Il y a eu Valkyria Chronicles en 2008, jeu de rôle et de stratégie assez ambitieux de chez SEGA, avec sa seconde guerre mondiale réécrite à la sauce Otaku. Puis il y a eu Valkyria Chronicles II sur PSP, sorte de demake inutilement complexe qui ajoutait une dose de Visual Novel assez vaine. Puis il y a eu Valkyria Chronicles III, sous-traité aux tâcherons de Media.Vision, épisode parallèle aux deux autres qui sentait un peu la fin des haricots. Depuis, plus rien, à part un portage Steam du premier épisode. Jusqu’à ce Valkyria Revolution que personne ne réclamait. Et pourtant, il est arrivé. Et pourtant, il bénéficie chez nous d’une sortie en anglais. Et pourtant, il aurait presque pu être bien.
Oubliez tout de suite la dramaturgie un peu baroque mais pas désagréable du premier épisode. Dites adieu au gameplay mélangeant TPS et stratégie d’antan. Valkyria Revolution est un spin-off qui ne reprend que très vaguement la toile de fond des jeux précédents, et reboote complètement le gameplay. Oubliée la stratégie, on est sur du jeu d’action à pause active… Pensez Mass Effect premier du nom, c’est sans doute ce qui s’en rapproche le plus. Retenez simplement que cet épisode se pense comme un point d’entrée à la franchise. Au risque de dégoûter les nouveaux venus de découvrir les épisodes précédents, autrement plus ambitieux. L’effort d’intégration des nouveaux reste louable.
Et j’ai Crimée, Crimée…
Dans le lore de la série Valkyria, qui dépeint une Europe Fictive, une mystérieuse énergie à base de cristal magique a permis l’émergence d’une révolution industrielle à l’esthétique Steampunk repensée par un disciple raté de Tetsuya Nomura : il y a des robots géants, tout le monde a des coupes de cheveux improbables et des ceintures placées à des endroits improbables. Alors que les précédents épisodes se déroulaient pendant l’équivalent de la Seconde Guerre Mondiale, nous sommes ici plongés soixante-dix ans plus tôt, dans ce qui serait l’équivalent du sud de la Russie ou du nord de la Turquie à l’époque de la Guerre de Crimée.
Le Royaume de Jutland (dirigé par des gentils pseudo-danois), écrasé sous le poids de l’influence de l’immense Empire Ruzi (dirigé par des russes gominés aux yeux froncés qui ressemblent à des Yakuza), est sur le point de déclarer son indépendance, au risque de plonger son territoire dans la guerre. Le royaume, d’abord hésitant, s’est lancé dans cette croisade libératrice grâce aux « Cinq Traîtres », des conspirateurs qui ont décidé de renverser l’empereur Ruzi pour des raisons mystérieuses. Oui, vous avez bien lu, dans Valkyria Revolution, on incarne des conspirateurs dont le but avoué est d’utiliser un gentil royaume pour une histoire personnelle. En choisissant de placer les Cinq Traîtres dans différents secteurs clés du Jutland (l’armée, la presse, l’industrie, les services secrets), le joueur a l’impression, pour une fois, qu’on lui raconte quelque chose de plus sombre et de plus cynique que dans un JRPG classique. En cela, Revolution est un digne héritier de Valkyria Chronicles, qui n’hésitait pas à placer racistes ordinaires et autres brutes dans votre armée de libération. Et puis, hélas, il y a la manière dont tout cela nous est conté.
L’intro est hélas le moment le plus intense.
Poupées de Cire, Poupées de Son
N’y allons pas par quatre chemins : Valkyria Revolution est un des jeux les plus mal écrits qu’il m’ait été donné de toucher depuis plusieurs années. Si le fond est intéressant, l’écriture souffre de problèmes majeurs. Le plus irritant est le côté effroyablement bavard, même au regard de ce que les jeux vidéos japonais narratifs ont coutume de montrer. Des kilomètres et des kilomètres de dialogues insipides vous seront servis jusqu’à l’écœurement à tout propos. Un exemple : le tutoriel, pour concrètement quelques minutes de gameplay, vous fera une exposition complète et détaillée des motivations de CHAQUE membre de votre escouade. Une quinzaine de pâtés de textes vous expliquant tout et n’importe quoi sur des personnages ultra-mineurs. L’exposition laborieuse de Mass Effect Andromeda est explosée. Ici, on vous parle de tout et surtout de n’importe quoi, tout le temps. Au bout de deux heures, la première véritable mission n’a toujours pas débutée, mais on vous a réexpliqué cinq ou six fois pourquoi le Jutland se soulevait. Le manque de charisme des personnages est affligeant, et les développements de l’intrigue assez anecdotiques (là où un Chronicles n’hésitait pas à faire chavirer son intrigue dans le rococo flamboyant, au risque d’écœurer les plus esthètes).
Les méchants (ils sont méchants)
Le manque de dynamisme n’est pas lié qu’à une écriture balourde. La mise en scène plus que minimaliste n’aide pas à adhérer au propos. Les personnages, figés et hideux (pour les connoisseurs pensez « Xenoblade Chronicles X » ), semblent être des masques de cire, des playmobils japonais. La mise en scène, absente, laisse place à des plans fixes de personnages rigides, recouverts d’un filtre graphique qui semble les changer en poupée de tissu. Que s’est-il passé depuis le rendu crayonné très dynamique et coloré du premier épisode ? Ici, tout est délavé, maronnasse et criard à la fois, la caméra s’entête à rester fixe, et à filmer le vide. Nous sommes, esthétiquement, sous ce que la PSP en fin de vie pouvait proposer. Certes, le jeu devait se plier aux contraintes techniques de sortir également sur Vita au Japon, mais cela n’explique pas tout.
Il n’y a guère que la très honnête bande-son de l’inusable Yasunori Mitsuda (Xenogears, Soul Sacrifice…), pas toujours dans les bons coups mais qui arriverait à faire bien sonner à peu près n’importe quoi. La bande-son, très pompière dans l’esprit, est efficace, mélangeant agréablement envolées épiques et pathos bien distillé. Néanmoins, cela fait bien maigre pour accrocher à un setting plaisant mais raconté de manière aussi pachydermique. On en oublierait presque, entre deux interminables conversations sur rien, qu’un jeu se cache derrière tout cela.
Splendeur et Confusion
Une trentaine d’heures, c’est ce qu’il vous faudra au bas mot pour enchaîner la grosse vingtaine de missions du jeu, et vous frotter un peu aux quêtes annexes (permettant de faire un peu de level et de looter quelques bricoles). Encore faut-il, pour pousser jusque là, adhérer au gameplay assez étrange adopté par Valkyria Revolution.
Loin du pierre-feuille-ciseau au tour par tour du tout premier épisode, avec ses cinq classes de fantassins aux capacités équilibrées, Valkyria Revolution fait le pari du temps réel, et de de l’approche bourrine. Alors que le corps-à-corps était presque absent de la franchise (normal, pour de la guerre moderne), ici, vous allez passer l’essentiel de votre temps à tourner autour des ennemis et à marteler les touches d’attaque et d’esquive pour trancher des trucs avec une épée. On a vu plus subtil.
Valkyria Chronicles mettait en avant la couverture, la visée et l’approche raisonnée (les erreurs étaient très punitives). Il serait faux de dire que cet épisode jette tout cela aux orties : les compétences armes à feu, ainsi que l’utilisation des objets et des compétences « magiques » passent par un système de pause active utilisable à tout moment, sorte de scorie RPG dans un jeu à la limite du hack and slash. Et on tient là un système de jeu certes fait de bric et de broc mais qui, reconnaissons-le, se tient bien. Ni stratégique ni très nerveux, je le qualifierai de « posé ». On tape dans le tas en attendant que ses compétences se rechargent, on met le jeu en pause, on planifie des actions, on recommence. Il y a assez de compétences et de personnages disponibles pour que cela ne lasse pas trop, la variété des ennemis et des situations pousse à bien utiliser cette pause active. On est loin d’un Fallout New Vegas, bien sûr, mais ce système reste le point le plus malin du soft de Media.Vision.
Peut-être que ce qui crée, sur le terrain, cette impression de confusion et de brouillon est cette absence de parti pris définitif entre l’action et la stratégie. Pour obtenir un très bon soft (problèmes graphiques et scénaristiques mis à part), il eut fallu trancher. Ou faire quelque chose de réellement calme, où beaucoup plus de choses auraient été décidées par cette roue des pouvoirs, ou quelque chose de définitivement nerveux mettant l’accent sur la brutalité des corps à corps, reléguant les compétences à distance aux gâchettes supérieures. Ce côté entre-deux semble ne destiner le jeu à personne en particulier même si l’approche n’est pas désagréable.
Un Valkyria inoffensif et générique.
Le pad en main, les « si » affluent. Si Valkyria Revolution avait été plus nerveux ? Si son scénario avait mieux exploité la face sombre de ses protagonistes ? Si le côté stratégique avait été développé ? Et si et si et si. Peu importe l’aspect sous lequel on l’examine, il manque peu de choses à Valkyria Revolution pour être un titre digne de retenir l’attention. Sans doute les aficionados de la série se laisseront-ils amadouer, peut-être que les joueurs les plus japanophiles seront indulgents avec le produit fini. Tout n’est pas à jeter dans ce grand gâchis, et Media.Vision a probablement livré un travail honnête avec un temps, un budget et des équipes modestes. Mais finalement, c’est par absence de radicalité que le jeu pêche. En voulant tout faire comme un grand, il ne réussit pas grand chose. L’ambition extrêmement limitée (petites cartes, scénario passe-partout…) de Valkyria Chronicles II en faisait paradoxalement un agréable passe-temps, voire une des pépites méconnues de la PSP. Ce Valkyria Revolution, en revanche, vise trop haut et s’effondre au pied du podium, condamné à l’oubli faute d’avoir concentré ses moyens sur quelques petits tours de force plutôt que sur un ensemble de choses médiocres.
Quel dommage ! Valkyria Revolution ne manque ni d’idée ni d’ambition. Hélas gâchée par une exécution médiocre et une lourdeur effroyable dans l’écriture, l’expérience est pour le moins mitigée. Sans qu’il soit un véritable navet, le jeu de SEGA reste une cible facile, ratant l’essentiel de ce qu’il entreprend pour nous faire vivre une tragique guerre de libération. Loin du charme tragico-kitsch de son ancêtre de 2008 dont il semble le prototype plus que le descendant, cet épisode laissera le goût d’un jeu désincarné, daté, au gameplay peu inclusif. A réserver aux inconditionnels de la série et aux amateurs de curiosités un peu abîmées.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
Articles similaires
Miniatures - La poésie du souvenir
nov. 20, 2024
Rogue Flight - Monte dans le robot, Zali !
nov. 16, 2024
Great God Grove - Queer et élastique
nov. 11, 2024