Comme environ tout ce qui sort cette année entre septembre et décembre (avec une concentration de 75% sur le 30 septembre, si j’en crois le calendrier), Lost in Random faisait partie de ces titres que j’attendais énormément, comme ont pu en témoigner les bonnes nouvelles de ces derniers mois et mes petits cris suraigus à chaque nouveau trailer. Il faut dire que si Chloé est irrémédiablement attirée par le moindre jeu mignon, il serait bien malvenu de ma part de la railler puisque la catégorie Shiftcore englobe quand même un sacré paquet de trucs, dans laquelle on pourra trouver sans soucis l’esthétique burtonesque à tendance stop motion que promettait le titre de Zoink Games. Et si on ajoute de l’action-aventure linéaire à la sauce, c’est jackpot.
Pas étonnant, donc, de me retrouver dans les starting blocks pour Lost in Random, tant les inspirations citées me parlaient, et ce même avec ce gameplay étrange qu’il m’a été difficile de saisir durant les premières présentations. Mais si d’un point de vue esthétique et narratif, Lost in Random fait des merveilles, la réussite est moindre sur le plan vidéoludique, moindre au point d’en faire un titre assez pénible, pour ma plus grande déception.
Si votre hommage se rapporte à votre plumage
Mais laissons nos espoirs brisés de côté un instant, car la grande promesse de Lost in Random portait sur sa direction artistique, et sur ce point, Zoink a largement tenu parole. J’essaye de limiter l’exercice de la comparaison à son strict minimum, préférant parler d’un jeu pour ce qu’il est plutôt que de ce à quoi il ressemble, mais je devrai me passer de cette restriction pour cette fois : il est quasiment impossible de traiter de Lost in Random sans s’attarder ne serait-ce qu’un peu sur ses inspirations. Inspirations qui sont à 200% ma came, puisque Zoink est parti lorgner du côté stop motion chelou pour sa DA, à grands coups de Selick, Burton et Laika. Plus généralement, on retrouve un amour et un hommage immodérés et sincères pour cette technique d’animation, car avant même de se pencher sur l’esthétique à proprement parler, la fluidité – ou plutôt, dans ce cas, la non-fluidité – de certains mouvements ou certaines actions, la manière de se mouvoir des personnages, ainsi que leur morphologie, combinés aux dizaines de modèles sculptés et présentés durant toute la campagne marketing du titre hurlent à plein poumons le stop motion.
Mais la technique reste la technique, et le stop motion n’est pas en soi un genre à part entière, seulement une manière d’animer. On s’éloignera ainsi pas mal d’effets à la Harryhausen (L’île mystérieuse, Le Choc des Titans) ou de la douceur d’un studio Aardman (Chicken Run, Wallace & Gromit) pour venir se caler entre la poésie et le lugubre, entre l’onirique et le glauque, aux côtés de pointures comme Henry Selick. Oui, cela fait déjà deux fois que je cite le bonhomme, car si le nom de Burton vient immédiatement à l’esprit quand on découvre l’imagerie fascinante et torturée de Lost in Random, inévitablement accompagné de L’Étrange Noël de monsieur Jack, Selick est non seulement fort lié au film, mais responsable de quelques autres longs métrages tout aussi intéressants et proches visuellement. Ainsi, on retrouve autant dans Lost in Random du monsieur Jack que du James et la Pêche géante, du Coraline et, plus indirectement, du Paranorman ou The Boxtrolls, deux longs métrages réalisés par le studio Laika.
Il n’est cependant pas question de parler de copie ou de plagiat : Lost in Random possède son style propre et si l’hommage et la volonté de s’inscrire dans cette esthétique sont assez évidents, il n’empêche que Zoink a su insuffler à son titre une réelle personnalité. Chaque ville possède ses traits d’architecture notables, ses lieux marquants, chaque personnage possède sa petite touche tantôt drôle, tantôt dégueu, tantôt étonnante : si le tout dégouline de ses inspirations, ce sont des designs que je n’avais, pour la plupart, pas vus ailleurs. Et force est de reconnaître qu’ils sont réussis.
J’t’ai classé
Là où j’attendais un peu moins le titre, c’est sur le message porté par son scénario. Ou du moins par son postulat. Dans le monde de Random, chaque personne, à l’âge de ses douze ans, lance un dé dont le résultat décidera du reste de sa vie, et plus précisément de la ville qu’iel habitera, ainsi que du rang social qui en découle. Tirer un 1 destine à une existence de misère dans la ville de Onecroft, quand un 6 promet un aller simple pour une vie luxueuse dans le palais royal. Sous son aspect de conte de fées, Lost in Random parle finalement assez frontalement de lutte des classes et de déterminisme social. Et si ce n’était pas assez métaphorique, le scénario nous conte l’histoire de deux sœurs, dont la plus âgée, Odd, vient de tirer un 6 au dé du destin, alors qu’elle vivait dans la ville la plus pauvre du royaume. Sa cadette, Even, part alors à sa recherche, en traversant une à une et dans l’ordre croissant les villes menant au palais de la Reine, afin de retrouver et ramener Odd.
De la même manière que Chris Evans remontait les échelons sociaux en traversant les différents wagons de Snowpiercer – réalisé par Bong Joon-Ho, qui lui non plus ne fait pas semblant de traiter de questions sociales -, Even découvre les différentes strates de la société en passant de ville en ville. Un aspect particulièrement appuyé par la mise en scène : on monte en permanence dans Lost in Random. Les escaliers sont nombreux, les angles de caméra sont en contre-plongée, les bâtiments sont de plus en plus imposants au fil de notre progression et tout est constamment fait pour nous donner la sensation d’une lente et pénible ascension vers un objectif inatteignable. Un voyage qui fera drastiquement changer le but et les convictions d’Even, faisant évoluer sa quête d’une mission de sauvetage très personnelle à une volonté de détruire la Reine et le système injuste et aliénant qu’elle incarne. Au terme de l’intrigue, le but d’Even devient littéralement d’abolir les classes sociales. On peut difficilement faire plus clair.
Une métaphore qui se tient presque jusqu’au bout, mais qui peine à se filer dans sa conclusion. Alors que les enjeux grandissent tandis qu’Even traverse le palais de la Reine – et découvre l’horreur du lieu promis comme une terre de luxe et d’opulence -, le final semble abandonner son propos en route, se dépêchant de trouver une explication aux agissements de la Reine et coupant court à toute l’intrigue installée, sans même prendre la peine d’un épilogue, nous laissant un peu trop sur notre faim. Sans forcément espérer un acte final sur fond de révolution aux portes du palais, j’attendais au moins que ce message aille quelque part et que la conclusion soit en adéquation avec la fable sociale portée tout du long. Un petit effet de pétard mouillé, mais qui ne saurait éclipser la réussite qu’est le scénario, porté par des dialogues plutôt justes – et souvent drôles -, quelques grosses fulgurances de mise en scène et un narrateur attachant.
Video Game killed the Random Star
En revanche, il y a malheureusement un aspect qui peut éclipser toute cette réussite technique et artistique. Pour être clair, je pense que Lost in Random n’est pas un très bon jeu vidéo. C’est, malgré sa fin, une très bonne histoire, avec une esthétique renversante, mais c’est une œuvre vidéoludique assez fastidieuse à jouer, et ce pour plusieurs raisons.
La première, c’est ce game feel assez perturbant. Il est probable que cela vienne en partie de l’aspect stop motion escompté, mais quoi qu’il en soit, Lost in Random est mou, désespérément mou. La course est lente, la marche l’est encore plus, la visée est pénible, la plupart des actions ont une courte mais étrange latence : le titre semble toujours légèrement ralenti ou déphasé, pas assez pour que ce soit injouable, mais toujours trop pour que le jeu soit vraiment agréable à jouer. Un aspect renforcé par l’étrange timing des vidéos et pop up. La plupart des cinématiques semblent avoir été coupées d’une demie seconde au début et à la fin, provoquant des absences de transition parfois assez brutales, de même que les combats, qui s’arrêtent à l’instant exact où l’ultime ennemi perd son dernier point de vie, et dont les récompenses s’affichent instantanément à l’écran, avant même que son corps n’ait eu le temps de toucher le sol. Par ces petits détails, le titre distille une certaine impression de gêne et de flottement, et il m’aura fallu plusieurs heures avant de vraiment comprendre d’où elle provenait.
À cette mollesse ambiante s’ajoute une répétitivité qui s’instaure très très vite, la faute à une structure très conventionnelle – on arrive en ville, tout le monde change de trottoir et on enchaîne dialogue, couloir, combat, dialogue, couloir, combat, … -, à d’insupportables quêtes à tiroir – je veux quitter ce lieu, j’ai besoin de l’aide de ce personnage, qui accepte si je fais une quête pour lui, qui implique d’aller voir un autre personnage, qui a lui aussi besoin d’aide etc – et à une sous-exploitation assez incompréhensible d’un système de combat pourtant original et propice aux variations. Pour faire très court : les affrontements se font en temps réel, et il s’agit de briser les cristaux posés sur les ennemis à l’aide de sa fronde. Ces cristaux permettent de piocher des cartes dans un deck, cartes qui seront utilisables une fois notre compagnon-dé lancé. Le temps s’arrêtera alors, et le chiffre indiqué par le dé détermine le nombre de cartes qu’il sera possible de jouer, nous apportant armes à distance, au corps à corps, de la défense et autres bonus.
Malheureusement, le système se limite tout seul. Les ennemis sont très peu variés, de même que les cartes, et on finit très tôt dans le jeu par avoir son deck quasi-définitif. On enchaîne ainsi une grosse dizaine d’heures sans innovation ni ajout dans le gameplay avant de voir apparaître des variations intéressantes. C’est bien mais ça arrive beaucoup trop tard. C’est trop tard et c’est frustrant : alors que le jeu s’achève très bientôt et que l’on s’est fadé tous ces combats insipides, il nous montre enfin qu’il aurait pu faire quelque chose de plaisant avec ce système, en ajoutant des cristaux qui soignent les adversaires, en entourant de foudre certains ennemis ou en nous faisant affronter un mini boss qui ignore la pause tactique. C’était super tout ça, pourquoi on en n’a pas eu plus, puisque les combats sont le cœur de gameplay du titre ? Un choix de conception assez inexplicable, et probablement le plus gros gâchis du titre.
Lost in Random a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Il est également disponible sur PlayStation 4 et 5, Xbox One et Series, et sur Nintendo Switch.
Lost in Random est une vraie réussite artistique, tant sur le plan narratif qu’esthétique. Avec son mélange de conte et de fable sociale, sa poésie lugubre et grinçante, son humour pince-sans-rire et ses fulgurances de mise en scène, le titre de Zoink se révèle être une très bonne histoire, se déroulant dans un magnifique décor. Ce qui fait de sa partie vidéoludique médiocre une déception d’autant plus cruelle. Avec un game feel plus avenant, une structure moins répétitive et surtout une meilleure utilisation d’un gameplay qui n’attendait que ça, Lost in Random aurait pu être un des GOTY de cette année pourtant chargée. Bon, au moins je suis content de désinstaller Origin.
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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