Après des années de développement, le petit studio québécois Canari Games de Johan Vinet est enfin parvenu à livrer Lunark, hommage assumé aux platformers cinématiques des années 90 (Another World, Flashback...). Des jeux qui brillaient par leur excellence technique davantage que par leur confort de jeu.
Il n'est pas rare que nous arrivent à la rédaction des projets menés quasiment en solo par des gamers nostalgiques de certaines époques iconiques du jeu vidéo. Récemment, c'est le malheureux Clive 'N' Wrench et ses dix ans de développement qui s'est cassé les dents sur le mur de la réalité : depuis notre enfance, le jeu vidéo a changé. Les mécaniques de jeu, l'implantation des boutons, la forme des manettes, le rythme des péripéties : à bien des égards, il est assez facile de distinguer d'un coup d'œil un jeu de 1990 d'un jeu de 2023. C'est souvent pour le mieux, car les souvenirs de vos quarts de cercles sur des parties endiablées de Street Fighter II ne seraient pas aussi glorieux sur un émulateur, une manette d'époque entre les mains. Les expériences rétro les plus réussies ne le sont généralement pas tant que cela, se contentant de prendre l'apparence et l'ambiance de leurs inspirations sans pour autant se vautrer dans une imitation pure et pleine d'archaïsmes. C'est par exemple le cas des récents Chained Echoes et autres Octopath Traveler II, dont l'emballage vintage cache une modernité constante. Arrive donc ce Lunark qui prend le pari inverse : vous livrer une expérience aussi proche que possible d'un jeu à la Prince of Persia, telle que vous auriez pu la vivre en 1989. Physique et gameplay compris. Si le résultat est exactement ce qu'il promet, il soulève une question importante : même en étant nostalgique d'Oddworld : l'Odyssée d'Abe ou du vénérable Bermuda Syndrome de Century Soft, est-il si agréable que cela de reboire exactement la même soupe trente ans plus tard ?
J'ai demandé à la lune (mais elle a explosé)
Une planète lointaine, une dystopie futuriste : Leo vit une vie assez triste d'homme à tout faire pour le compte d'un industriel dans une société affreuse dirigée par une intelligence artificielle visiblement malveillante. Un beau jour, en revenant d'une mission particulièrement périlleuse, notre héros se retrouve piégé, et commet accidentellement un attentat destructeur. Traqué par à peu près tout le monde, Leo doit fuir de décor futuriste en décor futuriste et essayer de comprendre comment il a pu se retrouver dans une telle panade. Certes, tout ceci ne verse ni dans la subtilité ni dans la grande littérature, mais au moins, Lunark se laisse suivre. Une intrigue ramassée, des enjeux rapidement posés et un rythme très soutenu : une nouvelle preuve qu'un jeu de six heures qui sait ce qu'il veut raconter vaut toujours mieux qu'un jeu de cinquante qui se perd en charabia nébuleux.
Des dialogues clairs et concis, de magnifiques cinématiques en pixel art bénéficiant des efforts de rotoscopie entrepris par le studio et une alternance assez bien gérée de niveaux calmes et de moments beaucoup plus denses : au moins de ce point de vue, on peut dire que Lunark fait un travail exemplaire, en arrivant à reproduire le rythme de la science-fiction paranoïaque et désespérée du Flashback de Paul Cuisset. On aurait peut-être aimé quelques moments un peu plus iconiques dans le déroulé global et peut-être un climax vaguement plus marquant, mais dans l'ensemble, on passe un bon moment, les oreilles bercées par la magnifique musique de Johan Vinet et les non moins superbes artworks et décors de Justin Chan.
Il y a cependant, il me semble, une sorte de démonstration par l'absurde effectuée par ce scénario et cette ambiance qui arrivent parfaitement à capter le sentiment que l'on pouvait avoir en lançant Another World il y a 30 ans. Car Lunark pousse le mimétisme jusqu'à vouloir nous donner non pas l'impression de redécouvrir nos souvenirs comme a pu le faire le remake de Dead Space en début d'année, mais bien exactement les mêmes sensations au pixel près. Comme si l'on enfilait un t-shirt vieux de trente ans retrouvé au fond d'un placard. On découvre alors que si les bonnes histoires de SF ne vieillissent pas vraiment, des choses aussi triviales que l'implantation des boutons d'action sur la manette et l'inertie d'un personnage de jeu vidéo, eux, peuvent très vite prendre un sacré coup de vieux.
Appuyez sur Y, droite, haut et RB pour rendre hommage
Dès 1989, Prince of Persia insistait sur le côté "réaliste" de sa palette de mouvements : puisqu'on avait littéralement filmé et redessiné un acteur pour décomposer sa manière de bouger, la physique du jeu devait nécessairement ressembler au comportement d'une "vraie personne". Et déjà à l'époque, le résultat était une maniabilité bizarre due au fait qu'un être humain, ça ne saute pas très haut ni très loin, que ça a besoin de beaucoup d'élan pour traverser un précipice et que cet élan induit une inertie particulièrement lourde. On tombe, on glisse, on s'emplâtre dans les murs, bref, oubliez Mario, dans Lunark comme dans ses lointains ancêtres, on incarne 1m70 de corps mou, fragile et lent dont le moindre saut est un calvaire. C'est un peu dommage pour un platformer qui passe des années après Limbo, Inside et autres Planet Alpha.
Aucune concession n'a été faite à la modernité : dans Lunark, chaque saut est un poème maudit. Presque tous les jeux du marché ont acté que la touche A (ou n'importe quelle fichue touche située en bas de votre manette) vaut un saut. Non, ici, c'est comme à l'époque : on bondit avec la touche du haut, et on s'écroule comme un sac si on a pas pensé à prendre l'élan nécessaire (en appuyant sur un second bouton) et en indiquant une direction précise (troisième bouton), voire une quatrième (si vous visez une corniche en diagonale). J'espère que vous aimez le bruit de chute et de choc produit par Leo en s'écrasant au sol : toute chute de plus de deux ou trois mètres est mortelle, et vous allez chuter souvent.
Et hélas, cet exemple absurde est déclinable à toutes les actions du jeu. Se suspendre à une plateforme pour se laisser tomber ? Voici plus de dix ans que dans n'importe quel jeu, la touche B ferait l'affaire. Pas dans Lunark, qui va vous demander de vous mettre (sans tomber) tout au bord du gouffre, de faire face à la bonne direction, puis d'appuyer simultanément sur une gâchette et sur la flèche du bas de votre pad.
On a vite l'impression de commander un transpalette sans freins davantage qu'un personnage de jeu vidéo et c'est un constat déclinable à l'ensemble du gameplay proposé dans l'aventure. Ramasser un objet ? Du pixel hunt fastidieux. Les combats de boss ? Une alternance de marche à pied, de mise en joue, de fusillade molle à répéter en boucle pendant dix minutes. J'aimerais dire que tout ceci est sauvé par un level design s'adaptant parfaitement à ce gigantesque anachronisme vidéoludique, mais même pas : les checkpoints, placés bizarrement et manquant désespérément de sauvegardes automatiques, nous font traverser encore et encore les mêmes séries de tunnels et de précipices que l'on parcourt sans joie, en attendant simplement de découvrir le prochain décor qui, au moins, sera forcément sublime.
Lunark a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur Nintendo Switch et sur PlayStation 4 et 5.
Lunark est-il fait pour vous ? C'est assez simple à déterminer. Jouez dix minutes au remake de Flashback, et si vous vivez votre meilleure vie, alors le jeu de Canary Games a été développé littéralement pour vous. Oui, vous. Dans le cas contraire, il y a fort à parier que vous allez très rapidement vous demander pourquoi on vous pousse faire des roulades toutes molles entre des lasers cyberpunks encore et encore parce que c'est comme ça que nos grands-parents faisaient dans la tradition vidéoludique millénaire. Je ne peux pas considérer que refaire exactement le même type de jeu au pixel près qu'il y a trois décennies soit par essence une mauvaise idée, surtout quand une aventure comme Lunark va aussi loin dans la démarche. Néanmoins, c'est une manière d'envisager le jeu vidéo extrêmement clivante, et pas nécessairement dans le meilleur sens du terme.
Les + | Les - |
- L'ambiance, très réussie | - Les sauts et les gunfights, très mous |
- Scénario ramassé mais malin | - Contrôle du personnage complètement anachronique |
- Imite ses modèles à la perfection | - Imite ses modèles à la perfection |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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