En 2016, le studio suédois Clifftop Games frappait très fort avec Kathy Rain, un premier jeu d’enquête en point and click considéré comme l’un des meilleurs titres du genre cette année-là. Cinq ans plus tard, le voici de retour dans une version améliorée et enrichie bien nommée Kathy Rain : Director’s Cut. Une excellente nouvelle pour moi : bien que très amateur du genre, j’étais complètement passé à côté à l’époque.
Ce qui m’a immédiatement frappé en lançant Kathy Rain, c’est sa proximité esthétique et thématique avec les jeux de Dave Gilbert et son studio Wadjet Eye. Le fait que ledit Dave Gilbert ait assuré la direction vocale du doublage de Kathy Rain ne laisse aucun mystère sur le fait que cette proximité est revendiquée et assumée, et on ne s’en plaindra guère, car Wadjet Eye a sorti les meilleurs point and click rétro depuis une quinzaine d’années. Reste alors la question : est-ce que le jeu que nous avons entre les mains n’est qu’une pâle copie des productions du studio new-yorkais ou possède-t-il une âme bien à lui qui vaille le détour ? Par bonheur, on est largement dans le second cas. Et même si Kathy Rain n’est pas un jeu sans défauts, sa générosité scénaristique et sa bonne tenue en termes de gameplay en font un des jeux d’aventure incontournables de cette fin d’année.
La motarde nous monte au nez
Débarquée un peu par hasard dans son village d’enfance à l’enterrement d’un grand-père qu’elle a mal connu, Kathy Rain est une étudiante rebelle et bagarreuse des années 1990 à blouson de cuir et grosse moto. Sur place, elle renoue avec sa grand-mère et découvre que son papy a passé l’essentiel des quinze dernières années dans un état catatonique, cloué dans un fauteuil roulant après avoir fait un AVC en se promenant dans la forêt voisine. Cependant, Kathy découvre rapidement qu’il menait une enquête assez poussée sur un mystérieux phénomène électromagnétique local et semblait, le jour de son accident, sur le point de faire une découverte majeure… Bien vite, la jeune étudiante en journalisme découvre que le comté local a recensé des dizaines de cas similaires : il est l’heure de rouvrir l’enquête.
Se déroulant sur cinq jours, l’histoire de Kathy Rain est une des plus percutantes de cette année. Pas forcément ultra originale mais jonglant habilement entre les registres et promenant le joueur ou la joueuse par le bout du nez en multipliant les fausses pistes, les illusions et les rebondissements inattendus, sans pour autant perdre son fil directeur : la volonté d’une jeune fille à l’enfance brisée de reconstituer un pan méconnu de son histoire familiale. Une réussite tant le résultat est haletant, rythmé et forme un univers foisonnant dont on aimerait d’ores et déjà découvrir un second épisode.
Tout juste pourra-t-on regretter que cette affaire, qui mêle secrets de la police locale, vols de tableaux, drame familial, légendes urbaines, églises fondamentalistes et phénomènes paranormaux, se termine de manière un chouilla confuse dans un gloubiboulga mystique pas forcément maitrisé. Final qui certes a été amélioré et étendu dans cette version Director’s Cut, mais qui reste un peu décevant tant la dernière heure semble avoir du mal à choisir entre une approche purement introspective centrée sur les traumatismes personnels de Kathy Rain et du grand-guignol teinté d’horreur et de science-fiction. Dommage donc que cette dernière partie un peu brouillonne occulte justement ce très beau portrait d’une jeune femme soudainement mise en face de l’histoire compliquée de sa famille, et de ses propres démons.
La cité d’une enfant perdue
La plus grande réussite de Kathy Rain est éponyme : il s’agit de son héroïne. Les premières minutes du jeu laissent entrevoir la description classique d’une jeune fille marginale du milieu des années 1990, entre poster Riot grrrl et punchlines assassines, mais on découvre assez vite la personnalité nuancée et troublée d’un personnage écrit avec le plus grand soin. À mesure que l’on déroule la généalogie compliquée de Kathy Rain et que l’on lève le voile sur quelques mystères de sa ville natale, on se retrouve face à un jeu abordant des problématiques assez rares dans les jeux d’aventure.
Sans en dévoiler trop, notons par exemple que Kathy Rain est un des uniques jeux vidéo de ma connaissance à aborder la question de l’avortement, de la maltraitance parentale ou encore de la maladie mentale, dépeints comme autant de questions de société pertinentes à examiner sous toutes les coutures sans pour autant tomber dans un discours lénifiant ou documentaire. Si tous les personnages ne sont pas aussi attachants et réussis que l’héroïne, on a tout de même la satisfaction de voir ce casting ramassé véritablement exister et s’épaissir tout au long de l’enquête.
Kathy Rain aborde aussi en détail la question de la résilience, et la manière dont une jeune adulte peut faire face à ses traumatismes et à les surmonter métaphoriquement, à la manière de ce que nous avons pu voir dans le récent et très réussi Strangeland, dont je vous parlais il y a quelques mois. Ces confrontations sont parfois un peu lourdes voire carrément littérales : rarement un psychologue n’aura ainsi vu sa patiente « tuer le Père » de manière aussi fidèle (et à plusieurs reprises), mais ces exagérations sont plutôt au service d’un jeu qui sert à illustrer de manière très graphique le parcours de reconstruction de sa protagoniste.
Un point and click accessible et mesuré
Il y a, enfin, le plaisir de découvrir avec Kathy Rain un point and click absolument sublime, ne se déroulant certes que dans une dizaine de lieux différents, mais où chacun d’entre eux offre des décors et des panoramas somptueux avec une grande force évocatrice. Le tout est sublimé par la musique onirique et mélancolique de Daniel Kobylarz, qui installe progressivement un sentiment basculant du spleen du retour chez soi à une lancinante angoisse métaphysique.
Kathy Rain peut également compter sur un rythme soutenu : si l’aventure est relativement brève et se termine en moins de six heures, c’est aussi parce que la logique de ses puzzles et de ses énigmes ne vous bloquera que rarement très longtemps. Avec une courbe de difficulté très progressive, le jeu déploie des énigmes généralement assez simples qu’un poil de bon sens suffit à résoudre sans heurter le rythme de la narration. Quelques options de confort empêchent de se perdre et de tourner en rond plus de quelques minutes, à l’image des lieux de la carte qui deviennent inaccessibles une fois qu’il n’y a plus rien à y dénicher et d’énigmes à y résoudre.
Si on devait faire un reproche à Kathy Rain en matière de game design, tout juste aurait-on à chercher du côté des énigmes du dernier tiers, parfois un poil tirées par les cheveux et très « jeu vidéo » dans l’esprit, à l’image de cette séquence où il faut décoder un poème pour faire correspondre des mots et des lettres gravés sur une série de pierres tombales afin dénicher la combinaison d’un coffre situé dans un autre bâtiment. Mais ce genre de séquences un peu ringardes et ubuesques restent rares et dans l’ensemble, Kathy Rain reste un jeu cohérent et logique qui se traverse avec grand plaisir.
Kathy Rain : Director’s Cut a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur Nintendo Switch.
Il y a si peu de choses négatives à redire sur la folle aventure de Kathy Rain que je pense qu’il finira assez bon prétendant à figurer très haut dans la liste de mes jeux de l’année. L’aventure en est si joliment troussée et son héroïne si bien incarnée que j’étais dans l’impossibilité de lâcher mon écran, incapable de patienter une journée de plus avant de connaître le dénouement de l’affaire. Ses quelques errements (une énigme cassée par ici, une conclusion un peu confuse par là) ne parviennent pas à ternir les six heures d’un des tous meilleurs jeux d’aventure que nous aurons vus cette année. Kathy Rain méritait son remaster, ce dernier est une grande réussite, alors n’hésitez pas à lui donner sa chance.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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