Nous sommes en septembre 2024 et Square Enix est parvenu à sortir un RPG qui tient la route et qui ne soit ni un remake ni une honte. Visions of Mana, développé par Ouka Studios est probablement le gros jeu de cette année dont l'absence de prise de risque est la plus flagrante. Mais vous savez quoi ? C'est mieux que tout ce que la série a proposé depuis vingt ans.
Je déteste appliquer le qualificatif de "fainéant" à un jeu, parce qu'il revient à nier le travail colossal abattu par des centaines de développeurs pendant des années pour arriver à livrer un gros titre de 50h avec énormément de contenu à l'intérieur. Il y a néanmoins dans Visions of Mana quelque chose de perturbant dans la manière dont la philosophie générale de l'aventure baigne dans une frilosité absolue. Jamais un jeu Mana n'avait autant ressemblé à n'importe quel autre épisode classique de la licence. Des costumes au bestiaire en passant par les musiques et les combats, tout vous hurle ici que vous êtes dans des chaussons, en 1994, sur Super Nintendo, un chocolat chaud à la main. C'est un action RPG en 3D rondouillard, délicieusement anachronique et naïf, tellement inspiré du monde des contes de fées que le jeu est, de fait (à l'image d'un certain Bravely Default), conté par une fée. Une odeur de poussière et de naphtaline émane de tout le projet, et pourtant, ça fonctionne à merveille. Pourquoi ? À vrai dire, je n'en suis moi-même pas certain, mais essayons de le découvrir ensemble.
Il a des manies mon mana
C'est un jeu qui ne fait même pas semblant, au fond, puisqu'il raconte quasiment la même chose que Tales of Symphonia, mais surtout que deux classiques du catalogue de Square Enix (I am Setsuna et Final Fantasy X). On est un p'tit gars sympa au charisme de levure qui doit accompagner en pèlerinage une jeune fille dans un inévitable voyage sacrificiel religieux, pour préserver la paix du monde. Et au passage, résoudre plein de trucs : la ville dans laquelle le temps s'est arrêté, celle victime d'une sécheresse magique, ou encore celle où le méchant vizir complote pour renverser la reine des écureuils.
Tout ceci est structuré dans une fuite en avant de bled en bled parfaitement pantouflarde. Les méchants sont très méchants, les gentils très gentils, et les compagnons de la soupière permanentée nous servant d'avatar invariablement de braves personnes au passé tragique. Le tout dégueule de couleurs saturées, d'animaux anthropomorphes mignons, de romances niaises et de retournements de situation convenus (auxquels on concédera qu'ils ont parfois une noirceur et une radicalité un peu surprenante).
Mais alors qu'est-ce qui a bien pu me pousser à continuer à faire le tour des ports, des villages et des déserts, bien rangés par l'ordre thématique dans lequel on me demandait d'aller récupérer les huit esprits magiques représentant autant de classes de personnages ? Eh bien, c'est sans doute, justement, par cette espèce de volonté extraordinairement moelleuse de ne surtout, surtout, rien bousculer dans ce Visions of Mana. Revenons un peu en arrière.
Secret of cracra
Il faut mesurer à quel point Square Enix a fait n'importe quoi avec la licence Mana depuis des années. À l'origine spin-off de Final Fantasy, la série Mana a enchaîné les bons épisodes entre 1991 (Mystic Quest) et 1999 (Legend of Mana). La série se taille une réputation d'excellence visuelle, servie par des combats nerveux et un univers enchanteur. Mais, dès 2003, la franchise bascule intégralement sur consoles portables, livrant des épisodes beaucoup plus mineurs et se perdant dans des gameplay bizarres et approximatifs, comme le dispensable tactical RPG Heroes of Mana en 2007.
Puis, c'est la cata : une décennie d'épisodes hideux pour PS Vita, le lamentable Secret of Mana HD en 2017, le laborieux Trials of Mana en 2020... La saga semblait remisée dans le même garage que toutes les vieilles gloires du JRPG désormais condamnées à enchaîner les épisodes bourrés de polygones dégueulasses, de DLC douteux et farcis de fetch quest comme le dernier des jeux smartphones. Le dernier clou dans le cercueil paraissait d'ailleurs être le pathétique Echoes of Mana, un jeu-service pour téléphone que Square Enix ne fut même pas fichu de maintenir un an en service.
Autant dire que quand les premiers trailers de Visions of Mana sont arrivés il y a quelques mois, et que le jeu ne paraissait ni moche, ni injouable, ni truffé de NFT, j'étais assez dubitatif. La barre était en quelque sorte placée très, très bas du sol. N'empêche que 30h de jeu plus tard, rien à dire : l'obstacle est enjambé avec maestria.
L'arbre qui cache la fureur
À quelques angles de caméra ratés et quelques moments d'écriture vraiment indigents, Visions of Mana est ainsi un produit qui tient étonnamment bien la route. Les combats sont super amusants (merci au système de classes et de compétences qui renouvelle sans arrêt les possibilités), le jeu est rythmé, beau, varié, la musique nous en met plein les oreilles, c'est super. On s'amuse d'autant plus que tout est taillé et calibré pour pouvoir se parcourir facilement en ligne droite, sans avoir besoin de grinder et de tuer des petits lapins mignons en boucle pour espérer tabasser le boss suivant.
Le côté très finaud du jeu tient justement dans le fait de ne jamais vous pénaliser si vous décidez de tracer pour voir assez vite le générique de fin, mais de vous laisser faire tout un tas de trucs à côté si l'exploration, les combats ardus et les secrets à dénicher vous motivent. Comme si un petit MMORPG générique, mais efficace, était caché dans ce gros JRPG linéaire. C'est parfait, c'est bien, c'est ce qu'il faut faire, laissez-nous choisir !
Hélas, comme on ne peut jamais avoir de belles choses, cette franche réussite aussi généreuse que bien ficelée se prend les pieds dans le tapis du capitalisme. Nous avons en effet appris par Bloomberg que Square Enix (qui n'y est pour une fois pas pour grand-chose) a confié ce charmant opus à Ouka Studios, une société possédée par le groupe chinois NetEase, qui avait promis au studio de leur confier par la suite deux autres projets. En réalité, c'est une fermeture nette et sans bavure et un licenciement de tous les employés à peine le jeu sorti qui est venu sanctionner ce succès, NetEase semblant reconsidérer depuis des mois l'ampleur de ses investissements au Japon. Voici un conte sans morale, qui ne va pas sans gâcher un peu la fête.
Visions of Mana a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur PlayStation 4 et 5 et sur les consoles Xbox.
J'aurais aimé terminer cette critique sur un ton moins amer que celui causé par la fermeture d'Ouka Studios par ses investisseurs. Une entreprise qui a parfaitement réussi l'impossible en ramenant la série Mana sur le devant de la scène et à livrer à Square Enix un des meilleurs JRPG de l'année. C'est une maigre consolation, mais ils peuvent être très fiers du travail accompli : la saga Mana est de retour, et elle est à ma grande surprise dans une forme olympique.
Les + | Les - |
- La formule Mana est de retour ! | - L'extrême naïveté de l'univers pourra lasser |
- Le scénario assume parfaitement son côté premier degré | - Les quêtes annexes sont vraiment sous-écrites |
- Contenu annexe très riche, mais 100% optionnel | - Quelques gros problèmes de caméra lors des combats |
- Toutes les options de confort dans les voyages et la gestion des quêtes | |
- Le système de combat dévoile peu à peu une jolie richesse | |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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