Dernier titre en date à être publié par Devolver Digital, Pepper Grinder est presque le cliché des jeux mis en avant par l’éditeur depuis plusieurs années. Petite équipe de studio indé, patte visuelle qui attire l’œil, marketing extrêmement efficace, gimmick prometteur et… déception une fois arrivé sur nos écrans. Le pattern est malheureusement devenu assez identifiable, et on se souvient encore trop bien des Gunbrella, Cult of the Lamb, Card Shark, Carrion, My Friend Pedro, Bleak Sword ou Olija, qui nous ont fait passer de l’attente enthousiaste à la déception du pétard mouillé.
Ça ne veut pas dire que tout ce qui sort de chez Devolver est systématiquement raté ou décevant, mais, à peu de choses près, j’ai l’impression que seuls les devs un peu expérimenté·e·s (c’est-à-dire avec plusieurs jeux derrière eux) arrivent à tirer leur épingle du jeu, pour accoucher de titres comme The Cosmic Wheel Sisterhood, McPixel 3, Disc Room ou Terra Nil. Bref, l’impression que Devolver mettrait le paquet sur un marketing très efficace, avec leur image de sales gosses, leurs conférences autrefois subversives, mais qui ressemblent un peu plus chaque année à une parodie d’elles-mêmes, leurs trailers survitaminés et ultra-prometteurs et leurs community managers qui maitrisent pleinement les codes des réseaux sociaux et savent régulièrement jouer avec la viralité. Mais tout cela ne saurait remplacer, j'en ai peur, un accompagnement des jeunes ou petits studios qu’ils prennent sous leur aile.
Le forage en règle
Car c’est bien de ça, dont semble souffrir Pepper Grinder. Sur les premiers niveaux, le gimmick de la foreuse, décrit par Ahr Ech comme une combinaison de Dig Dug et Ecco le Dauphin, fonctionne à merveille. C’est fluide, nerveux, fun même, et on traverse ainsi le premier monde avec beaucoup de plaisir, forant à travers les environnements et ennemis, dans un sympathique enchainement de combats, de plateforme 2D et d’une légère exploration à tendance puzzle game. Et puis arrive un niveau bonus assez imprécis, puis un boss terriblement ennuyeux, puis une mécanique de grappin au mapping complètement contre-intuitif, on se dit que la fête est finie, mais non, d’autres idées géniales fleurissent ici et là, que ce soit côté mécaniques ou level design, avant de retourner se vautrer dans des boss nullissimes et autres aberrations de game design.
En à peine quatre heures, Pepper Grinder parvient à tirer le meilleur et le pire de son gimmick, provoquant un épuisant rollercoaster d’amusement et de déception, qui s’achève sur un des pires combats de boss qu’il m’ait été donné de voir. Et j’ai rejoué à Super Meat Boy Forever récemment, c’est dire. Ce qui me ramène à la question de l’accompagnement, car c’est un aspect que j’ai l’impression de voir dans pas mal de titres estampillés Devolver ces derniers temps. Il est impossible de déterminer, de là où j’écris, si Ahr Ech n’a pas reçu les conseils et critiques nécessaires, s’ils ont refusé de les écouter, si Pepper Grinder n’a pas eu assez de playtests, mais j’ai la conviction que quelque chose a déraillé durant la production. Certains aspects de game design sont trop absurdes, trop cassés et le jeu est trop bancal et inégal pour que le tout soit validé sans qu’au moins un chainon n’ait failli à un moment.
Je trouve malheureusement que Pepper Grinder est en l'état un jeu médiocre, mais ça ne m’a pas empêché de m’y amuser le temps de quelques niveaux et séquences vraiment réussis, et surtout de me rendre compte que son potentiel était grand, et que son gimmick méritait pleinement qu'on en tire un jeu complet, et qu’un éditeur mise dessus. C’est donc d’autant plus décevant de constater que les aspects les plus ratés auraient pu être largement corrigés. J’en reviens encore aux boss, car c’est, je trouve, la partie la plus catastrophique du titre et la plus représentative pour appuyer mon propos. Il y a quatre boss, dans Pepper Grinder, et les quatre boss se déroulent de la même manière : ce sont d’immenses sacs à PV, au nombre de patterns famélique, dans des arènes fermées. Notre personnage a peu de points de vie, fait peu de dégâts et les combats ne proposent pas de checkpoints. Résultat, on se retrouve face à des épreuves d’endurance ridiculement longues, punitives et en même temps ennuyeuses.
T'es pas le boss du mois
Rien qu’avec cette description, je trouve que l’aspect boss fight est raté. Mais les défauts de game design ne s’arrêtent pas là. Il est possible, via un magasin accessible depuis la carte de chaque monde, d’acheter des points de vie supplémentaires. Ces derniers sont temporaires, c'est-à-dire que leur perte est définitive, à la manière d’un cœur de pierre dans The Binding of Isaac. Ce qui signifie que quand on meurt une première fois face à un boss (ce qui arrive souvent), si l’on veut retenter le combat avec plus de quatre points de vie, il va falloir quitter le niveau, retourner au magasin, racheter ses points de vie, puis retourner dans le niveau du boss, revoir la cinématique, etc. Voire refaire le segment de niveau qui précède le combat de boss. Il en est de même pour les points de vie bonus que le jeu pourra donner en début de combat : si on meurt à la première tentative, ces PV ne seront pas redonnés.
Je ne peux pas croire que cet aspect n’ait pas été relevé en playtest comme étant parfaitement absurde. J’en finis définitivement avec les boss, mais tous ces défauts sont encore plus rageants quand on constate, durant le troisième boss du jeu, que le combat est précédé d’une séquence très bien rythmée et très bien conçue de poursuite en camion, qui aurait fait office, pour le coup, d’un excellent niveau de fin d’acte. Mais non, la scène dure une poignée de minutes, puis enchaine sur le vrai boss, qui, lui, est complètement raté. Comment, en testant le jeu, on n’en vient pas à la conclusion que le gameplay et le gimmick du jeu ne sont absolument pas faits pour des combats en arène contre un sac à PV, alors qu’une séquence de runner fonctionne à merveille et aurait complètement fait l’affaire. C’est non seulement incompréhensible, mais extrêmement frustrant.
Et c’est un peu ce qui va rythmer toute l’aventure : de chouettes idées, ruinées par une exécution malheureuse. Si certaines mécaniques (les canons ou le grappin à balancier, par exemple) ne sont pas assez précises, la plupart des idées de gameplay sont bonnes. Les différentes altérations de l’environnement sont malignes et efficaces et permettent un renouvellement constant dans la manière d’appréhender la mécanique de forage et le level design. Les changements temporaires d’armes ou de déplacements, allant de la motoneige au gros mécha, en passant par la mitrailleuse, sont tous amusants à manier et donnent lieu à des séquences d’action nerveuses et décérébrées. Mais tout est plombé par une philosophie inutilement punitive. Les checkpoints sont trop éloignés, ne soignent pas notre personnage, qui a de base très peu de points de vie et peu de moyens de se régénérer. Résultat, une séquence super fun l’est un peu moins à la quatrième tentative, et devient exaspérante à la sept ou huitième. Tout n’est question que de quelques réglages, de quelques options d’accessibilité ou de confort de vie, comme si le jeu refusait constamment que l’on s’amuse avec, quand tous les systèmes sont justement conçus pour du fun immédiat. Aucun aspect qui aurait dû échapper à un playtest, de la part d’un éditeur aussi conséquent et bien installé que Devolver.
Pepper Grinder a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Il est également disponible sur Nintendo Switch.
Avec son esthétique colorée, son superbe pixel art, son level design inventif, son gimmick fun et généralement bien exploité et décliné, Pepper Grinder avait tout du petit indé fun et nerveux, dont l'aventure très courte aurait été compensée par la volonté de trouver tous les collectibles et battre tous les chronos. Malheureusement, tout est également conçu dans le titre de Ahr Ech pour que quasiment chaque séquence un peu amusante soit plombée par un game design punitif et mal conçu ; que chaque monde s'achève sur un boss encore un peu plus nul que le précédent. Un gâchis énorme, à quelques ajustements et décisions d'être une bonne expérience.
Les + | Les - |
- Esthétique et pixel art très jolis | - Les boss sont épouvantables |
- Ça bouge très bien | - Les checkpoints sont souvent mal placés |
- Plein de bonnes idées dans l'exploitation du gimmick | - Des aberrations de game design |
- C'est quand même très court |
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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