Retour en force annoncé du tactical-fps de SEGA réinterprétant la Seconde Guerre mondiale façon shonen manga, Valkyria Chronicles IV avait la lourde mission d’effacer les précédents échecs de la franchise, à commencer par le calamiteux épisode Revolutions. Un retour aux sources qui prend pour décor le Front de l’Est : un pari pour le moins casse-gueule.
Valkyria Chronicles premier du nom (oublions tout le reste, assez dispensable) était un excellent jeu. Mais son propos mi-naïf mi-maladroit sur le conflit mondial laissait à la longue perplexe. Le jeu manipulait certaines notions sans les comprendre tout à fait (la persécution des minorités, la place des petites nations dans le conflit, etc.), et noyait parfois son propos sous une avalanche de nawak, allant jusqu’à affubler votre unité de combattants d’un mignon petit cochon volant, proposait un épisode à la plage, et s’achevait sur un crescendo de bizarreries scénaristiques dans son dernier tiers. En proposant une copie conceptuelle quasi-conforme et en déplaçant l’action dans des batailles de plus grande ampleur, SEGA effectue avec ce quatrième épisode une double prouesse : livrer un jeu de stratégie étonnamment solide, et parler d’un peu tout et n’importe quoi sauf du conflit en lui-même, à l’image de nombreuses autres fictions mettant en scène le second conflit mondial, terrain de jeu rêvé pour n’importe quel récit épique, quitte à oublier de quoi on était initialement supposé parler.
En avant les amis ! Allons combattre les méchants !
Pour la cinquième fois dans l’histoire d’une franchise qui fête cette année ses dix ans, le titre prend place à Europa, un continent qui n’est pas du tout l’Europe du milieu du XXè siècle avec une fausse moustache, sur fond de conflit entre la Fédération (les gentils, vous) et l’Empire (les méchants, les autres). Pour la première fois dans un épisode de la série principale, nous n’incarnons pas des soldats de l’armée du malheureux petit pays neutre Gallia, même si la plupart des personnages que vous commanderez en sont originaires.
Engagés volontaires dans l’armée de la Fédération, Claude le pilote de char et ses amis hauts en couleur se sont engagés dans une sorte de légion étrangère, désireux de protéger leur mère-patrie encore neutre mais menacée par l’avancée des impériaux. La Fédération, en pleine déroute, lance une opération quasi-suicidaire : une contre-attaque très loin derrière les lignes ennemies, avec pour idée de renverser le front et de tenter d’inverser la vapeur. Claude et ses compagnons se portent à l’avant-garde, et pénètrent donc, en plein été, dans ce qui constitue une sorte de mélange entre l’Allemagne et la Russie, la géopolitique de Valkyria Chronicles IV ne s’embarrassant pas vraiment de notions aussi complexe que « trois protagonistes différents dans un même conflit ».
Qui dit Front de l’Est, cependant, dit Général Hiver, et après quelques missions effectuées la fleur au fusil et le cuir au soleil, la brigade de Claude se retrouvera bien vite prise par les bourrasques de vent, cernée par les tempêtes de neiges, et privée de tout ravitaillement contre des ennemis en surnombre. Dit comme cela, on pourrait penser que les développeurs de Valkyria Chronicles IV ont regardé assez de documentaires sur Stalingrad pour réaliser que cet aspect de la guerre était particulièrement brutal et meurtrier, responsable à lui seul d’une bonne vingtaine de millions de morts. Cependant, on reste chez Valkyria Chronicles : ici, point de cannibalisme et de typhus, l’ensemble du jeu a ses moments sombres, mais reste relativement bon enfant.
Le fait est que plus encore que les épisodes précédents, ce volet utilise la guerre comme une toile de fond pour faire vivre des aventures à un groupe traversé par des drames et des tensions internes. La campagne est très bien écrite, riche en rebondissements et en moments de bravoure, mais jamais on ne parvient vraiment à croire à ce conflit où les artilleuses se promènent en minijupe, où un chien avec un chapeau s’occupe de remonter le moral des troupes et où certains des membres de votre escouade déambulent cosplayés sur le champ de bataille. Le casting est d’ailleurs particulièrement réussi (à l’exception des antagonistes, totalement grotesques), et forme une compagnie attachante dont on a à chaque instant envie de connaitre la suite des aventures. Bref, c’est un style qui pourra plaire ou pas, mais si vous êtes venus chercher un propos intéressant sur la guerre, jouez à autre chose. Au fond, avec Valkyria Chronicles IV, loin des errements des autres épisodes de la série, Sega ne prend aucun risque, se contentant d’un récit efficace, et c’est déjà pas si mal. Et le reste du jeu est à l’avenant.
A l’Est, rien de nouveau
Retour aux sources, tant au niveau de l’esthétique que du gameplay. On retrouve le style crayonné cher à la série, les musiques militaires efficaces mais un peu cheap, et ce système à peu près unique où on enchaîne décisions tactiques sur une grande map et phases de pseudo Third Person Shooter à pause active (qui ne demande donc aucune compétence de visée, rassurez vous, vous pouvez prendre votre temps pour agir et aligner vos tirs). Si vous avez déjà tâté de l’excellent premier épisode, passez donc à la rubrique suivante : ce que Valkyria Chronicles IV ajoute tient sur un timbre poste. Les mécaniques de jeu sont à quelques micro-innovations près un décalque à l’identique du premier jeu de la série. On ne va pas s’en plaindre, ce dernier était très efficace.
Vos unités se déclinent en plusieurs métiers : les chars sont puissants mais peu mobiles, les éclaireurs rapides mais faibles, les ingénieurs mauvais combattants mais capables de réparer des chars, les lanciers peuvent attaquer les unités blindées, les snipers tirer de loin, etc. Rien de bien original : il s’agit essentiellement de pierre-feuille-ciseau consistant à placer les meilleures unités au bon endroit et à les faire agir dans le bon ordre. Le tout est compliqué par tout un tas de petites subtilités avec lesquelles jongler : tel soldat n’aime pas tel autre et subira un handicap à ses côtés, tel autre n’aime pas se battre la nuit, etc. Ainsi, la composition de votre roster de combattants et la gestion de leur position dans l’espace sera davantage déterminante que votre capacité à être un bon général. Ses batailles étant très scriptées, Valkyria Chronicles IV est essentiellement un puzzle-game davantage qu’un jeu de stratégie en temps réel.
Et un excellent puzzle-game au demeurant ! Les objectifs des missions manquent un peu de variété (il s’agit souvent de déclinaisons de « rejoindre tel point de la carte » ou « capture de tel truc lourdement fortifié »), mais le déroulé de celles-ci est très riche en événements surprenants : attaquer d’une forteresse imprenable, échapper à un char indestructible, protéger un blessé, etc. Tout au long des dix-huit chapitres de la campagne et des nombreuses batailles annexes qui se débloquent petit à petit, la variété est toujours au rendez-vous, et la courbe de difficulté est sévère mais juste. Comptez au minimum 40h pour en faire le tour, le double pour venir à bout de tout le contenu.
Signalons tout de même que les quelques nouveautés exclusives à cet épisode, si elles ne constituent en aucun cas des prises de risque délirantes, fonctionnent très bien. Pour l’essentiel, elles consistent en l’ajout d’une classe de personnage inédite, l’artilleur peu mobile qui mais peut balancer des mortiers très loin, et sur des cibles difficiles à atteindre, à l’ajout d’ordres d’intervention navale (la marine de la Fédération peut vous venir en aide à distance et démêler des situations compliquées), et quelques autres petites choses, comme un « mode survie » pour les soldats mourants qui peuvent utiliser une capacité de dernier recours si certaines conditions sont remplies.
La 4è Brigade au Clair de Lune
Valkyria Chronicles IV est donc un excellent jeu, mais dont le principal écueil est de ne pas raconter grand chose, ni sur la guerre, ni sur les situations critiques au sein d’un groupe en danger, ni sur la stratégie, ni sur les drames du XXè siècle. Il se contente d’être une divagation rigolote pleine de clichés mignons mais éculés sur des jeunes gens qui partent taper des méchants de plus en plus forts et de plus en plus méchants.
Pendant un temps, j’ai été agacé par ce ton presque niais, ces rebondissements en papier mâché, et cette incapacité à ne pas coller d’interlude drolatique entre chaque chapitre pour détendre l’atmosphère. Et puis plus les heures passaient, et plus je me suis retrouvé scotché à mon canapé, parce que la DA est impeccable, parce que le challenge est là, et parce qu’au fond, même quand Valkyria Chronicles IV est bête, il n’est jamais bête gratuitement : il l’est au service de son projet narratif.
J’ai repensé en jouant à une vieille BD de F’murr (excellent auteur qui nous a tristement quitté il y a peu). Située en pleine invasion soviétique de l’Afghanistan en 1987, Le Char de l’Etat Dérape sur le Sentier de la Guerre racontait l’histoire hilarante d’une bande de bras cassés russes incapable de comprendre ce qu’ils fabriquaient au milieu du désert embusqués par des combattants locaux qui leur flanquaient raclées sur raclées. F’Murr ne parlait pas de la situation internationale de son temps avec cette oeuvre, mais de son sujet de prédilection : l’absurdité existentielle quand on retire tous les artifices de la société (les villes, le travail, les rapports sociaux, etc.). Ce n’est pas pour rien, je pense, que la grande série de F’Murr ait parlé d’un berger et de ses brebis paumés en pleine montagne et résolus à tuer le temps en multipliant les conversation absurdes.
A l’image de cette BD qui parlait de tout sauf de l’Asie Centrale par les troupes du Pacte de Varsovie, Valkyria Chronicles IV ne parle jamais vraiment de la guerre, il n’essaie même pas. Le propos du titre de Sega, c’est la cohésion de groupe, le dépassement de soi, la capacité à rester unis dans les épreuves, et une certaine bonne humeur adolescente, le tout, il est vrai, sur fond de légère fascination pour les catalogues d’armements et le mecha design de l’Europe des années 40. En bref, un récit profondément japonais, respectant l’ABC des codes du Shonen Manga, qui aurait sans doute été exactement le même si le décor avait été la Guerre de Crimée, celle des Cinq Roses, ou la Bataille d’Endor dans Le Retour du Jedi.
Entre d’autres mains, ce jeu aurait pu s’aventurer dans d’autres pistes : questionner la présence d’enfants soldats dans les rangs de vos personnages (certains combattants de votre escouade ont à peine seize ans), remettre en perspective les logiques impérialistes et les rapports de force de l’époque, traiter des traumatismes de guerre et des ravages sur les populations civiles. Mais quand le premier épisode le faisait, c’était rarement pertinent, et certaines scènes laissaient pantois de maladresse ou de naïveté. Valkyria Chronicles IV s’en tient à ce qu’il sait parfaitement faire : les grosses aventures. Voyant que le conflit Afghan s’éternisait, F’Murr avait décidé d’abandonner sa BD, qu’il ne trouvait au fond plus très drôle devant les authentiques drames qui se déroulaient. Je ne sais pas à quoi ressemblera Valkyria Chronicles V, mais malgré les moments passionnants que j’ai passé sur le quatrième épisode, je ne cracherai pas sur un discours un peu plus mature, et un peu plus de prise de risque en ce qui concerne les mécaniques de jeu. En attendant, je retourne platiner celui-ci, parce que, je ne l’ai sans doute pas assez dit dans cet article, mais c’est de loin le meilleur Tactical RPG de l’année.
Valkyria Chronicles IV a été testé sur PS4 via une version fournie par l’éditeur.
Excellent jeu de stratégie comme on en fait trop rarement, mais revisite complètement grotesque du Front de l’Est par une bande de joyeux troupiers animés par le Pouvoir de l’Amitié©, Valkyria Chronicles IV peine à déployer le moindre début de discours sur le sujet historique qu’il essaye de traiter. La faute à des enjeux sans cesse battus en brèche, un manque de souffle dans l’intrigue et des antagonistes complètement nuls. Cependant, ne nous y trompons pas : le jeu de SEGA est également une vraie belle fresque sur un groupe jeté dans une situation difficile, qui cherche sa cohésion au travers des épreuves. Les personnages sont diablement attachants, et le soin apporté à chacun d’entre eux nous fait refermer ce jeu avec le sentiment qu’on a pas tant assisté à un bon récit de guerre qu’à un excellent character show. En cela, Valkyria Chronicles IV est l’un des meilleurs RPG de l’année dont il serait absurde de vous priver.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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