Plus d’un an après sa sortie sur PC, Silver Chains, premier jeu des Russes de Cracked Head édité par Headup Games, débarque sur PS4, Switch et Xbox One. Un jeu qui brasse les classiques, d’aucuns diraient les poncifs, des récits de maison hantée.
Je n’ai aucun désamour particulier pour les jeux aux esthétiques gores, gothiques, sombres ou inspirées du cinéma d’épouvante. Mais il faut quand même bien admettre que ces jeux sont souvent… compliqués. Trop régulièrement lourdement influencés par les codes cinématographiques du found footage, bourrés de jump scares faciles et peinant à masquer une absence de gameplay sous un océan de poupées moches et de reflets effrayants dans des miroirs ternes, je trouve que les jeux horrifiques de ces dernières années ont tendance à tous beaucoup se ressembler. Même si des efforts conséquents continuent d’être produits par certains studios pour renouveler le genre, il me semble que le style est un peu dans la même impasse que son équivalent cinématographique : misant tout sur des moments choc pour faire sursauter le spectateur, et recyclant à l’envi ambiances et péripéties convenues. Silver Chains, lui, colle de si près à la formule « couloir, apparition effrayante, maison hantée moche, énigme pas très intéressante, histoire racontée maladroitement par des feuilles manuscrites » qu’on le croirait écrit par un générateur de jeu horrifique. Jamais très effrayant, Silver Chains possède quand même quelques qualités sous un monceau de clichés fastidieux.
On avait dit pas les mamans
Comme d’habitude, un accident quelconque, en l’occurrence d’une voiture suggérant au joueur amateur de vieilles guimbardes que nous sommes dans les années 1910, va conduire un anonyme protagoniste à trouver refuge dans un lugubre manoir perdu au fond des bois. Bien vite, la demeure en question va s’avérer être une immense prison potentiellement mortelle : toutes les pièces sont fermées, divers objets, leviers et interrupteurs y sont cachés partout, et une entité mystérieuse semble vouloir nous pousser à résoudre l’ensemble de ces puzzles pour une raison mystérieuse.
Tout aussi mystérieuse que l’incapacité de notre héros à contourner les énigmes, se retrouvant très régulièrement bloqué par des trous de cinquante centimètres de large, de petites planches en bois bloquant une porte ou encore une inaptitude manifeste à ne serait-ce qu’essayer d’ouvrir la porte d’entrée ou une fenêtre, donnant l’impression d’être enfermé parce qu’on le veut bien. Si Silver Chains a parfaitement raison de concentrer son action dans un environnement étroit (le manoir est plutôt petit), la manière dont le joueur est poussé à l’explorer n’est pas très élégante : de nombreux artifices en forme de murs invisibles ou d’actions impossibles à accomplir alors que rien ne semble s’y opposer ralentissent très artificiellement la progression du joueur dans le domaine. On est loin des standards posés par un Resident Evil VII il y a quelques années, ou de l’imagination débordante de la série Layers of Fear.
En réalité, cette impression d’être davantage dans un escape game très artificiel que dans une expérience horrifique ne serait pas tellement gênante si l’emballage scénaristique n’était pas aussi convenu, sans être déshonorant. On découvre ainsi très vite que la maison est hantée par une version monstrueuse de la maîtresse de maison, rendue folle par une tragique malédiction et très désireuse de massacrer le joueur pour une raison qui se devine depuis l’espace. Les seuls moments de frayeur sont donc concentrés dans de courtes apparitions fantomatiques qui surgissent devant l’écran de manière brutale (ça fait sursauter, mais de là à dire que ça fait peur…) et par quelques phases de course-poursuite morne avec la terrible maman… Ce qui pourrait instaurer un peu de tension si le jeu ne montrait pas ostensiblement au joueur les placards dans lesquels se planquer à tout bout de champ.
Lors des 7 heures qu’il m’a fallu pour boucler le jeu, je n’ai eu l’impression d’être mis en danger qu’une seule fois (à la suite d’un bug mineur m’empêchant de me planquer dans une garde-robe). En réalité, l’incapacité de cette ogresse à nous retrouver dans une pièce comportant une seule cachette prête un peu à sourire, et on finit par presque oublier qu’on est dans une maison hantée, d’autant que le reste de la narration repose intégralement sur d’austères feuilles de journal intime à retrouver dans le désordre et nous livrant une histoire d’enfants décédés hélas très prévisible… Bref, rien que du classique, trop classique.
Une expérience presque épouvantable
Silver Chains ne manque cependant pas d’aspects intéressants : une fois avalée l’idée que notre héros ne peut pas enjamber un muret de 10 centimètres ou insister un peu pour ouvrir une porte, on trouve quand même quelques bons moments, jouant sur le fait que le manoir à explorer est relativement petit mais parcouru de nombreux secrets, portes dérobées et chemins de traverse : l’aire de jeu est minuscule, mais parfaitement utilisée. Et la progression consistant à débloquer petit à petit les portes et passages secrets de la maison donne réellement l’impression de « progresser » et de devenir meilleur. En somme de reprendre petit à petit le contrôle des lieux à mesure que la conclusion se dessine.
Hélas, la plupart du temps, les énigmes sont d’un niveau assez faible et pas passionnantes : recoller quatre bouts de photos éparpillées dans une pièce (le pixel hunting dans des textures sombres et assez moches, on adore), orienter des bidules dans le bon sens pour ouvrir une porte, pousser une armoire pour contourner une pièce close… Pour l’essentiel, Silver Chains se contente d’allonger la sauce en vous faisant crapahuter de nombreuses fois d’un bout à l’autre du manoir… Où il ne se passe strictement rien jusqu’à la prochaine séquence scriptée. Le rythme ne cesse ainsi de retomber, et il arrive qu’on s’ennuie pendant cinq, dix, quinze minutes avant que le prochain événement survienne. D’autant plus compliqué à accepter que le jeu se boucle entre 4 et 8 heures selon votre capacité à comprendre la logique de toutes les énigmes. Avec une expérience si courte, peut-on se payer le luxe d’avoir un ventre mou ?
Une douille dans le portage
Il faut hélas signaler que le portage PS4 que nous avons eu entre les mains n’est pas franchement réussi. Si l’esthétique suit à peu près, il n’en est pas de même pour la maniabilité du jeu, qui s’avère vraiment limitée tant il est évident que Silver Chains a surtout été pensé pour être joué à la souris et non au pad. Les objets sont difficiles à sélectionner, les menus s’ouvrent de manière pataude, la lisibilité des différents documents récoltés n’est pas idéale… Et quelques énigmes deviennent même quasiment injouables, à l’image de cette séquence où on doit utiliser un bâton pour récupérer une clé en accomplissant un long QTE nécessitant de maintenir un pointeur dans une certaine position… ce qui s’avère presque impossible avec une manette Playstation 4. Dommage !
Je voudrais cependant défendre Silver Chains sur le front de la direction artistique : pour un jeu à petit budget, il s’en sort assez honorablement. Si le jeu ne fait jamais peur avec son bestiaire de poupées hantées et de planches de oui-ja vu et revu, le tout est quand même assez joli, avec un sound design particulièrement soigné et un jeu très agréable sur les lumières et la perception des volumes et des espaces. En gardant à l’esprit qu’il s’agit d’un « petit jeu », et aux réserves émises dans l’encadré ci-dessus près, Silver Chains livre une expérience globalement fluide et agréable à l’œil. Dommage que cela ne serve pas un propos plus original ou un jeu plus intéressant.
Silver Chains a été testé sur PS4 via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu est précédemment sorti sur PC, et est également disponible sur Switch et Xbox One.
Visiblement plein de bonnes intentions, Silver Chains ne souffre pas trop de sa réalisation un peu limitée, mais bien davantage de son immense conformisme vidéoludique. L’ambiance est morne, on s’ennuie beaucoup, et l’essentiel de la tension narrative de cette courte histoire de maison hantée repose entièrement sur des jump scares qui ne démériteraient pas à la Foire du Trône : Silver Chains ne convaincra que les inconditionnels du genre. Gardons cependant à l’esprit qu’il s’agit du premier jeu du studio, et que les nombreuses petites idées qui foisonnent le long de l’aventure sont assez prometteuses. Espérons que l’expérience acquise sur le titre leur permette de sortir quelque chose de plus ambitieux par la suite.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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