Ambitieux remake d'un JRPG culte des années 90, Star Ocean The Second Story R se veut être une version modernisée d'une aventure époustouflante qui mélangeait science-fiction et fantasy et était en 1998 à la pointe en matière de gameplay et de narration.
Fut un temps, Square et Enix étaient deux entités rivales, cherchant à séduire le public à coup de franchises de jeux de rôle spectaculaires. Côté Enix, dans l'ombre du monumental Dragon Quest, les années 90 ont été l'occasion de tenter de développer des licences au ton un peu plus original, dont une sorte de Star Trek à la japonaise : la saga Star Ocean, développée par le studio tiers tri-Ace. Un quart de siècle plus tard, tout a changé : les deux firmes rivales ont fusionné, tri-Ace a périclité et ne livre plus que des suites sporadiques et calamiteuses de sa série, et Star Ocean n'a pas produit d'épisode potable depuis plus de vingt ans. Voilà qui pourrait laisser un goût amer en bouche, mais fort heureusement, Square Enix a entrepris une remise au goût du jour des premiers épisodes, via des améliorations de versions parues discrètement sur PSP dans les années 2000. Des remakes de remakes, en quelque sorte, la vie n'étant qu'un éternel recommencement. Il y a déjà quatre ans, Star Ocean First Departure R faisait un travail honorable de dépoussiérage des origines de cet univers. Mais les connaisseurs le savent : l'épisode qui a mis la marque sur le radar des amateurs de jeux de rôle, c'est un certain Star Ocean : The Second Story (alias Star Ocean 2), très régulièrement cité comme un des meilleurs JRPG des années 90. C'est ce dernier qui nous arrive dans ce que je considère être un des remakes les plus spectaculaires de cette année. En effet, il parvient, à la manière d'un certain Dead Space, à vous faire conserver les sensations de vos souvenirs d'époque tout en modernisant (presque) absolument tous les aspects vieillots de l'aventure.
Il vient du ciel, et les étoiles entre elles ne parlent que de ça
Soyons honnêtes : quasiment tous les changements apportés entre Star Ocean 2 version 1998 et Star Ocean The Second Story R sauce 2023 sont soit esthétiques, soit techniques. C'est déjà énorme, mais à peu de choses près, le cœur scénaristique du jeu n'a pas été touché. Je préfère le dire tout de suite : même si Star Ocean 2 est considéré par votre serviteur comme un des plus grands jeux de rôle de tous les temps, les innombrables bonnes idées de son scénario accusent quand même parfois leur âge. Et ce, tant au niveau de l'intrigue que du rythme, typique des jeux de rôle des années 90. Concrètement, il faut accepter que toute votre aventure commence très, très lentement, et ne décolle véritablement et livre ses enjeux que dans sa seconde moitié, qui reste épique et vertigineuse un quart de siècle plus tard.
Mais comme je le disais, Star Ocean 2 c'est aussi un fol avant-gardisme dans la manière de raconter son histoire pour un JRPG, et les bonnes idées d'antan sont toujours pertinentes. D'une part dans sa manière d'arriver à être une parfaite porte d'entrée tout en étant respectueux de l'héritage du premier jeu, mais surtout en vous proposant un choix initial de personnage principal qui va assez largement influer sur la tonalité et le déroulé du scénario. Si vous incarnez Rena la magicienne vivant sur une planète médiévale ou si vous choisissez Claude, le jeune militaire naufragé d'une civilisation avancée venue des étoiles, la narration du jeu en sera assez largement modifiée.
Du point de vue de Rena, on assistera à une histoire assez classique de fantasy révélant petit à petit des éléments de science-fiction de plus en plus étrangers à ce qu'elle a connu jusque-là dans sa vie. Du côté de Claude, c'est l'inverse : un space opera aux proportions intergalactiques qui va progressivement se teinter d'éléments fantastiques et de la découverte d'une civilisation alien évoquant davantage Tolkien que The Expanse.
Les deux scénarios se distinguent ainsi par les personnages recrutables (certains sont exclusifs à Claude ou à Rena), par des changements de perspective assez nets et même, d'une certaine manière, par la manière dont les enjeux sont exposés. Dans les deux cas, on sera toujours épaté, après tant de temps, de retrouver un casting à la fois riche, mature, et capable de se pencher sur des enjeux traditionnellement complètement absents des JRPG de cette époque : le sexe, le mariage, la géopolitique, la maladie ou la paternité sont tour à tour évoqués de manière assez frontale et juste. Et sans révéler plus avant le fond de l'affaire, on dira simplement que le dernier tiers du scénario du jeu a un côté assez radical et extrême, rarement rencontré dans ce type d'aventure. Et s'il est à nouveau possible de se replonger là-dedans (à condition de surmonter les cinq premières heures un peu molles), c'est en grande partie grâce au travail stupéfiant de modernisation engagé par le studio Gemdrops. Un travail exemplaire, lui-même basé sur le premier remake qui avait été confié à Tose pour les dix ans du jeu.
Grind Fest Auto
Mais Star Ocean 2 c'était, aussi, un niveau de difficulté globalement déséquilibré, un gameplay très axé sur des combats follement répétitifs, et un appel constant au grind. En ligne droite, le jeu n'est pas si long, mais il n'était, à l'époque, pas question de laisser des joueurs aller tout droit. Alors, dans Star Ocean 2 on se perdait, on se heurtait à des monstres invincibles, on farmait des niveaux pendant des heures dans l'espoir de rattraper la puissance exigée par l'intrigue. Ce qui semblait absolument normal à l'époque où les JRPG de ce calibre étaient rares (et devaient donc nous occuper longtemps) fait désormais figure de plaie. Et tout a été fait pour que cet aspect soit très, très largement facilité.
En clair : Star Ocean The Second Story R ne se contente pas de moderniser ses combats et son système d'XP. Il le fait en vous proposant tout un tas de dispositifs permettant d'accélérer radicalement le processus de montée en puissance de votre équipe. Dans chaque ville traversée, une guilde va vous donner des missions vous orientant assez clairement sur les compétences secondaires à développer, et vous récompensera grassement en argent et en XP à chaque quête achevée. Ces quêtes vont rapidement vous faire débloquer des compétences, elles-mêmes liées à des super-compétences, qui vont par exemple vous permettre de coller un multiplicateur de 30 % d'expérience récoltée à tous les combats du jeu. Et ces mêmes combats vont mécaniquement valider des achievements internes au jeu (tuer 1000 ennemis, résoudre un combat en moins de 5 secondes, etc.) qui sont eux-mêmes liés à un système de récompense automatique extrêmement généreux. Bref : le jeu vous noie sous l'XP et sous l'argent du début à la fin de l'aventure.
Il fallait bien cela pour que Star Ocean The Second Story R soit une expérience agréable en 2023. Il est loin d'enlever tout challenge, du moins en mode de difficulté intermédiaire sur les trois que propose le titre. Mais ce retravail rééquilibre au contraire le gameplay pour que l'aventure principale soit assez facile à traverser et que les missions et les donjons annexes, eux, continuent de mobiliser toutes les compétences nécessaires. Un exemple : pour recruter Opera (un des personnages annexes et optionnels du jeu), on doit parcourir un donjon effroyablement long bourré de combats plutôt corsés. Comme à l'époque, cette épreuve est rude, mais elle ne nécessite plus trois heures de grind préalable ET offre désormais pour récompense une pluie de points de compétence qui en vaut la chandelle.
Le GPS du routard galactique
Cette progression retravaillée et facilitée est doublée par une structuration beaucoup plus claire de la quête principale. En 1998, laisser errer les joueur·euse·s en ne leur donnant rien d'autre qu'un objectif relativement vague n'était pas un problème : il fallait de toute façon un peu de vagabondage pour collecter l'expérience nécessaire à la progression. En 2023, Star Ocean The Second Story R vous indique au contraire non seulement assez clairement où aller, mais aussi QUAND y aller. Il est ainsi devenu beaucoup plus difficile de passer à côté des nombreuses quêtes annexes parfois tellement planquées qu'il était auparavant quasiment impossible de tomber dessus sans avoir acheté la solution du jeu chez votre marchand de journaux préférés.
Et même de ce point de vue, Star Ocean The Second Story R parvient à garder son équilibre : il y a toujours des trucs et des machins planqués dans tous les sens, certains personnages secondaires restent assez bien dissimulés, mais nous avons maintenant une boussole générale qui nous dit, à intervalles réguliers des trucs du genre "Hm, nous n'avions pas croisé untel qui nous a dit qu'il allait dans telle direction ?". C'est assez naturel et fluide, sans jamais donner l'impression d'accomplir l'aventure en pilote automatique.
Il en résulte tout de même quelque chose qui se différencie beaucoup de l'expérience d'origine : c'est, fatalement, beaucoup plus court. Les combats ont été accélérés, la quête principale est mieux guidée, les activités annexes sont moins fastidieuses, certes, mais en conséquence, cela donne l'impression de jouer à une aventure beaucoup plus ramassée et rapide, à moins de vouloir retourner chaque pierre et accomplir chaque microquête annexe disponible. En ligne droite, vous pouvez désormais sans peine boucler Star Ocean The Second Story R en moins de vingt heures, ce qui, en 1998, aurait été considéré comme un speedrun remarquable. Même en prenant votre temps, il est improbable de ne pas arriver au générique de fin en trente ou quarante heures. Il y a 25 ans, il vous en aurait fallu au minimum le double.
C'est sans doute pour le mieux et c'est même à mettre pleinement au crédit de ce remake exemplaire. Mais cela enlève aussi, certainement, un tout petit peu de mystère et de magie d'antan qui consistait à se perdre parfois bien trop longtemps dans une histoire que l'on soupçonnait infinie et dantesque. Un quart de siècle plus tard, Star Ocean The Second Story R n'est plus qu'un excellent récit de SF interactif. J'ai bien moins eu l'impression d'être un explorateur vivant une grande aventure de passage à l'âge adulte que d'être un auditeur tranquille me faisant narrer une bien jolie histoire. Mais, au fond, c'est déjà formidable.
Star Ocean The Second Story R a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur Nintendo Switch et PlayStation 4 et 5.
Star Ocean The Second Story R est un remake que l'on pourrait rapprocher d'expériences à la Yakuza Kiwami : un jeu qui vous livre l'essentiel de vos souvenirs dans un discret écrin aux couleurs de 2023. Une refonte graphique, stylistique et sonore impressionnante, mais surtout une modernisation assez ambitieuse des mécaniques sous-jacentes qui faisaient le sel de la série, voici le petit exploit réalisé par Gemdrops sur cette nouvelle version. Je ne suis pas certain que ce travail titanesque soit tout à fait suffisant pour séduire un large nouveau public, néanmoins, Star Ocean 2 reste une pièce de musée témoin de l'excellence de son époque d'origine en matière de jeux de rôle. Mais je pense qu'on a tous et toutes beaucoup de choses à apprendre en s'intéressant de temps à autre à ce genre d'objets patrimoniaux.
Les + | Les - |
- Remake exemplaire | - Le début du jeu reste assez poussif |
- Nouvelle traduction française impressionnante | - Bande-son remasterisée un peu loupée |
- Histoire toujours au top 25 ans plus tard | |
- Difficulté très modulable | |
- Refonte bienvenue des combats et de la gestion de l'XP |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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