Jeu d’action à la narration trouble, Olija est un titre étonnant qui peut compter sur son ambiance romanesque pour susciter la curiosité.
Avant de reparaître à l’été 2020 sous l’égide éditoriale un brin dévorante de Devolver Digital, Olija s’était dévoilé en vidéo début 2018, quelques mois après la sortie de BackSlash, précédent jeu de son développeur, Skeleton Crew Studio. Loin de débarquer de nulle part, Olija trouve ses origines dans les précédents jeux portés par Thomas Olsson, game designer du studio kyotoïte. Le développeur français a, au fil des projets, travaillé son style visuel bien à lui, dont les influences venues de l’Another World d’Éric Chahi se faisaient déjà sentir, les détails du pixel art s’effaçant derrière les surfaces monochromes et l’attention minutieuse dédiée aux animations des personnages. L’héritage est désormais revendiqué : ce nouveau titre tisse une aventure en 2D à mi-chemin entre le jeu d’action et le jeu de plateforme cinématique. Comme un autre écho aux années 1990 et cette « exception française » qui s’est toujours plu à mettre en avant la figure de l’auteur, Olija est d’ailleurs signé du nom d’Olsson. Mais comme on a pu s’en rendre compte il n’y a pas si longtemps, arriver à une narration se voulant aussi discrète que profonde, les deux faces d’une médaille flirtant avec le métaphysique, est un exercice délicat. Déroulant une histoire sans prétention mais aux thèmes universels, Olija arrive à relever le défi, son auteur et l’équipe de développement qui le soutient ayant pesé avec justesse l’ambition que sa création nécessitait.
Tricorne pour sombre héros
Faraday est un jeune lord, impuissant face à la famine qui ronge son village. Parti sur un vieux navire en compagnie de quelques hommes, il mène la chasse à une gigantesque baleine qui ne tarde pas à inverser les rôles, réduisant en miettes ce Pequod malencontreux. L’équipage sombre. Faraday se réveille sur une île poisseuse, un cimetière de bateaux. Après s’être aventuré dans les méandres d’une grotte au fond de laquelle il ramasse une boussole et réveille une horde de créatures dentues, il est sauvé par un vieillard. Les quelques survivants des naufrages, rassemblés autour de trois piliers de bois pourri, à peine un camp, attendent la mort, hagards. À l’aide du batelier, Faraday se rend sur l’île indiquée par la boussole, laquelle renferme un harpon, une arme mythique dont l’existence même est questionnée et qui prête à son porteur une agilité hors du commun. La destinée n’y est peut-être pas pour rien, ce que confirmera peu de temps après la rencontre entre Faraday et dame Olija.
Le harpon, révélateur du rôle à jouer par Faraday dans cet archipel perdu, est également au centre de la rythmique qu’entend créer Olija. Récupéré peu après le début du jeu, juste le temps de se faire aux bases d’un système de combat mettant l’accent sur la mobilité et les combos en trois, quatre enchaînements, il servira autant à l’exploration qu’aux vives joutes, grâce à une habile mécanique qu’on nommera « de slash ». Les îles sont ainsi parsemées d’éléments-cibles pour le harpon qui, une fois touchés, peuvent servir de point de téléportation avec une pression de touche, prenant un petit coup de lame en passant. On virevolte alors d’une plateforme à l’autre, faisant fi des pièges et autres précipices, récupérant au passage les objets hors de portée de main. On manque son but ? D’une autre pression, le harpon revient à Faraday, peu importe la distance qui les sépare. Les îles n’ont pas toutes leur thématique propre mais la progression est toujours variée, entre puzzles accessibles et bien pensés et phases de plateforme renouvelées. Les quelque cinq heures que dure le titre sont la preuve d’une construction sans gras, qui préfère la soustraction à l’accumulation. Quelques objets à ramasser sont bien disséminés çà et là, et on peut retourner sur n’importe quel lieu à volonté, mais une run nous fera visiter l’intégralité (sauf secrets) de ce qu’il y a à voir dans Olija.
Les combats sont également l’occasion de mettre en pratique son lancer de javelot, les ennemis servant tout autant de points d’accroche que les caisses en bois destructibles. Forcément moins poussés que dans BackSlash, jeu de combat qui misait tout sur la nervosité de duels façon wu xia pian et films d’art martiaux défiant les lois de la gravité, ils sont ici plus statiques mais pas ancrés au sol pour autant, notamment grâce au harpon. Toujours servie par des animations très chouettes, la variété des mouvements a beaucoup d’impact sur le placement des ennemis. Ils sont éjectés à tout bout de champ, au loin ou dans les airs, position qu’un smash bien calibré vient corriger avec fracas. Bien vite, il faut gérer le surnombre, et c’est là que le harpon entre en jeu, permettant d’échapper à une attaque imminente tout en collant une mandale à celui qui prenait ses distances. La possibilité de ne pas déclencher tout de suite la « téléportation » permet d’introduire un semblant de stratégie, en esquissant au pied levé un schéma d’attaque sur plusieurs fronts, à la diversité permise par les quatre armes secondaires qu’on récupèrera sur le chemin. Pour autant, la fluidité espérée est entravée par de courts temps morts suivant certains mouvements, rappelant, malgré un dash providentiel, que notre mobilité mortelle a ses limites. On finit parfois, à regret, par bourrer à l’aveugle entre les touches d’attaque, dans l’attente de pouvoir s’éloigner et souffler quelques secondes, bien loin des enchaînements si classes des trailers.
Si la mort arrive relativement vite quand l’attention manque, Olija n’est toutefois pas un chantre de la difficulté punitive et on avance sans mal dans les zones traversées, pas avares en objets de soin, comme face aux boss, qui demanderont une poignée de tentatives tout au plus pour être vaincus. Tout comme les armes secondaires, auxquelles s’ajoute le combat à mains nues, les différents couvre-chefs dont on pourra se coiffer viennent compléter un brin notre éventail offensif, chacun d’eux nous faisant bénéficier d’un pouvoir unique, sans toutefois bouleverser l’approche qu’on a des affrontements. L’attention est là, qui personnalise un minimum notre style, mais elle rappelle surtout la relative modestie du projet. Olija cultive pourtant une aura plus grande que la somme de ses mécaniques, résultat d’une ambiance finement ciselée.
Maudit Kick
Le début de partie est étonnant et un peu déroutant. Une cinématique, narrée par une voix off au langage inventé, présente en quelques mots Faraday avant que lui et son équipage ne coulent, et déjà les quelques repères qu’on avait sont déstabilisés. Il faut attendre d’avoir récupéré le harpon et de voir le hub, le repère des naufragés, se réveiller pour commencer à coller les morceaux de cet univers unique, à la fois ouvert sur l’océan et refermé sur lui-même, une mer intérieure rongée par un mal insidieux. Les nombreuses cinématiques qui rythment la progression du scénario, et certains passages au gameplay volontairement restreint à sa plus simple expression, rappellent la quasi-constante mise en scène d’Another World. C’est le sentiment d’immersion qui est ainsi travaillé, et qui en outre, malgré le ton a priori sérieux de l’entreprise, ne manque pas d’humour. Mais peut-être plus encore que le jeu primordial d’Éric Chahi vient régulièrement à l’esprit le titre de Superbrothers : Sword & Sworcery EP, dont on retrouve certains aspects de la direction artistique. Le pixel art, d’une part, semble ici aussi partagé entre l’esquisse grossière à gros grains et la recherche du détail spécifique qui fait tout, chez les personnages (l’étrange col bleu de Faraday, le chignon d’Olija) comme dans les décors (le léger mouvement des navires échoués, les feuilles dans la brise). Les lieux qu’on aura l’occasion de traverser soufflent le chaud et le froid sur la nature de notre exploration, tantôt lumineuse aux abords d’une haute montagne, tantôt poisseuse dans les tréfonds d’une cave oubliée.
Cette incarnation des sens doit beaucoup au soin apporté au sound design, qui se plaît également à mettre en avant le petit plus qui donne son sel aux embruns affrontés – on ne se remet pas du bruit du bois qui grince. Pour pinailler, et parce qu’on en demande toujours plus à ceux qu’on aime, on notera juste un petit manque au niveau des transitions sonores, auxquelles un liant ou un fondu n’aurait pas fait de mal. C’est également grâce à sa signature musicale qu’Olija se démarque et rappelle le titre de Capybara Games et Superbrothers, marquant la rencontre entre des éléments bien choisis des cultures japonaise et hispanique (cette guitare si râpeuse) et des nappes électro. Se mêle à une sorte d’indistinct brumeux la texture des instruments, très présente, le résultat étant tout à fait à propos pour un périple qui a tout du rêve éveillé. Et si l’histoire contée se déroule sans surprise, dans le sillage d’un classicisme romanesque, elle digère ce qu’il faut des récits d’aventures exotiques et de l’imaginaire fantasmé de l’âge des explorations pour cultiver un certain art du mystère, du secret, faisant miroiter un double fond symboliste dont il n’a pourtant pas la prétention. C’est ce que donne le si bon équilibrage trouvé par Olsson et Skeleton Crew, assez marquant pour être salué.
Olija a été testé sur PS4 Pro via une clé fournie par l’éditeur. Il est également disponible sur PC (Steam, Epic Game Store, GOG), Switch et Xbox.
Olija est un solide jeu d’action qui, grâce à sa narration héritée du jeu d’aventure des années 1990, déploie une ambiance bien à lui, entre le terre-à-terre poisseux et l’élégance chimérique. Projet plus resserré que son soin artistique ne le laisse penser, ses mécaniques efficaces ont le souffle un peu court pour les hauteurs auxquelles on aurait aimé l’élever, mais il serait dommage de se refuser quelques heures en si bonne compagnie.
Seastrom
C'est la Loire qui coule dans les veines de Seastrom, mélangée aux subtilités de la vaporwave. Possibilité de l'amadouer en lui parlant indés et D&D (Dreyer et Digimon).
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