Premier jeu du studio brésilien 40 Giants Entertainment, Reverie Knights Tactics est un tactical RPG condensé et exigeant, dont l’expérience s’approche presque d’un puzzle game à choix moraux.
Ces dernières années, de nombreux petits studios, indépendants ou non, ont tourné autour de l’héritage des tactical RPG des années 1990/2000 : on pense à Ikenfell, Fell Seal : Arbiter’s Mark, Wintermoor Tactics Club, Chroma Squad ou encore Rise Eterna. Aucun n’a cependant tout à fait réussi à devenir le nouveau jeu de référence en la matière, capable d’installer définitivement un nouvel étalon de la tactique vidéoludique. Reverie Knights Tactics n’a sans doute pas cette prétention avec son approche modeste, assez guidée (voire guindée) de la narration et de la progression de ses personnages. Cependant, il fait le pari de transformer chaque confrontation en astucieux ensemble de petits puzzles à résoudre, au prix d’un équilibrage parfois raté et d’un scénario assez faiblard.
Voyage au bout de l’ennui
Commençons par évacuer le défaut le plus irritant de ce jeu fort sympathique : Reverie Knights Tactics est un RPG bigrement mal écrit, ou du moins souffrant de péripéties assez mal mises en scène. On y suit le périple d’Aurora, une jeune magicienne sur les traces d’une expédition périlleuse chargée de retrouver les éventuels survivants d’une précédente équipe partie explorer les ruines d’une grande ville elfe décimée par des Orcs, eux-même s’étant vengés de terribles pogroms. En chemin, Aurora est accompagnée de la joyeuse tank Brigandine, du hautain lancer raciste elfe Fren, et d’un robot s’exprimant à la troisième personne et tirant des lasers et des sorts de soins. Aurora va devoir faire des choix, découvrir le pouvoir de l’amitié et peut-être avoir des révélations sur son propre passé et sur son destin etc. Vous avez l’impression que j’en rajoute un peu ? Hélas, c’est un peu dans ce registre que Reverie Knights Tactics déploie son propos pendant une vingtaine d’heures fastidieuses.
Sans être indigne, l’univers sent vraiment le réchauffé. Les dialogues sonnent de manière assez peu naturelle, les péripéties sont convenues au possible, et plus le jeu avance et moins le scénario semble consistant – le dernier chapitre étant par exemple constitué d’un long enchaînement de batailles quasi muettes, comme si les personnages du groupe ne savaient même plus quoi dire devant tant de platitude. Certes, on est surtout là pour s’écharper sur des champs de bataille, mais on aura vu plus immersif que ce groupe de quatre andouilles aux interactions pas franchement naturelles ni agréables.
On sauvera néanmoins de cette écriture extrêmement faible le système de choix moraux. Il est formellement assez banal : on a régulièrement le choix entre agir rapidement et brutalement ou privilégier l’empathie et la subtilité. Mais certains actes ont une véritable influence sur le déroulé du jeu. Des affrontements et les relations entre les membres de l’équipe peuvent être lourdement affectés par les décisions d’Aurora, et les compétences débloquées à haut niveau dépendent lourdement de choix effectués en amont.
Vous pouvez donc privilégier la violence et le chaos, mais c’est au prix d’une équipe aux pouvoirs plus brutaux et difficiles à contrôler. En revanche, une équipe trop obéissante et pétrie de bonne morale aura de meilleures capacités défensives mais des faiblesses d’attaque irritantes. Rien de révolutionnaire mais ce système est présenté tôt et de manière limpide, permettant de modeler l’aventure en fonction de ses préférences. Cependant, la nature profonde de Reverie Knights Tactics n’en sera pas changée : davantage qu’un jeu de tactique, il s’agit à mon sens d’un puzzle game.
Prenez le coffre et lancez-le quatre fois sur l’orc
Dans la plupart des RPG tactiques, on attend de vous que vous placiez vos unités de manière opportune pour vaincre une série d’unités en utilisant les bonnes compétences. Bref, c’est une version enrichie et plus chaotique du go, des échecs ou du shogi. Formellement, c’est le cas de Reverie Knights Tactics : vous déplacez vos unités sur une grille, c’est au tour par tour, et chaque carte s’achève quand une des équipes n’a plus d’unité en vie.
L’idée centrale du jeu tient toutefois au fait que chaque bataille complétée ne vous donne en réalité qu’une fraction de l’expérience nécessaire pour faire progresser vos personnages. Chaque map propose des objectifs secondaires, généralement deux ou trois, lesquels livrent des bonus conséquents accélérant la croissance des combattants. De plus, les cartes sont couvertes d’objets destructibles (coffres, tonneaux…) vous conférant des objets bonus, lesquels permettent de crafter des objets défensifs et offensifs au camp de base.
L’évidence s’impose dès le premier chapitre : vous pouvez tout à fait foncer dans le tas et ignorer ces objectifs secondaires, mais au prix d’un sous-développement chronique de vos compagnons faisant brutalement augmenter le niveau de difficulté par la suite, faute d’objets de soin, de bombes, de pouvoirs débloqués etc. Chacune des batailles du jeu (il y en a une quarantaine) doit donc être accomplie dans l’objectif de récupérer un maximum d’objets et d’objectifs secondaires… Ce qui transforme chaque combat en une mécanique qui n’est pas sans rappeler Into the Breach, puisqu’il sera très souvent question de pousser les ennemis à se positionner de manière précise à tel ou tel endroit pour les faire agir malgré eux.
Par exemple, ces conditions peuvent consister à pousser un ennemi dans un trou, en tuer deux à la fois, récupérer des coffres avant les adversaires, ou encore à vaincre quelqu’un en utilisant un piège posé dans le décor. Des épreuves assez variées, qui se renouvellent presque jusqu’à la fin et poussent à exploiter une fonctionnalité intéressante du jeu : chacun de vos quatre personnages ne peut embarquer avec lui que trois pouvoirs spéciaux et trois pièces d’équipement. Et vous allez devoir optimiser chaque bataille en fonction de ce que vous devez faire, que ça consiste à causer des brûlures, pousser ou tirer un adversaire, effectuer un coup critique… Chaque personnage a de nombreux coups spéciaux mais vous ne pouvez en choisir qu’une poignée à la fois et créer des synergies entre vos personnages pour, par exemple, figer un personnage avant de lui appliquer un débuff puis de le pousser contre une statue qui finira par tomber sur un archer embusqué. Sans ces objectifs secondaires, Reverie Knights Tactics ne serait pas très intéressant. Avec eux, il acquiert le statut de jeu très solide.
Une fuite en avant qui mériterait un peu d’équilibrage
On regrettera cependant que la structure même de l’aventure, présentée comme une fuite en avant dans une forêt maudite, puis derrière les lignes ennemies, autorise des retours au camp de base mais pas vraiment de droit à l’erreur dans la complétion des missions ou le choix des compétences lors des passages de niveau. En effet, il suffit de quelques choix malheureux ou d’une poignée de missions imparfaitement complétées pour se retrouver avec des compétences inadaptées, aucun objet de soin en poche et une équipe en lambeaux incapable de survivre plus de trois rounds à la bataille suivante.
Si je n’ai jamais été véritablement bloqué dans Reverie Knights Tactics, j’ai à plusieurs reprises fait face à d’énormes murs de difficulté, résultat de missions remplies à moitié deux heures plus tôt, ou pire, d’un simple manque de bol dans le loot des différents coffres et tonneaux ramassés en route. C’est une autre des limites du jeu : votre équipe est lourdement dépendante d’objets qu’il faut crafter entre les missions, objets qui dépendent eux-mêmes d’ingrédients distribués de manière semi-aléatoire dans les contenants destructibles de chaque mission. En clair, si une bataille située peu avant un boss vous file des herbes (pas très utiles) au lieu de fruits ou de baies (utilisées pour crafter de puissants objets de soin), la difficulté du combat suivant peut s’en trouver complètement déséquilibrée. Et comme il est littéralement impossible de monter de niveau en rejouant des missions, on peut très bien se retrouver proche de l’impossibilité mécanique de vaincre tel ou tel boss de fin de chapitre. Dommage, un peu d’équilibrage supplémentaire n’aurait vraiment pas fait de mal.
Mise à jour du 2 février 2022
Il semble que je ne soit pas le seul à avoir eu des problèmes liés au management de l’inventaire et du loot et à la courbe de difficulté parfois absurde qui en résultait. Les développeurs du jeu viennent donc de mettre en place une mise à jour consacrée à la « qualité de vie » : rééquilibrage de quelques détails, ajout d’un mode de difficulté intermédiaire, quelques items supplémentaires donnant la possibilité de réattribuer des points de compétences, etc. Une initiative bienvenue.
On regrettera enfin que le jeu, globalement très bien rythmé, se retrouve un peu haché par quelques séquences hors de propos à base de phrases musicales à répéter, de dessins à reproduire ou de coffres à crocheter, voire de séquences fastidieuses de pixel hunting dans des décors. Non pas que cela n’ait pas fondamentalement sa place dans un tactical RPG, mais encore aurait-il fallu en faire quelque chose d’un minimum intéressant à jouer. Or, vous savez, les mini-jeux de crochetage le sont rarement, et celui de Reverie Knights Tactics ne fait hélas nullement exception.
Reverie Knights Tactics a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Avec son premier jeu, 40 Giants Entertainment rend une copie très correcte, sans être révolutionnaire. Poussant à multiplier les approches stratégiques et misant beaucoup plus sur la qualité que sur la quantité, Reverie Knights Tactics parvient à capter l’attention sur la vingtaine d’heures de gameplay qu’il propose. Dommage que le jeu ait des faiblesses scénaristiques évidentes et un équilibrage de la difficulté un peu bizarre, sans quoi il se poserait en véritable incontournable de ce début d’année.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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