Neurodeck de TavroxGames n’est pas un bon jeu. C’est un essai raté essayant de nous faire croire que dans un futur proche des patients utiliseraient le jeu vidéo développé par une start-up pour affronter leurs peurs. Que ce soit son gameplay deckbuilder ou sa dimension légèrement RPG, tout est faible et sans saveur.
Piqué dans ma curiosité par un thème qu’on voit encore peu dans le jeu vidéo, j’ai voulu jouer à Neurodeck pour me faire une idée de son traitement des différentes phobies et de la santé mentale. Ces thématiques restent encore trop souvent romantisées, que ce soit dans la vie de tous les jours ou dans des œuvres artistiques, elles sont donc assez délicates à aborder, et j’ai eu l’occasion de voir que TavroxGames s’est pris les pieds dans le tapis de la balourdise sur la pente glissante du cliché pour finir sa course à plat ventre et bien penaud. J’ai joué à la version bêta du jeu, mais si 80% de son contenu est représentatif de ce que sera le produit final alors vous pouvez passer votre chemin.
« Ce qui ne te tue pas te rend plus fort » et mon cul sur la commode.
Le sujet de l’anxiété, des phobies, des traumatismes, et plus généralement des maladies mentales est de plus en plus traité dans le jeu vidéo. On peut citer l’unanimement plébiscité Hellblade, qui aborde avec bienveillance la psychose de sa protagoniste principale, ou encore le beaucoup plus oubliable Those Who Remain, escape game peu inspiré. C’est donc en voyant cette tendance émerger que Neurodeck a voulu s’en saisir à son tour.
Chaque run du jeu se lance après avoir sélectionné un « patient » et une émotion qui modifiera notre deck de cartes et nos caractéristiques, l’endurance et la santé mentale. L’endurance nous permettra de jouer des cartes et la santé mentale nous servira de barre de vie pour affronter diverses phobies matérialisées sous forme de monstres dégoutants. La direction artistique, sans être très ambitieuse, fait le travail pour mettre le.a joueur.se dans l’ambiance. Le gameplay est cependant des plus classiques, voire ennuyeux, le but étant simplement d’éliminer la phobie tout en en essayant de survivre en posant des cartes la plupart du temps « feelgood » (une part de pizza, un câlin, un souvenir…) et d’autres un peu plus excentriques, mais nous y reviendrons. L’anxiété et les troubles mentaux s’affrontant au jour le jour, on alterne les combats avec d’autres activités pour renforcer notre deck ou notre personnage, ainsi la cuisine, un bon livre, ou encore un tour à la salle de sport nous aideront à nous détendre et à en apprendre plus sur le passé de notre patient. Notre protagoniste ressort en général très affaibli de ses rencontres avec chaque phobie, heureusement que nos statistiques reviennent à 100% à la fin de chaque combat, une manière subtile de nous dire qu’affronter ce qui nous fait peur ou ce qui nous fait du mal nous aide à devenir plus fort. Malgré l’emballage, on ne sort pas des poncifs du genre, le jeu reste d’un classicisme agaçant. On n’est jamais surpris par le déroulement de la partie et on se retrouve à enchainer les combats avec les mêmes ennemis sans en voir la fin car le décompte des jours passés disparait inexplicablement au bout d’une quinzaine de tours. L’exploration de ce « labyrinthe du subconscient » devient alors barbant au possible face au manque de rythme.
Du site du jeu, on apprend que l’idée de Neurodeck est issue d’une game jam et que le créateur s’est lancé dans le développement du titre pour faire partager son amour des jeux de cartes suite au succès de Slay the Spire et du genre du deckbuilder, malheureusement le manque d’idées nouvelles fait sonner le titre bien creux.
Tu fais une dépression ? Sors tout de suite de chez toi !!! VIS, PUTAIN, VIS !!!
Pour Hellblade, Ninja Theory a passé des mois à se documenter et se renseigner auprès de malades et de professionnel.les de santé sur la psychose. Je refuse de croire que TavroxGames ait fait le même effort. On va mettre de côté très rapidement les problèmes d’ergonomie qui seront le moindre de nos soucis ici et on va se pencher l’écriture du titre. Imaginez que pour parler de troubles mentaux on aligne les pires clichés, la subtilité d’un pilier de bar après 2 Ricards lorsqu’il essaie de débattre d’un sujet qu’il ne maitrise visiblement pas, et qu’on mélange le tout à un deckbuilder peu inspiré, on obtiendra alors Neurodeck.
Lors de nos sessions de « détente » entre deux phobies, on a la possibilité de découvrir des souvenirs ou des expériences vécues par notre personnage si on s’en donne la peine. Ce genre de pas de côté pendant la run était le moyen de créer de l’empathie et donc, petit à petit, de se sentir investi sauf qu’ici, on nous sert des banalités sans queue ni tête (je vous laisse vous faire votre propre idée grâce aux quelques screenshots non exhaustifs un peu plus haut) qui nous sortent complètement de l’histoire. De même, l’une des mécaniques de Neurodeck est la possibilité d’ajouter des traits passifs à notre personnage grâce à une série de questions. Celles-ci auraient pu être pertinentes mais non, ces faux tests d’introspection sont en fait dignes des meilleurs questionnaires de Femme Actuelle. Sans réponses nuancées on se retrouve à chaque fois dans la caricature bête et méchante alors que l’occasion aurait été parfaite pour sortir des lieux communs. Cette approche plombe complètement les bonnes intentions qu’aurait pu avoir le studio, mettant surtout en lumière sa difficulté à travailler le sujet qu’il souhaite traiter. Comme on l’a dit plus tôt, les cartes disponibles sont pour la plupart orientées feelgood mais à aucun moment on ne voit une carte « parler de ses problèmes » ou « chercher de l’aide », le personnage semble livré à lui-même de bout en bout, sans secours extérieur pour l’aider à affronter ses démons intérieurs. Je veux bien qu’améliorer sa santé mentale passe aussi par des petits gestes du quotidien, mais la carte « anarchie » vraiment qu’est-ce qu’elle fait là ? Et a-t-on vu plus réac qu’une carte « tatouages » qui inflige beaucoup de dégâts aux phobies certes, mais qui impacte sérieusement la santé mentale du personnage ? Cet espèce de mélange bizarre de psychologie de comptoir et d’expériences impersonnelles a l’air d’avoir été écrit par une personne n’ayant qu’une vague idée de ce qu’est un.e malade et c’est très inquiétant.
La cerise sur le gâteau étant l’adaptation française épouvantable du titre qui donne à son contenu déjà contestable un côté surréaliste. Chose d’autant plus cocasse que, même si Neurodeck a été développé en anglais, le studio est français. Apparemment les finitions ont fait l’objet de la même attention que le reste du jeu.
Calico avait ses défauts mais au moins ses intensions étaient honnêtes et sa faiblesse technique n’empêchait pas de ressentir la bienveillance des deux développeur.ses pour leurs joueur.ses. Neurodeck aurait pu être une porte d’entrée pour les personnes souffrant de troubles mentaux ou d’anxiété, en leur montrant des méthodes pour réduire leur angoisse (outre la malbouffe) ou en les encourageant à consulter des professionnel.les mais il n’en est rien. Le jeu se complait dans le minimum syndical sans remettre en question ses préjugés.
Neurodeck a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Il sera aussi disponible sur Switch le 18 mars 2021.
À part sa direction artistique, Neurodeck reste sans originalité et nous livre une approche de sujets délicats complètement aux fraises. On ne se sent jamais investi dans l’expérience tant les histoires qu’on nous raconte sont bas de plafond et le gameplay fadasse. On peut saluer l’initiative mais on ne le répétera jamais assez, une vague idée et un semblant de volonté ne suffisent pas à faire un bon jeu vidéo.
Kalkulmatriciel
Cc c Kalkul. J'adore parler à tous les PNJ, mettre des mandales et saboter les coop.
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