The Excavation of Hob's Barrow est un jeu d'aventure en pixel art, qui vous emmène au cœur du folklore anglais, dans une ambiance mystérieuse flirtant avec l'esthétique étrange du gothique victorien.
À moins que vous ne soyez un gros client du genre des point & click en pixel art, vous n'avez probablement pas entendu parler du studio britannique Cloak and Dagger, marginal au sein d'un genre qui l'est déjà pas mal. Connu depuis quelques années pour ses jeux d'aventure aux graphismes bizarres et aux ambiances entre pulp, parodie et malaise, Cloak and Dagger livre avec The Excavation of Hob's Barrow son titre le plus ambitieux à ce jour. Et pour la première fois, il ne s'agit pas d'une autoédition, mais d'un partenariat avec le prestigieux label Wadjet Eye Games, généralement signe d'excellence dans le domaine. Une marche en termes d'ambition et de qualité de production aisément franchie : The Excavation of Hob's Barrow est un des jeux d'aventure les plus fascinants de l'année. Un titre qui flirte avec les frontières du fantastique et de l'horreur sans jamais ressasser les poncifs du genre. Une aventure qui fait le choix de mettre la plupart du temps les énigmes et autres puzzles en mode mineur, aussi, pour se concentrer avant tout sur ce qu'il a à raconter.
Au vent des landes de pierre
Quelque part au tournant du XXe siècle, dans une société victorienne corsetée, l'excentrique antiquaire et archéologue Thomasina Bateman débarque au village de Bewley, perdu dans les Midlands. L'isolation ancestrale du village vient d'être brisée par une ligne de train flambant neuve, qui bouleverse un peu le quotidien immuable des habitants. Un échange épistolaire avec un villageois a convaincu notre héroïne de venir procéder à des fouilles à Hob's Barrow, un tumulus perdu dans l'immense lande voisine. Mais quand Thomasina débarque à Bewley, elle découvre que son contact a mystérieusement disparu, que ses affaires ne sont pas arrivées à bon port, que son fidèle assistant n'est pas là non plus… Et que les villageois locaux n'ont aucune, mais alors aucune envie de lui parler de Hob's Barrow. Isolée et perdue, Thomasina commence alors à faire d'étranges rêves mélangeant prémonitions et flash-back d'un passé familial traumatique.
Découpée en journées, The Excavation of Hob's Barrow va nous décrire le périple de Thomasina à mesure qu'elle essaye malgré tout d'en savoir plus sur ce site funéraire en se faisant une place dans la communauté locale. Au fil des journées qui passent, l'excavation du caveau et les péripéties qui l'entourent versent de plus en plus vers les frontières du fantastique, mais sans jamais se vautrer dans les poncifs habituels des jeux vidéo horrifiques. Plutôt que d'aller chercher les habituels jump scares et des références à l'œuvre déjà bien essorée de Lovecraft, le jeu fait plutôt le choix de s'intéresser d'assez près aux mythes et légendes du folklore de la campagne anglaise. La mythologie présentée est ainsi assez fascinante et crépusculaire, puisque décrivant un monde en train de disparaître lentement sous les coups de boutoir de la révolution industrielle.
On y croise ainsi des membres du peuple des landes, dont le jeu ne nous dira pas (du moins initialement) s'il s'agit de vagabonds ou de créatures surnaturelles. Mais aussi, parmi les villageois, la dernière sorcière du village à connaître les vertus des plantes, un prêtre en proie à une étrange maladie du sang ou encore des enfants affirmant parler aux fées. L'ambiance grise, brumeuse et mélancolique nous plonge petit à petit dans le bain de mystère mêlé de vie quotidienne de Bewley, et ce, avec un ton nous faisant toujours parfaitement osciller entre rêve fiévreux, surnaturel et explications rationnelles. S'il y a bien quelques facilités tout au long du récit, The Excavation of Hob's Barrow reste l'exemple parfait que le jeu d'aventure a encore de nombreuses choses originales à raconter et n'est pas obligé de s'autoparodier pour convaincre. Pas étonnant que cette histoire prenante, originale et bien troussée se retrouve chez Wadjet Eye, dont c'est une marque de fabrique constante.
Promenons-nous dans les bois
Cloak and Dagger fait avec The Excavation of Hob's Barrow un pari peu commun dans le genre (niché, mais foisonnant) du point & click en pixel art : abandonner en partie l'aspect énigmes pour se concentrer sur la narration. Formellement, l'aventure de Thomasina se présente comme la plupart des jeux du genre, avec son lot d'objets à collecter et de situations à résoudre. Pour atteindre Hob's Barrow et obtenir l'autorisation de fouiller le site archéologique, notre héroïne va devoir devenir amie avec un cheval, retrouver des poupées, dénicher des clés cachées, voler des fleurs et j'en passe.
Mais les développeurs du jeu ont fait le choix de miser sur la fluidité plutôt que sur le nombre et la difficulté des énigmes. Ici, la plupart des puzzles se résolvent de manière assez instinctive et assez élémentaire, le jeu n'étant parcouru que par quelques rares moments un peu plus complexes impliquant de la chasse aux pixels ou un peu de logique. La plupart du temps, les énigmes du jeu sont là avant tout pour vous faire apprendre des choses sur les différents habitants de Bewley ou les mystères du village et pas pour vous freiner. Au point que certaines énigmes sont presque une insulte à l'intelligence et n'auraient peut-être pas dû en être du tout, tant la solution est non seulement évidente, mais énoncée à voix haute par certains PNJ du jeu.
Le résultat est loin d'être désagréable, puisque si on trotte beaucoup dans le jeu, on ne le fait que rarement en tournant en rond. La fluidité des déplacements et le système de téléportation sont d'ailleurs particulièrement appréciables dans la seconde moitié de l'aventure où l'on se retrouve à devoir gérer tout un tas de missions secondaires à la fois, lesquelles se débloquent naturellement les unes les autres. Un journal de quête assez complet est adjoint à l'inventaire et donne un rappel assez précis de ce qu'il faut faire pour continuer à avancer. Le jeu donne de plus des indices narratifs assez évidents stipulant que vous êtes dans la bonne direction : un PNJ qui s'est déplacé pour marquer le changement d'heure dans la journée, une vision prémonitoire de Thomasina, l'apparition d'un animal dans la lande, etc. The Excavation of Hob's Barrow a d'ailleurs l'élégance de vous signaler quand vous n'avez plus besoin d'un objet ou qu'il n'y a plus rien à faire ou à dire dans une destination précise, ce qui est un gain de temps assez appréciable.
Un jeu pas toujours à lore
S'il me semble que le résultat est admirable, mais clivant, c'est parce que comme le studio le mentionne dans la promo du jeu, The Excavation of Hob's Barrow est avant tout une expérience narrative, qui se veut proche d'un simulateur de marche. Certes, on apprend à bien connaître les rouages du village de Bewley et on a énormément de choses à y faire chaque jour. Mais pour peu qu'on ait un tout petit peu l'habitude des jeux d'aventure à l'ancienne, on se retrouve dans les premières heures de jeu face à une expérience qui n'est qu'une suite de dialogues et de cinématiques pas vraiment entrecoupée de gameplay à proprement parler. On nous laisse parfois la main pour donner ou placer un objet, mais c'est tout.
Cependant, Cloak and Dagger n'a pas, selon moi, été tout au bout de sa démarche : le premier chapitre du jeu laisse réellement penser qu'on est face à un walking sim en pixel art, avec la possibilité d'influer légèrement sur l'ambiance et le déroulé de certaines parties de l'intrigue via des choix de dialogues lors des rencontres avec les villageois. Mais passé deux ou trois heures, la structure classique d'un point & click refait un tout petit peu trop surface à mon goût. On se retrouve davantage à mettre des objets sur des trucs pour ouvrir des serrures pour récolter des bidules pour obtenir d'autres machins qu'à proprement parler explorer la mythologie locale. Comme s'il avait fallu garder un chouilla de classicisme dans cette narration très moderne pour plaire aux vieux de la vieille, au prix du sacrifice d'une certaine intensité constante.
C'est au fond un peu le seul défaut du jeu : un rythme qui s'épuise un peu sur la fin et qui n'ose pas tout à fait aller droit au but et se concentrer sur le seul aspect folklorique et mythologique de la quête de Thomasina. Comme le rythme ralentit légèrement, particulièrement lors de la seconde journée, on est moins fréquemment assailli par les petites touches fantastiques et horrifiques qui font le sel de cette plongée dans les légendes locales et on passe trop de temps entre chacune de ces séquences.
Ce ventre mou est d'autant plus visible que la dernière partie du jeu, malgré quelques séquences d'anthologie, remet un gros coup d'accélérateur narratif et précipite un peu sa conclusion. De manière certes satisfaisante et radicale, mais un poil expéditive au regard des enjeux présentés lors de la conclusion du périple. Quitte à avoir des énigmes aussi faciles et aussi élémentaires au profit d'un lore aussi riche qui réserve ses surprises jusqu'à la toute fin, on aurait pu passer un peu moins de temps à nous faire cliquer sur des fleurs, des cadrans magiques et des assiettes et un peu plus à explorer certains aspects du passé de la famille de Thomasina. Et on aurait ainsi pu garder en continu l'énergie haletante des premières heures de The Excavation of Hob's Barrow qui prédisent, dès la scène d'introduction, une conclusion déchirante.
The Excavation of Hob's Barrow a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Excellente petite pépite du jeu d'aventure rétro que The Excavation of Hob's Barrow. Le studio Cloak and Dagger prouve avec ce titre avant tout narratif qu'il reste encore beaucoup de terrains mythologiques et religieux à explorer pour le jeu d'aventure. Graphiquement dérangeant et sublime avec ses personnages hallucinés errant dans le brouillard du nord de l'Angleterre, il s'agit d'un titre qui sait parfaitement poser son ambiance. Il peine cependant un peu à conserver son rythme haletant jusqu'au bout, la faute à un petit ventre mou qui ne sait pas exactement sur quel pied danser. On aimerait que le prochain jeu du studio, que nous attendons donc avec impatience, fasse un choix un peu plus tranché, entre narration pure et aventure plus classique, et nous livre un récit encore plus haletant. Mais vu le niveau déjà très élevé de celui-ci, c'est vraiment exiger l'excellence.
Les + | Les - |
- Un scénario captivant jusqu'à la fin | - Petite baisse de rythme au milieu |
- Direction artistique superbe et perturbante | - Les énigmes sont rares, mais pas très réussies |
- Explore un folklore rarement abordé dans le jeu vidéo | - Fin un peu expéditive |
- Ambiance sonore très immersive | - On regrettera l'absence de sous-titres français |
- Galerie de personnages mémorable | |
- Entre 6 et 8 h pour en voir le bout, durée idéale pour ce genre d'expérience |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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