous rencontrons actuellement trouvent leur source dans cette période. Donc, ce que l'on attend d'un jeu se déroulant sur cette période est une modélisation précise de la naissance d'une économie de marché capitaliste telle que nous la connaissons aujourd'hui, une industrialisation rapide et parfois violente, ainsi que des avancées sociétales et culturelles. Et, hélas, de la colonisation, beaucoup de colonisation.
Paradox a qualifié le jeu dans une de ses vidéos tutorielles de "Number goes up simulator". Et c'est difficile de dire le contraire. En son cœur, Victoria 3 est une simulation économique poussée. Une modélisation de l'offre et de la demande au niveau global. La naissance de la mondialisation telle que nous la connaissons. Aucun pays, à part peut être des géants comme les États-Unis ou la Russie, ne peut être en autarcie et produire tout ce dont il a besoin. Tout le défi du jeu, c'est de trouver un équilibre entre industrialisation et ce que vous avez comme ressources. Vous pouvez bien sûr essayer de faire un petit peu de tout, au risque de vous retrouver incroyablement dépendant du reste du monde et d'être totalement bloqué en cas de guerre majeure contre un de vos fournisseurs de matière première, mais l'idéal reste encore de se spécialiser dans un ou deux produits finis. Par exemple, dans ma partie avec la Belgique, j'ai vu que j'avais énormément de charbon et de fer, me menant donc à choisir de me spécialiser dans la production d'armes, puis de navires en acier.
Bon et évoquons l'éléphant dans la pièce : la colonisation. Le siècle vit donc la course à l'Afrique des grandes puissances européennes et, ici, contrairement à Victoria II, les nations africaines ne sont pas inexistantes ou pire, décrites comme "non occidentalisées" par le jeu. Ce sont des nations "décentralisées" et coloniser signifie arriver sur leurs terres et dire que ce sont les vôtres maintenant. Et il y a un certain nombre de nations centralisées africaines (jouables) avec lesquelles il sera nécessaire d'interagir et d'établir des relations diplomatiques, comme pour toute autre nation jouable. Ce n'est pas ce jeu qui va faire oublier les accusations (réelles) d'euro-centrisme envers Paradox car la colonisation est une des seules voies de progrès économique pour les petites nations dans le jeu, permettant de faire monter rapidement, et artificiellement, le PIB d'un pays en volant littéralement les ressources d'autres peuples, qui n'ont aucun moyen de défense.
Un amour d'interface
On entend souvent que les jeux Paradox sont des "tableaux Excel avec une carte du monde". C'est faux. Ce sont aussi des graphiques PowerPoint avec une carte. Depuis quelques années, Paradox a fait des montagnes d'effort pour rendre les interfaces de ses titres moins austères et plus accessibles. Cette démarche a commencé avec Stellaris, a été raffinée avec Crusader Kings III, et Victoria 3 est très clairement leur jeu avec l'interface la plus soignée et claire, tirant les leçons des deux précédents titres.
Déjà, c'est le grand retour des infobulles dans des infobulles introduites dans Crusader Kings III. C'est encore le meilleur concept pour avoir le maximum d'informations sans passer par 30 sous-menus pas forcément clairs. Victoria 3 adopte également la philosophie de "gros boutons" de son aîné médiéval. Tout est organisé autour d'une barre latérale et aucun bouton n'est trop petit. On a par ailleurs l'apparition d'une barre en bas qui sert aux diverses actions : cliquez sur ces boutons et vous basculerez automatiquement sur le mode de carte pertinent (commerce, construction, militaire, politique). Dans les menus de la barre latérale, c'est aussi la foire aux gros boutons. L'idée est simple : offrir un maximum d'informations dans un minimum de menus. Là où les jeux Paradox étaient historiquement un labyrinthe de menus et de sous-menus, Victoria 3 est, au premier abord, étonnamment simple pour un jeu de cette profondeur. Un véritable tour de force de Paradox qui nous offre ici son titre le plus accessible.
Et c'est ici que brille Victoria 3 : en ouvrant le jeu, nous ne sommes pas perdus. Tout est clair, tout est abordable. Si au début, on peut penser que le studio a "dilué" la formule, on se rend compte que non. Le jeu est tout aussi profond et complexe que Victoria II. C'est juste que Paradox a décidé, à juste titre, d'étendre son public et de ne pas s'adresser uniquement à des nerds barbus. Et ça ne passe pas que par son interface. Le jeu est accueillant, avec de nombreux tutoriels, clairs, qui explorent tous les aspects du jeu, et n'ont pas peur de vous dire "écoutez, vous ne pourrez pas tout maitriser en quelques heures, mais ce n'est pas grave, vous pourrez quand même vous amuser". Et c'est vrai. En une heure ou deux, vous aurez l'impression de connaitre le jeu, d'avoir une idée de ce qu'il faut faire et de ce que vous pouvez faire. Victoria 3 est la définition même de "facile à jouer, difficile à maitriser". Encore mieux, il y a également un système de "quêtes" dans votre journal qui vous permet de choisir une série de petits objectifs qui vous donneront une direction. En effet, quand on lance pour la première fois un Paradox, il peut être difficile de savoir quoi faire exactement. Ces minis objectifs donnent une direction bienvenue qui devrait aider les nouveaux joueurs.
Politique friction
Le XIXᵉ siècle, ce n'est pas que de l'industrie et de l'urbanisation. C'est aussi la naissance de mouvements sociaux et culturels qui définiront le siècle suivant. Communisme, socialisme, nationalisme, fascisme, capitalisme, toutes ces idéologies trouvent leurs racines dans des écrits et des mouvements sociaux de cette époque. La politique doit donc avoir un rôle prépondérant dans le gameplay de Victoria 3. Et, spoiler, elle l'a. Votre population est modélisée par blocs d'intérêts : ouvriers, ruraux, capitalistes, bourgeois et j'en passe. Ces blocs d'intérêts ont leurs revendications, leur philosophie, leur vision de ce que doit être la gestion du pays et la direction qu'il prendra. Dans les faits, la bonne voie, celle qui vous donne un avantage certain et vous aide à avancer, est, globalement, celle qui mène à plus d'égalité et de protection sociale. Mais le chemin vers l'utopie socialiste n'est pas simple et il faudra équilibrer les intérêts de groupes aux envies et aux désirs totalement opposés. Dans une démocratie, avancer trop vite signifiera souvent une énorme claque aux élections suivantes qui vous bloquera avec un bloc réactionnaire, vous empêchant d'adopter de nouvelles lois progressistes. Dans une dictature (ou un Empire absolu) ça mènera très certainement à une révolution violente.
À propos de révolution : la guerre. Oubliez. Malgré le fait que, accompagnant l'industrialisation, la guerre a énormément évoluée à cette époque, culminant avec la Grande Guerre, cet aspect du jeu a été très clairement laissé de côté par Paradox. Basiquement, vous avez des généraux, qui ont des troupes régulières et des conscrits lorsque vous mobilisez. Puis vous les mettez sur une ligne de front. Et ça avance ou recule en fonction de divers facteurs flous. Clairement pas Hearts of Iron, et c'est normal. Mais avant la guerre, on a la diplomatie. Et Paradox a essayé de modéliser la naissance des grosses alliances qui mèneront à la Grande Guerre. Dans les faits, nous sommes encore face à une diplomatie quelque peu obscure, aux mécaniques pas nécessairement claires, et parfois un petit peu frustrantes (par exemple quand vous perdez votre allié parce que, apparemment, il faut constamment améliorer les relations pour qu'il reste). Nul doute que ces deux points seront améliorés dans des patchs accompagnant des DLC à l'avenir, mais ça reste dommage que ces deux éléments, qui sont tout de même relativement importants, soient si peu explorés. Mention spéciale par contre au système de coups diplomatiques : c'est ainsi que vous déclenchez des guerres, en déclarant que vous voulez telle chose, et aux autres puissances de se joindre à vous, ou à votre adversaire, dans une phase de négociation, suivie d'une escalade qui pourra mener à la guerre, ou à la capitulation d'un des deux. Ce système modélise à la perfection les jeux d'alliances et d'équilibre des puissances qui finirent par mener à la Première Guerre mondiale.
Victoria 3 a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Bon, on ne va pas y aller par quatre chemins : Victoria 3 ne déçoit pas. Modélisation profonde et méticuleuse d'une des périodes de l'Histoire les plus fascinantes qui soit, il s'agit très probablement du jeu Paradox le plus soigné et le plus profond à la sortie. Si, évidemment, certains points devront être améliorés par des DLC et des patchs, rien que pour l'économie et la politique, le jeu vaut le coup. Néanmoins : si l'interface est la plus accueillante et la plus accessible jamais conçue par Paradox, le jeu reste tout de même une simulation économique assez austère qui ne plaira pas forcément à tout le monde. La boucle de gameplay reste quand même globalement de voir des chiffres monter et d'améliorer vos industries au fur et à mesure de votre développement. Ceux qui sont déjà d'énormes nerds de l'optimisation y trouveront leur compte, les autres pourront se retrouver sur le côté. Et ce n'est pas grave, le catalogue de Paradox en a pour tous les goûts et c'est tant mieux. En bref, Victoria 3 est une base solide et a un bien bel avenir. Bon : Europa Universalis 5 c'est pour quand ?
Les + | Les - |
- L'économie profonde et engageante | - La guerre, exactement l'inverse |
- La gestion politique d'un pays | - La diplomatie encore un peu obscure |
- L'interface est clairement la plus accueillante dans un Paradox à la sortie | - Victoria 3 et pas Victoria III |
- Franchement joli comme tout | |
- Pour une fois la localisation française est excellente |
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