Énième film vaguement interactif signé par le studio Supermassive Games, The Casting of Frank Stone transpose le concept dans l'univers de Dead by Daylight. C'est une réussite esthétique, et un naufrage prévisible pour à peu près tout le reste.
Vous savez quoi ? J'en ai marre de répéter encore et toujours la même chose à chaque projet de Supermassive. Blablabla, bonnes idées, blablabla tout s'écroule à mi-parcours, blablabla bugs, blablabla, ni fait ni à faire. Qu'est-ce que vous voulez que je dise de plus sur The Casting of Frank Stone, puisque c'est encore une fois exactement le même bazar ! Pendant deux ou trois heures, on enchaîne des séquences marrantes et on salue quelques bonnes idées, comme ici pouvoir revenir dans des scènes passées, façon banc de montage, pour explorer l'arbre des possibles scénaristique. On se surprend même à trouver l'habillage DBD tout à fait ok. Les fans seront ravis de retrouver les médikits, les générateurs, les poupées de tueurs et les thèmes musicaux iconiques de la série. Pire encore : on se retrouve sincèrement hypé par l'idée de découvrir la traque d'un même tueur à plusieurs époques différentes (1963, 1980 et 2024). Et puis, patatras, c'est reparti pour quatre à six heures de grosse salade scénaristique sans queue ni tête, pour des bugs à gogo, pour un moteur physique toujours aussi lamentable, et pour une fin en forme de mauvaise blague. La différence avec les précédents épisodes : on commence à mieux comprendre tout ce qui se passe du côté du studio, qui multiplie les lignes de production et les stratégies incohérentes, sans mettre les moyens en face.
Trois époques, jamais d'épique
Il faut mesurer à quel point le mot "bâclé" est encore trop généreux pour qualifier cet épisode. The Casting of Frank Stone nous met dans la peau de deux groupes d'imbéciles : les premiers en train de tourner un film dans une aciérie hantée, les seconds en train de se disputer les copies dudit film, deux générations de crétins déplaisants plus tard. Moi je veux bien, mais les multiples embranchements scénaristiques possibles (qui meurt dans le passé, qui s'embrouille avec qui dans le futur) se traduisent cette fois-ci par un montage ahuri, épileptique et saccadé. Passé quelques dizaines de minutes de jeu, chaque scène devient un découpage grossier où les plans et les cadrages rivalisent d'approximations et de cache-misères, particulièrement quand on s'engage sur des choix impopulaires. On sent que Supermassive Games voulait VRAIMENT que les personnages de Chris ou de Robert soient présents dans telle ou telle scène, parce que quand c'est pas le cas à cause d'un choix quelconque, le montage les découpe à la hache. On dirait de la censure dans une télé d'état dictatoriale où les scènes s'enchaînent sans grand souci de vraisemblance, mais où les coupes sont extrêmement visibles.
Plus on approche du dénouement, et plus les couleuvres à avaler sont ridicules, les justifications les plus puériles étant lancées au hasard pour tenter de lier le tout à coups de film maudit qui rend fou voyageant entre diverses dimensions. Une version marque pouce d'Alan Wake 2 sauce slasher, les séquences musicales rigolotes en moins. C'est pratique les dimensions parallèles, pas vrai ? On peut se contenter de faire crier aux personnages que toutes les incohérences proviennent de la dimension voisine qui s'est mélangée à la nôtre, something something multivers, et hop, on remballe. La tentative finale, scandaleuse de paresse, consistant à essayer de lier le tout à une "explication" d'un univers étendu Dead by Daylight qui n'en demandait pas tant.
Le plus rageant là-dedans, c'est que je vois très bien ce que The Casting of Frank Stone "aurait pu être". Le décor et les règles de son univers d'emprunt sont bien respectés, le jeu est très beau quand il ne bouge pas, le bestiaire affronté est original. Les rares séquences de gameplay (rares, même pour un Supermassive) sont loin d'être dénuées d'idées intéressantes. Mais non, rien ne marche, et chaque fois que l'aventure avance la moindre idée ou la moindre innovation, elle se retrouve jetée par la fenêtre à la séquence suivante qui part dans une direction complètement différente.
Les séquences sont d'ailleurs de plus en plus hachées et courtes à mesure que le jeu avance, donnant l'impression bizarre d'avoir à la fois bouffé trop de sucre et de ne plus avoir aucune capacité de concentration. Quelques-uns des 14 chapitres de l'intrigue s'en retrouvent réduits à quelques minutes, voire quelques secondes. Des secondes parfois truffées de dialogues sans aucune cohérence avec l'action et de faux raccords donnant l'impression que certains personnages ont oublié des éléments essentiels de l'intrigue. Voir trois demeurés s'étonner d'avoir perdu un objet essentiel à la quête principale quand ils ont volontairement remis ledit objet deux heures avant à leur hôte, comment dire, je m'en serais bien passé.
Crunch, les gros bugs qui croustillent
Comme je le mentionnais déjà dans ce dossier de 2022, la stratégie interne de Supermassive Games (et surtout de son calamiteux ex-patron Pete Samuels) face à une formule épuisée et des ventes en berne a été une intensification absurde de la production. Le tout sur fond de mauvaises décisions bizarres, comme sortir un jeu en exclusivité sur Stadia (vous aviez oublié Stadia), et de marketing mensonger. Souvenez-vous des "186 fins différentes" de The Quarry. Le tout en doublant les lignes de production : d'un côté, la poursuite effrénée de la saga Dark Pictures Anthology, de l'autre des jeux de commande pour le compte de gros éditeurs, en l'occurrence Behaviour Interactive, le taulier de Day by Daylight.
Ce qui devait arriver est donc arrivé : The Casting of Frank Stone est un jeu très visiblement expédié à la va-vite, sans avoir eu le temps nécessaire pour y mettre des choses aussi basiques que des QTE qui fonctionnent (c'est un enfer). Ou encore des séquences de poursuite dignes de ce nom, des mini jeux qui ne soient pas une torture ou un scénario terminé. Même la motion capture, habituellement un point fort au sein du studio, a des ratés évidents ici. Les personnages se figent parfois tels des playmobils, regardent dans le vide ou se désarticulent soudain sans raison valable.
Autre conséquence de ce management erratique et de cette culture d'intensification de la production sans souci de sécuriser ce qui fonctionne : une démission piteuse pour Pete Samuels, quelques semaines avant l'annonce d'un (énorme) plan de licenciement dans la boîte. Directive 8020, qui, croyez-le ou non, était initialement prévu pour cette année, vient d'être repoussé en catastrophe par le studio à un vague "2025". Supermassive Games promet à cette occasion un changement complet de formule, un jeu ambitieux comme jaja, davantage de choix et de séquences interactives. Le tout en continuant de travailler en parallèle sur le platformer Little Nightmares III, attendu dans les mêmes eaux. On ne change pas une formule qui fuit.
The Casting of Frank Stone a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur PlayStation 5 et sur Xbox Series.
La peine et la colère sont les deux seuls sentiments que m'inspirent The Casting of Frank Stone. La peine pour les petites mains qui ont travaillé là-dessus, sans visiblement le temps ni les moyens de livrer un produit fini, pour se retrouver partiellement sur le carreau à la fin. La colère, ensuite, parce que Supermassive Games s'enferme dans une formule ratée qui confine à l'arnaque alors que chacun de ses jeux propose des idées ou des concepts forts qui mériteraient beaucoup plus de considération. Vous avez mieux à faire que de dépenser 40 balles dans un produit cynique et incomplet. Particulièrement quand la scène du film interactif livre par ailleurs d'excellents spectacles autrement plus réussis, comme la saga Poe and Munro ou le fabuleux Immortality.
Les + | Les - |
- C'est assez beau (quand ça bouge pas) | - Truffé de bugs |
- L'univers de Day by Daylight, respecté et bien intégré à l'aventure | - Le moteur physique aux fraises |
- Quasiment aucune séquence de gameplay (et quand il y en a, elles fonctionnent à peine) | |
- Scénario inconséquent et bourré d'incohérences | |
- Personnages sous-écrits aux motivations invraisemblables | |
- Un jeu clairement commercialisé avant d'être fini |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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