Premier jeu de Bellular Studios, édité par Fellow Traveller à qui l’on doit notamment Orwell: Ignorance is strength et Suzerain, The Pale Beyond nous entraîne dans un voyage au cœur du Pôle Sud et si ni le climat ni les circonstances ne sont engageants, le moins qu’on puisse dire, c’est que le voyage est réussi.
Il arrive parfois qu’on demande des jeux à tester et qu’on ait complètement oublié de quoi il s’agit lorsqu’on le reçoit. Si j’avais consulté le catalogue de l’éditeur Fellow Traveller, à qui je dois un nombre conséquent d’heures de jeux, ou que j’avais lu le synopsis, je me serais sans doute lancée dans l’aventure avec plus d’entrain, mais quand bien même ça aurait été le cas, il m’aurait été impossible de finir l’aventure plus enchantée que je ne le suis. Car tout dans The Pale Beyond coche, avec brio, les cases de mes lubies vidéoludiques : des beaux graphismes, de l’aventure, de la neige, beaucoup de neige, du froid, vraiment très froid, une galerie de personnages attachants, de la gestion de ressources et de moral et des choix difficiles à faire… vraiment tout, je vous dis.
Les RH de l'extrême
Après une intro un peu cryptique, qui évoque au choix Disco Elysium ou Norco, The Pale Beyond propose d’incarner Robin Shaw, qui répond un jour à une annonce pour devenir le second du capitaine Hunt dans une aventure qui promet en substance une paye vaguement acceptable, un travail harassant et peu de chances de retour. Qui est Robin Shaw et pourquoi iel accepte cette aventure, c’est à vous de le définir, mais toujours est-il qu’un mois plus tard vous voilà à bord du Temperance, voguant vers le Pôle Sud à la recherche du Vicomte qui s’est perdu quelques années auparavant en cherchant le pôle magnétique. Si dans les premières semaines tout allait bien, votre expédition tourne au cauchemar lorsque, pris dans les glaces, il devient évident que votre navire n’ira pas plus loin. Cerise sur le sundae, le capitaine a mystérieusement disparu en vous laissant vous débrouiller pour assurer votre survie et celle de l’équipage.
L’équipage qui va être à la fois votre plus grand allié et la source principale de vos problèmes dans cette aventure, car à bord du Temperance, on trouve, outre les marins habituels du Capitaine Hunt et qui lui sont (très) loyaux ; une équipe de scientifiques sous les ordres du très sérieux Templeton, à la fois le représentant du mystérieux commanditaire de l’expédition et votre bras droit dans cette galère ; une équipe d’explorateurs sous les ordres d’un ancien explorateur devenu star de cinéma, ainsi qu’une journaliste, un médecin et… des chiens de traîneaux. Situé dans une époque non définie, qui rappelle néanmoins l'Angleterre et les grandes explorations scientifiques européennes du XIXe et débuts du XXe siècle, The Pale Beyond propose un équipage d’hommes et de femmes, aux origines variées, qu’on apprend à connaitre au fur et à mesure… et à qui on s’attache. Si toutes les histoires ne bénéficient pas du même degré de détail et qu’il arrive que ça sonne un peu artificiel, chaque membre est bien caractérisé et l'idée que l'un·e ou l'autre puisse ne pas revenir de l'aventure devient de plus en plus insupportable à mesure que passent les semaines.
Avant de se lancer dans The Pale Beyond, il faut toutefois avoir conscience que le scénario s’inspire à la fois de vraies coutumes maritimes, mais également de faits réels qui ont eu lieu lors d'expéditions polaires. Si l’ambiance n’est pas sinistre, malgré le thème et le décor, et qu’on en vient à réaliser que la banquise n’est pas un environnement stérile, la mort, la maladie et le désespoir sont des thèmes omniprésents et la superbe DA ne rend pas certains moments moins difficiles. Outre la chasse (et la représentation d’animaux morts) et d’éventuelles mentions de cannibalisme, certains moments du scénario peuvent amener à devoir prendre des décisions radicales pouvant être vues comme de la cruauté envers les animaux. S’il n’y a aucune volonté de choquer (l’écran d’accueil met d’ailleurs en garde sur le sujet dès l’entrée dans le jeu), que rien n’est là gratuitement et que ne sont mises en scènes que des choses qui ont vraiment eu lieu, certaines scènes et choix peuvent être difficiles à encaisser, même si rien de très graphique n’est montré à l’écran.
De l'importance de la vitamine C
Le temps de jeu se divise en semaines, qui elles-mêmes se divisent en trois périodes. Chaque nouvelle semaine commence avec les requêtes et rapports de l’équipage, accepter ou refuser ces requêtes joue à la fois sur la loyauté des personnages envers vous, mais également sur le « Decorum » qui est l’équivalent du moral du camp. S’il tombe à zéro, la partie se termine, car votre équipage vous fait si peu confiance qu’ils préfèrent se passer de vous. Et de la loyauté, vous allez en avoir besoin, si vous voulez éviter la mutinerie. Bien sûr, vous connaissez la musique, chaque action a des conséquences et faire plaisir à l’un·e risque fort de déplaire à quelqu’un d’autre.
Dans un second temps, il vous faut attribuer les tâches (exploration, soin, constructions, chasse, etc.) et ne pas oublier de recharger le garde-manger et la réserve de combustible avant d’appeler tout le monde à dîner. Après le dîner, vous pouvez discuter avec les différents personnages clés du jeu pour essayer de mieux les connaître. Puis la semaine se termine avec une phase qui vous demande d’attribuer rations et chauffage à l’équipage et se conclut sur un bilan de ce qui a été ramené de la chasse et de tous celles et ceux qui ont attrapé des engelures ou le scorbut. Le scorbut et le froid sont incontestablement parmi les plus grands antagonistes de cette aventure.
Le gameplay est simple et intuitif et la première semaine à bord du bateau sert de tutoriel tout en vous immergeant directement dans la vie de l’équipage. La sauce prend rapidement. En plus de cette routine, la narration oblige à faire des choix majeurs. Tout d’abord qui est Robin Shaw, a-t-iel grandit au bord de mer ? A-t-iel un passé dans la marine marchande ou dans l’armée ? Quels objets allez-vous décider de sauver dans les cales qui prennent l’eau ? Allez-vous ou pas sacrifier de précieuses ressources pour suivre des traditions maritimes à l’utilité discutable ? Chacun de ses choix aura forcément des conséquences à plus ou moins long terme et elles sont parfois difficiles à prévoir.
Le temps : une notion confuse
En parlant de difficile à prévoir, il faut toutefois admettre que The Pale Beyond a un défaut agaçant, celui d’oublier de mentionner que le temps ne s’écoule pas toujours de la même façon. Parfois, alors que vous venez de jouer trois semaines successives, l’action fait inexplicablement un bon de trois semaines, ce qui est agréable en termes de rythme (chaque phase du jeu dure d'ailleurs exactement le temps qu'il faut), car on évite de trop s’ennuyer à des tâches qui pourraient devenir répétitives, mais rend aussi très difficile la gestion des ressources si vous ne savez pas si vous allez devoir jouer les 11 semaines une par une ou quatre par quatre (sans que cela ne nécessite plus de ressources qu’une semaine normale). De même, l’utilité de certaines stats, comme la recherche, reste longtemps très nébuleuse. Mais ces défauts sont contrebalancés par la structure même du jeu et du système de sauvegarde.
Une grande rejouabilité découle de la structure et des choix mutuellement exclusifs qu'elle amène à faire. Si le scénario est relativement scripté, certains événements surviennent quoi qu'il arrive (sauf évidemment si vous êtes mort·e), beaucoup d’autres ne sont que le résultat de vos choix, dans une certaine mesure, même ce que Shaw sait dépend de votre choix initial. Le système de sauvegarde, très malin, renforce encore cette incitation à y revenir et à explorer plus avant tous les recoins du scénario. La sauvegarde se fait automatiquement, à chaque début de semaine et après un événement majeur, sous la forme d’un arbre de sauvegarde. Cette arborescence permet non seulement de sauvegarder simultanément plusieurs parties, mais surtout, elle permet de reprendre une des étapes majeures de la partie sans recommencer tout depuis le début et sans effacer votre progression actuelle, tout en permettant la visualisation de celle-ci. C’est comme un livre dont vous êtes le héros qui vous fournirait les post-its pour marquer chaque étape cruciale et pouvoir y revenir. Une fois la première partie terminée, on a compris comment se déroule le scénario et comment survivre, ce qui rend plus facile la partie gestion de ressources et pousse à explorer toutes les possibilités, notamment dans les interactions, et il y en a beaucoup.
The Pale Beyond a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Jouant sur l'imaginaire des grandes expéditions polaires et les coutumes de la mer, The Pale Beyond propose un voyage à la fois cruel et merveilleux dans les contrées gelées du Pôle Sud. Avec son système de sauvegarde malin et son gameplay intuitif, il incite à explorer toutes les possibilités sans jamais fermer de portes ni enlever les enjeux du scénario. Malgré des thèmes difficiles, la belle DA et les personnages attachants apportent une touche de légèreté et d'humour dans une aventure pas totalement exempte de défauts, mais qui mérite qu'on s'y laisse prendre.
Les + | Les - |
- La DA soignée | - Des soucis d'équilibrage au niveau de l'écoulement du temps |
- Un système de sauvegarde malin qui laisse la part belle à l'exploration du scénario | - Certains points de gameplay restent nébuleux jusqu'à la fin de la partie |
- Pas un chien, mais 14 ! |
BatVador
Traductrice ascendante topiaire qui aime les city builders, les dystopies et les jeux avec des gens déprimés dedans.
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