Quand je vois un jeu qui se présente comme visant un réalisme historique, j'ai des flashbacks d'expériences précédentes peu flatteuses testées dans ces colonnes même. Mais, je dois dire que Manor Lords, en développement depuis maintenant sept ans par une seule personne, m'intrigue depuis longtemps. Ça tombe bien, il arrive en early access.
Il y aurait tout un dossier à faire sur le réalisme dans les jeux vidéo. Évidemment, parfois le réalisme est important, je pense notamment aux simulations (d'avions, de trains, de camions, de ce que tu veux) mais même dans ce genre de jeux, très niche, des concessions sont faites. Parfois, un jeu va tellement loin dans sa quête de réalisme que le plaisir est remplacé par une forme de torture lente. Je pense, par exemple, à Star Citizen qui, outre toutes les polémiques, est décidé à être le plus réaliste possible, ce qui implique, par exemple, de charger son vaisseau soi-même, à la main, lorsque l'on veut faire du commerce. Ce n'est pas amusant et absolument hors sujet avec ce que le jeu essaie de faire (théoriquement : être le jeu de vaisseau ultime). Dans le cas du réalisme historique, c'est une tout autre histoire : il y a toujours un risque que la quête du "réalisme" soit une manière à peine déguisée de transmettre certaines idées fausses et quelque peu nauséabondes (le classique "mais c'est normal qu'il y ait zéro diversité ou personnage féminin dans mon jeu dans la Bohême médiévale"), en plus des soucis de rendre le jeu lourd, et de le transformer plus en corvée qu'en loisir. Alors oui, je regardais Manor Lords, avec sa note d'intention d'un "réalisme historique", avec intérêt, mais également avec une certaine inquiétude de voir ce qui semblait être un city builder sympathique se révéler lent, lourd et peu intéressant. Fort heureusement, ce n'est pas le cas : Manor Lords est sympathique et bien loin d'être une corvée.
Beau comme un chariot
Alors, l'idée de Manor Lords est simple : c'est un city builder médiéval dans la lignée de Banished, où l'on construit une petite communauté en faisant extrêmement attention à la nourriture et aux besoins des personnes. Nous ne sommes pas dans une construction de ville à la Cities Skylines où l'on fait des quartiers entiers, ici c'est plus restreint, plus petit, on construit maison par maison, bâtiment par bâtiment, et une attention toute particulière aux chaînes de production est nécessaire. Sur bien des points, le jeu se rapproche de la série Anno, en particulier sur la gestion économique. Comme dans Anno, l'objectif est de grandir, mais surtout d'avoir une économie solide en exportant le surplus de ce que l'on peut produire, tout en important ce que l'on ne peut pas faire.
Si vous avez du fer, il serait judicieux de, par exemple, produire armes et outils pour en exporter une partie, et d'importer des matériaux de construction qui sont absents de votre coin de carte. Je dis coin de la carte, car, comme dans Anno, l'objectif du jeu est de diriger une région entière. Ici, pas d'îles, mais des zones dans la carte que vous pouvez débloquer en dépensant de l'influence, représentant votre place dans la hiérarchie féodale locale, où vous pourrez construire un nouveau village et mettre en place des échanges entre vos divers bourgs pour ne plus avoir à importer de l'extérieur. Le jeu ne se passe pas dans un endroit particulier de l'Europe du XIIᵉ siècle, ni même d'ailleurs au XIIᵉ siècle, mais est plus un "idéal", un amalgame de plein d'endroits et de périodes différents. Les douces collines et forêts de la carte unique de l'early access pourraient faire penser à la Bohême, mais ce n'est pas précisé. C'est juste "l'Europe médiévale". Et c'est très bien ainsi. On peut imaginer à l'avenir, durant le reste de l'early access, d'autres cartes, qui représenteraient d'autres aspects du continent : Espagne maure, Europe de l'Est slave, pourquoi pas la Scandinavie ou l'Angleterre, les options sont larges pour étendre le jeu.
En parlant de la carte : Manor Lords est très beau. Voire absolument bluffant dans son niveau de détail. Le zoom vous permet d'aller au plus près de votre petit village, quasiment au sol, et on ne perd absolument aucun détail, vos citoyens semblent tout droit sortis d'un Assassin's Creed d'il y a cinq ans, les bâtiments sont ravissants et bourrés de petits éléments qui leur ajoutent de la personnalité, comme directement extraits de Skyrim. Quant aux chemins de terre, ils sont boueux et d'un réalisme saisissant. Le plus beau étant que le jeu vit avec les saisons : au printemps les prairies sont fleuries, tandis qu'en automne les forêts prennent des teintes orangées, puis en hiver la neige recouvre tout, sauf les chemins que prennent vos citoyens. C'est saisissant, je ne pense pas avoir vu un jeu de gestion aussi splendide depuis longtemps. Souvent, des concessions sont faites, ce qui est logique, car on passe plus son temps dézoomé au maximum pour avoir une vue d'ensemble que directement dans la rue, mais le développeur de Slavic Magic a décidé que son jeu serait un des plus beaux du genre, et c'est réussi.
Cerise sur le bien magnifique gâteau, le jeu est extrêmement bien optimisé. Même avec un village de belle taille, je n'ai eu aucun ralentissement, et, sur ma dizaine d'heures, je n'ai eu aucun plantage. Quelques petits bugs d'interface, mais absolument rien de honteux. Ça faisait longtemps que je n'avais pas vu une early aussi peaufinée, j'irais même jusqu'à dire que j'ai joué à des jeux de gros développeurs AAA bien moins optimisés et bien plus bugués. Je ne m'attarde que rarement sur l'aspect technique ou graphique de mes tests, mais dans ce cas, ça valait bien son paragraphe tant le jeu est exceptionnel sur ce point.
Économie d'échelle
Bon, les graphismes et la véracité historique, c'est une chose, mais un jeu vidéo, ça se joue. Si le jeu est seulement beau et "réaliste", mais qu'à côté la gestion et la construction ne tiennent pas, ce n'est pas la peine. Fort heureusement, Manor Lords s'en tire fort bien. Je commencerais par un point négatif : pour l'instant l'early access manque légèrement de variété et on fait le tour des possibilités de construction assez rapidement. Toutefois, force est de constater que le développeur sait ce qu'il veut. En effet, de nombreuses améliorations et branches de recherche sont présentes, mais non déblocables, ce qui semble indiquer que ce n'est qu'une question d'équilibrage et qu'il n'a pas encore décidé de ce que ferait exactement chaque amélioration. Plutôt bon signe.
Mais tout le reste est très franchement brillant, en particulier pour un early access. La construction de votre petit village est très organique. Les routes se tracent avec un outil très agréable et c'est un plaisir de ne pas suivre une grille. Je commence à trouver très ennuyeux les city builders qui se basent encore sur une grille aujourd'hui. Ici, pas de ça, il sera vraiment facile de donner à votre village une apparence de quelque chose de plus naturel, comme si les chemins s'étaient tracés au fil des pas des personnes et des chariots. Nous ne sommes pas tout à fait dans un système purement naturel, comme dans un Foundation où ce sont littéralement les chemins les plus utilisés qui finissent par être tracés, mais il est aussi plus commode de planifier en traçant nous-mêmes les routes qu'en comptant sur le pathfinding de l'IA. Parlons-en un peu : elle n'est pas encore brillante, elle s'en sort, mais j'ai rencontré à plusieurs reprises des constructions bloquées par l'IA qui mettait une ressource, pour que quelqu'un d'autre la prenne dans la foulée, comme si les villageois considéraient ce chantier comme un entrepôt. Gênant.
Là où le jeu brille particulièrement, toutefois, c'est au niveau de l'économie. Comme dans tous les jeux de type Banished, vous vous développerez au fur et à mesure. Si au début, vous ne serez basiquement qu'un village d'extraction de ressources, progressivement, vous pourrez raffiner vos ressources (en charbon, lingots et farine par exemple), puis utiliser ces éléments pour fabriquer des produits finis. Comme dans Banished, chaque bâtiment a un certain nombre de slots d'emplois. Il n'est pas nécessaire de les remplir (en effet, si des citoyens sont libres, ils travailleront ici) mais il est tout de même préférable qu'une famille ou deux soit attribuée à vos bâtiments, en particulier celles concernant les ressources de base, pour que vous ayez une production stable.
Je dis famille, car le jeu fait travailler tous les membres de la maisonnée (eh oui, les enfants aussi, à en croire les modèles des personnages) aux tâches. Mais Manor Lords n'est pas qu'un clone plus joli de Banished, le jeu introduit également ses propres concepts qui changent quelque peu la dynamique. Par exemple, la plupart des produits manufacturés ne possèdent pas de bâtiments propres. Toutefois, ce que vous pouvez faire, c'est améliorer les demeures de vos citoyens avec un atelier d'artisanat. Ça rend vos maisons bien plus utiles, elles ne servent pas que de logement, mais également de forges, boulangeries, cultures de pommes ou encore poulaillers. C'est super intéressant comme concept et permettra d'étendre le champ des possibles avec un minimum de travail pour le développeur. Pas besoin de faire un tout nouveau bâtiment dès qu'il voudra rajouter un produit manufacturé, il aura juste à modifier légèrement les modèles des maisons et ça sera bon. En plus d'être réaliste (on y revient) c'est aussi commode pour le joueur que pour le développeur.
Manor Lords a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur.
Manor Lords est pour l'instant un excellent early access et a le potentiel de devenir un excellent jeu. Bien qu'un tout petit peu chiche en contenu (même si on peut tout de même y passer des heures déjà, ce n'est pas non plus un squelette), le jeu est déjà fort amusant, et surtout vraiment très beau. Sa proposition de réalisme historique ne retire rien au plaisir de jeu, et le développeur a su trouver un équilibre quasi parfait entre véracité historique et gameplay. Je n'ai même pas évoqué tout le pan guerrier ou encore l'aspect diplomatique, mais eux aussi présentent une base solide. J'ai hâte que le développement du jeu avance. On pourrait bien tenir un des meilleurs city builders historiques du moment.
Les + | Les - |
- Magnifique | - Chiche en contenu |
- L'aspect réaliste bien équilibré | - Des légers soucis d'IA |
- L'économie et la construction |
Tritri
Paradox, trains, Paradox, city builder, Paradox, espace, Paradox. Je suis un homme simple, aux goûts simples. Paradox.
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