Jeu d’aventure par la photographie, TOEM tente de consacrer les petits riens et le bon air du temps. Aussi chouette et alangui qu’un album de photos.
Dévoilé en 2020 au grand public à l’occasion de la première édition des Wholesome Games, TOEM est, hors prototypes, le premier jeu du studio suédois Something We Made. Sa jolie bouille et, plus encore, son gameplay centré sur la prise de photos — une proposition somme toute assez rare — l’avaient placé sur notre radar déjà bien rempli. Il faut croire que le temps était venu pour le (sous- ?) genre de (re ?)naître car entre-temps est sortie une poignée de titres qui en ont également fait leur fonds de commerce. Parmi eux New Pokémon Snap, qui cristallisait toutes les attentes des photographes amateurs depuis l’épisode sorti sur N64, mais avant tout des jeux issus de la scène indépendante, à l’instar de Penko Park, Beasts of Maravilla Island, sans oublier le surprenant Umurangi Generation qui n’a cessé dès lors d’amasser les prix et récompenses, à raison. Ainsi sort TOEM, sur un terrain un peu moins inoccupé qu’il ne l’était lors de son annonce. On aurait tort, pourtant, de généraliser les multiples approches qui se dessinent de ce gameplay encore incongru sous un vague « jeu de photographie », et TOEM montre qu’il reste encore des chemins à explorer hors du sentier déjà bien balisé du safari photo.
L’art de la potographie
Toute aventure commence, comme bien souvent, dans une chambre. Celle-ci est aussi bien rangée qu’équipée avec sa télévision, son ordinateur et son sac à dos négligemment laissé sur le sol. Un cadre vide habille l’un des murs. Dans la pièce principale, la mamie de notre personnage s’enthousiasme : c’est le jour du grand départ. On lui devine un passé de voyageuse, elle qui nous montre les clichés dont regorgent ses albums photos, sûrement pas montrés pour la première fois. Notre objectif est entr’aperçu, rayonnant, au milieu des pages, mais il ne faudrait pas se gâcher la surprise alors en piste ! Direction le sommet de la montagne de Kiiruberg, unique endroit où s’observe le phénomène naturel appelé TOEM. Sauf que Kiiruberg, c’est pas à côté, et il faudra faire quelques étapes en cours de route avant d’y parvenir. L’appareil photo de notre grand-mère en poche, héritage précieux (à zoom dynamique qui plus est), il est temps de se mettre en route. Deuxième étape immanquable du voyageur, sac à dos et casque audio bien en place : l’arrêt de bus.
Et comme ici non plus, les transports en commun ne sont pas gratuits, on ne risque pas d’aller bien loin ; payer, et puis quoi encore ? Non, par contre, une option reste possible : rendre service aux gens du coin en échange d’un petit coup de tampon sur notre carte communautaire. Suffisamment remplie, elle donne le droit à un voyage gratuit vers la prochaine destination, et comme les choses sont bien faites, pas besoin de contenter tout le monde : il suffit de récolter à peu près la moitié des tampons d’un lieu pour pouvoir s’en aller voir ailleurs. Mais il serait dommage de filer droit. TOEM évolue à une échelle micro, où le moindre élément, ou presque, ressortant du décor est placé pour faire sensation, comme un appel du pied à s’arrêter quelques secondes et ouvrir l’œil. Prendre le temps de se poser en scrutateur, sans dériver vers un aphorisme du bien-être. Ce n’est sans doute pas pour rien que dans chacun des petits biomes qui composent une zone, on trouve autant d’endroits où s’asseoir et que la caméra se met à tourner automatiquement, passé un certain délai immobile, depuis sa vue plongeante.
T’OEM
Cette caméra fait elle-même écho à l’appareil photo que notre personnage manie. C’est en fait l’outil de la première étape de la boucle de gameplay, l’observation vue du dessus à 360° (presque tout le temps), aidée par des possibilités de cadrage permises grâce à un niveau de zoom/dézoom important. En bougeant cette caméra autour du niveau, mélange très réussi de 2D et de 3D comme dessiné au feutre noir sur papier, on va pouvoir révéler certains éléments et chemins à première vue cachés. Mais cette liberté de focalisation joue aussi, comme les jeux de valeur de plan au cinéma, sur la narration latente créée par le cadre : un plan large permet de sentir l’énergie globale d’une scène quand le gros plan concentre l’attention sur un détail, avec ce qu’il charrie avec lui d’histoires sous-jacentes.
La belle idée de TOEM, qui se joue à la fois sur cet aspect sensible et sur le gameplay, c’est de se servir du point de vue de l’appareil photo pour ajouter une nouvelle dimension aux environnements traversés. Plongé au cœur de la forêt, de la ville ou du port, se révèle une nouvelle manière de vivre le paysage, avec des jeux de perspective, le dévoilement du hors-champ (et la création d’un autre) et l’apparition de l’horizon. Évidemment, on a vite fait de passer à côté de plein de choses mais des indices sonores et visuels aident à s’y retrouver, pour peu qu’on y prête attention. Le travail effectué sur le sound design du jeu est à ce titre particulièrement efficace. Ni trop présent pour coller à l’épure visuelle de la direction artistique en nuances de gris, ni trop effacé pour ne pas donner un sentiment de vide, le bruitage trouve le bon équilibre, que rythme à petites touches une bande-son lancée aléatoirement de temps à autre, à l’entrée d’un lieu. L’occasion de voir son mignon personnage casque sur les oreilles, hikelady (walkman wink wink) dans la poche et infos contextuelles sur la chanson et son compositeur en supplément. Tout ceci participe à l’ambiance d’un titre largement portée vers une joie tranquille, chahutée par des personnages pleins de caractère – aux modèles un peu flous de trop près, bigre.
Destination chromatique
Pour autant, TOEM reste un jeu de listes à remplir et a un peu de mal à sortir de la routine vite mise en place, ce pour les quelques heures nécessaires à en faire le tour (entre 3h et 5h, un peu plus pour le 100%). Les objectifs donnés, plus ou moins clairs selon qui nous les donne, consistent le plus souvent à prendre en photo un ou plusieurs sujets précis, ce qui nécessite d’abord de les trouver. Certains défis, plus rares, reviennent essentiellement à un exercice d’interprétation afin d’identifier le sujet dont il faut ramener la photo, tirant jusqu’à l’abstraction et, même si les situations, architectures de niveau et lieux traversés sont assez variés, l’implication manque un peu sur la longueur.
C’est tout le problème des jeux de photographie que de réussir à définir des objectifs tout en ménageant la sensibilité artistique de son joueur, et ici, cette dernière est comme décalée par rapport au gameplay, l’action de photographier définie comme un moyen plus qu’une fin. Il est dommage, par exemple, que les éléments pris en photo doivent le plus souvent se trouver au centre d’un cliché pour être reconnus, mettant de fait d’un côté ceux pris afin de compléter l’objectif, et de l’autre ceux pris pour soi. La découverte des différentes petites zones et de leurs occupants est en réalité ce qui est au cœur de la progression de TOEM, et le jeu a beau être charmant, on le traverse plus comme un touriste, dodelinant l’air satisfait et à moitié absent, qu’autre chose. Reste quand même un sentiment particulier que seule la photographie arrive à atteindre : lorsqu’on feuillette l’album des photos prises, en retrouver une qu’on avait déjà oubliée et avec tout le contexte qui l’accompagne fait toujours son petit effet, idéalisant par la même occasion ce qui nous a occupé pour peut-être une minute ou deux.
Mais cette simplicité qui frôle le futile, TOEM la cultive entièrement et multiplie les bagatelles prêtes à être adoptées et oubliées d’un même mouvement, comme si Something We Made avait consciemment préféré le plaisir d’un personnage adorable ou d’un bruitage rigolo à la consistance ou au sérieux de sa proposition. En ce sens, il y a clairement de quoi faire et voir. On recevra ainsi régulièrement de nouveaux accessoires pour habiller notre personnage, dont certains serviront à atteindre des objectifs – mention spéciale au scaphandre –, ou même des cassettes audios enrichissant notre éventail de doux accompagnements. Chacune des quatre zones introduit sa particularité, qu’elle consiste en l’acquisition et l’utilisation d’un nouvel équipement ou l’arrivée d’une autre manière d’explorer les environnements. Enfin, un album est réservé aux photos d’animaux croisés lors de nos pérégrinations, nous poussant évidemment à trouver l’ensemble des 54 espèces présentes, dont toute une déclinaison de totas, l’animal totem du jeu, dans des situations toutes plus mignonnes les unes que les autres. Et comme l’équipe de développement sait faire les choses bien, cette collectionnite est appuyée par un effet brillant des instantanés tout juste développés. Comme si chacun d’entre eux était collector, de quoi parfaire la nature rassurante de l’entreprise.
TOEM a été testé sur Switch via une clé fournie par l’éditeur. Il est également disponible sur PC et PS5.
TOEM est régulièrement et doucement absurde, joli comme un cœur et vendrait tout royaume pour une idée visuelle ou sonore mignonne. Jeu très soigné, avec moults effets et détails à apprécier qui le rendent précieux, il fait le choix de la légèreté, ce qui constitue sa force et sa faiblesse. Conditionné par sa nature de jeux à listes, on ne se laisse pas vraiment emporter par le besoin de photographier le monde entourant dès qu’un objectif ne nous le demande plus – peut-être car il y a déjà tellement de sujets potentiels à disposition. Ce qui se joue ici tient plus de la photographie au quotidien, sans enjeu autre que celui de la mémoire du voyage, qu’il soit exceptionnel, comme ici, ou commun. C’est un choix qui se défend, à défaut de tout emporter sur son chemin, et dont on peut s’accommoder pleinement. Peut-être se destinait-il « seulement » à nous faire passer un moment aussi éphémère qu’agréable. Dans ce cas, le contrat est rempli et bien rempli.
Seastrom
C'est la Loire qui coule dans les veines de Seastrom, mélangée aux subtilités de la vaporwave. Possibilité de l'amadouer en lui parlant indés et D&D (Dreyer et Digimon).
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