Nous l'avons déjà signalé dans plusieurs articles, mais Atlus est un studio qui a plus que le vent en poupe : la société est devenue un acteur majeur du développement au Japon, particulièrement dans le champ du RPG. Attendue au tournant, leur dernière production, Metaphor: ReFantazio, arrivait avec l'aura bâtarde de projet coincé entre deux Persona, dont il reprend une bonne partie de la structure fondamentale et des thématiques. Je trouve cependant que la dernière production signée par le pas toujours très inspiré scénariste Katsura Hashino arrive à trouver son identité propre. Un peu pour le meilleur, un peu pour le pire.
Comme signalé ailleurs, Hashino (le réalisateur des épisodes 3 à 5 de Persona, mais aussi de tout un tas d'autres productions au sein d'Atlus) a été lentement poussé en dehors des deux lignes de production principales de la firme. Shin Megami Tensei et Persona sont désormais entre d'autres mains, comme cela a encore été récemment confirmé par l'éditeur. Le Creative Department 3rd Production (aka le studio Zero) ainsi créé a été doté de sa propre équipe, avec une certaine autonomie et l'idée que ce qui allait en sortir n'allait pas interférer avec la production des autres jeux de l'entreprise. La naissance d'une nouvelle licence faisait sens dans ce contexte. Mis à part le douteux Catherine, un projet très personnel pour Hashino, il semblait compliqué de confier au Studio Zero des remakes d'antiquités du catalogue d'Atlus, ou de futures itérations des séries principales, dont le ton a pas mal changé depuis 2016. Pour le dire autrement : Atlus version 2024, c'est maintenant un peu moins de romances cringe, un peu plus d'ouverture d'esprit, et clairement moins d'homophobie et de transphobie gênante. À mon grand soulagement, Metaphor: ReFantazio est lui aussi à peu près exempt de contenu ridicule, bête ou vulgaire concernant ses personnages. Mieux : il arrive à tenir à merveille son propos filant l'image d'une campagne politique pendant une cinquantaine de très agréables heures. Avant de se vautrer dans son dernier tiers dans certains des autres problèmes liés à presque tous les RPG Atlus, Hashino ou pas Hashino, à savoir une fin qui s'écroule sur elle-même, en se vautrant dans une surenchère de n'importe quoi immature. Sauf qu'ici, c'est vraiment très voyant.
Les politocards sont de sortie, les députés sont dépités, Micron explosion
Metaphor: ReFantazio a des dehors de grande fresque de high fantasy reprenant le cérémonial habituel du genre, à ceci près que les elfes s'appellent les roussaintes et que les nains y ont des têtes de chauve-souris. Mais sinon, on est bien dans quelque chose de très classique, dans le bon sens du terme, avec des emprunts transparents à l'univers d'Hideaki Anno pillant Jules Verne, à l'Attaque des Titans ou encore à l'impressionnisme flamand. On se fait rapidement à ce brouet d'influences, finalement assez attachant et mis en scène de manière parfois spectaculaire. Il constitue de fait un terrain de jeu plutôt satisfaisant pour ce qu'il met en scène, à savoir un bon vieux tournoi shônen des familles pour savoir qui que c'est qui va gagner la couronne. Là encore : c'est puéril, mais si tous les auteurs de mangas pour ados gavent leurs œuvres de tournois et de bagarres depuis quarante ans, c'est aussi parce que c'est efficace. Et puis qu'est-ce qu'une élection sinon un concours de popularité organisé à l'échelle d'un pays ?
À ceci près que, sans doute davantage que pour les Persona, le public visé est ici clairement plus âgé que celui des lecteurs de Dragon Ball en 1984. Le jeu a la main particulièrement lourde sur les questions de meurtres, de torture, de génocides, de visions cauchemardesques et plus généralement de quêtes annexes extrêmement tristes. Là encore, cela fonctionne bien, puisque le scénario met en scène avec talent le parcours d'un prétendant au trône nimbé d'une aura de mystère. On y suit son ascension vers les sommets, en parallèle de celle de nombreux autres candidats, alors que le duel semble devoir se jouer entre le pape de la théocratie locale et le comte Louis, un noble dont la cruauté rivalise avec l'ambition. Et que, pour ne rien arranger, le royaume est ravagé par les dégâts des mystérieux "humains", des aberrations géantes dévorant tout sur leur passage.
À vrai dire, j'ai été agréablement surpris de la manière dont Metaphor: ReFantazio arrive à mettre en jeu ce que représente une crise politique dans un royaume aux apparences stables, mais aux institutions défaillantes. L'Euchronie, le pays où nous allons passer environ 65 heures en ligne droite (et un peu plus avec les quêtes les plus optionnelles), est une fédération de principautés pourries jusqu'à la moelle. Et pas vraiment de la manière habituelle mise en scène dans les JRPG à coup de seigneurs locaux tyranniques, de démons, ou de complexes militaro-industriels façon Shinra.
Non, ici, on est plutôt sur de la médiocrité quotidienne : racisme ordinaire, taxation injuste, hypocrisie religieuse, petits arrangements avec la bourgeoisie marchande ou encore désertification des campagnes. Et, bien entendu, une classe politique absolument en dessous de tout, laissant place à l'émergence de tout un tas de faux prophètes inquiétants. Des figures étranges, mais familières allant du type qui promet de la gnôle gratuite à gogo à l'universitaire arrogant promettant que tout va s'arranger tout seul, en passant par le nationaliste forcené ou le mannequin n'ayant rien d'autre à offrir que sa belle gueule.
Pas de politique dans mes campagnes électorales
Il y a là-dedans quelque chose de très banal, d'assez proche de la bassesse quotidienne et des compromissions de la vie publique, y compris dans ce que nous accomplissons tout au long du périple. Pendant une grande partie de l'aventure, structurée autour d'une grande tournée dans les différentes provinces du pays, il sera question, comme dans Persona, de tisser des liens avec des compagnons et des soutiens rencontrés en route. La plupart des histoires mises en scène ici sont d'une tristesse et d'une banalité parfois terriblement touchantes, et ont le bon goût de refuser la plupart du temps le happy end facile.
On croise une petite fille en deuil à cause d'une exécution injuste, et on finit par la réconforter et l'aider, mais sans pouvoir réparer l'injustice de la situation. On assiste au meurtre de la mère d'un ancien criminel, qui finira certes vengé, mais d'une manière amère et sans rédemption. On aide un de nos compagnons à reloger le peuple de son village, et on y parvient, mais au prix de l'exode en ville des habitants. Metaphor: ReFantazio arrive ainsi à peindre une bonne partie des zones de gris de la vie politique de manière rude, mais vraisemblable, et même touchante. Il ne suffit pas de terrasser le dragon pour que tout le peuple soit en liesse. Particulièrement quand une partie de la population se range derrière un type qui déclare de manière tout à fait électoraliste que les vieux devraient tous être exonérés d'impôts. Et, blague à part, que la volonté populaire peut aussi être lourdement manipulée par, mettons, un réseau de crieurs publics relayant, avec un biais évident, les intérêts du principal candidat.
Metaphor: ReFantazio ose ainsi, parfois, donner des réponses qui n'ont rien de joyeux ni de satisfaisant sur la question de la bonne manière de gouverner. Dans le jeu, cette dernière est d'ailleurs illustrée par un livre faisant clairement de notre propre monde un lieu rêvé et souhaitable. C'est d'autant plus explicite que cet artefact est lié au personnage de More, lui-même allusion transparente au philosophe auteur de l'Utopie. Et à vrai dire, j'aurais peut-être aimé que Metaphor: ReFantazio ne soit que cela. Une imparfaite course au pouvoir, s'achevant sur l'idée frustrante qu'un système de gouvernement souhaitable soit celui qui parvienne à trouver le bon curseur entre compromis et compromission. Mais il en va, je le crains, un peu autrement.
Crétinus, Atlus, Fortius
Entendons-nous bien : je suis convaincu que Metaphor: ReFantazio est un bon jeu. Je n'y aurais pas passé 65 heures en 13 jours si ce n'était pas le cas. Il est plus ramassé, moins ambitieux, plus étriqué même qu'un Persona 5, mais c'est très bien. Tous les JRPG n'ont pas besoin de durer 150 heures, surtout dans une année qui a compté un remake de Persona 3, un épisode de Like a Dragon, la suite de Final Fantasy VII remake et j'en passe. Dans cet ouragan de jeux de rôle japonais de qualité qu'a été 2024, le premier vrai jeu ambitieux du Studio Zero a toute sa place.
Mais il m'est difficile de ne pas mentionner que cette longue fable politico-fantasy se heurte tout de même à un scénario qui devient excessivement confus, voire grotesque, dans ses dernières heures. Oublié le tournoi, oubliées les intrigues entre prétendants : passé un certain stade de l'aventure, on s'empêtre dans une bouillie indigeste que, pour ne pas spoiler, je vais évidemment vous épargner. Mais un enchaînement de révélations, de Deus Ex Machina et de pavés de textes venant justifier et expliquer d'autres pavés de textes mélangés à de longues séquences de retournements de situations en série ont rarement sauvé un script du naufrage. Dans ses 10 dernières heures, Metaphor: ReFantazio se met carrément à dire des choses très, très bêtes. Pas spécialement problématiques, hein. Juste un peu stupides.
On finit l'aventure en se demandant au fond pourquoi il était si nécessaire de se lancer dans une grande compétition de popularité si c'était pour aboutir à une pantalonnade pareille. Un setting final qui jette aux orties une grosse partie du chemin accompli, pour nous resservir, de plus, une désagréable impression de déjà-vu, les derniers donjons du jeu abusant du recyclage à gogo. Et si encore ce sac de nœuds mystico-dimensionnel arrivait au moins à maintenir la thématique centrale du reste de l'aventure et à rester concentré sur l'examen d'un objet politique ! Mais non, il faut croire qu'en 2024, c'est encore autorisé de laisser tomber l'intégralité d'une intrigue pour aller casser la gueule à un monstre à plusieurs phases pour sauver l'univers. Ce n'est pas tout à fait assez pour gâcher le plaisir. Mais le côté extrêmement vide et vain de tout le dernier tiers de cette épopée, mal compensé par cette pléthore de révélations ubuesques, est, je pense, un petit aveu d'échec.
Metaphor: ReFantazio a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur Playstation 4 et 5 et sur Xbox Series.
J'aurais simplement pu faire mon fanboy des productions Atlus et louer tout ce qui fonctionne à merveille dans Metaphor: ReFantazio, car il s'agit d'un bon RPG qui arrive à reprendre la formule Persona pour l'adapter à quelque chose d'assez différent. Hélas, j'aurais aussi du mal à oublier à quel point il se vide de sa substance pour la remplacer par une bonne grosse dose de n'importe quoi dans son dernier tiers. Il n'empêche que lancer un jeu de rôle classique sur le thème de la politique n'est jamais une mauvaise idée, et que pour un lancement de nouvelle licence, cette production s'en sort plutôt avec les honneurs. C'est paradoxal : je craignais le pire, et j'en attendais mieux à la fois. Mais étant un électeur de gauche depuis 2002, je suis habitué.
Les + | Les - |
- Une certaine audace dans les thèmes abordés | - Le scénario déraille complètement passé un certain stade |
- Quelques éclairs de génie dans la mise en scène | - Level design peu inspiré dans l'ensemble |
- Système de combat très astucieux | - Quêtes annexes assez médiocres dans le derniers tiers du jeu |
- Direction artistique plutôt charmante |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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