Je me souviens avoir vu, dans une interview il y a bien un an de cela, des employés de chez Dontnod Entertrainement évoquer Life Is Strange : Before the Storm sous des termes assez polis, avec un petit éclair de désespoir dans le regard, et finir par lâcher une formule de type « ce n’est pas vraiment notre jeu ». La scène m’avait marqué, car on sentait là-dedans tout ce qui peut se jouer entre un éditeur et un édité. Le succès stratosphérique des aventures de Max et Chloé en 2015, amplement mérité, a poussé Square Enix à allonger la sauce en confiant la réalisation d’une préquelle à DeckNine, un studio surtout connu pour le jeu Pain. Oui, celui où on envoyait un type dans le décor pour qu’il se fasse mal. Cette douleur qu’on retrouvait, un peu, au fond de la pupille des employés de Dontnod. Et voilà que les trois épisodes de Before the Storm sont là, sous nos yeux, à portée de clic. Et sans surprise, avec un tout petit peu de tremblement dans la voix, je peux vous le dire exactement sous le même ton. Ce n’est pas vraiment leur jeu.
Rébellion de Prisunic
Il y a des idées stupides qui s’avèrent après coup être des éclairs de génie. Ce type de parfum de réussite surprise ne flottait vraiment pas autour du projet Before the Storm. Le côté assez radical et définitif de la trame principale de Life is Strange avait la délicatesse de n’appeler aucune explicitation. Pourquoi Max et Chloé avait-elles cessé de se parler ? Qu’est-ce qui avait conduit cette dernière à être déscolarisée ? Comment Rachel Amber avait-elle fini par disparaître de la petite ville d’Arcadia Bay ? Vous voyez, en somme, toutes ces questions dont vous n’aviez que faire en jouant au titre de Dontnod ? Eh bien Square Enix a confié à des gens sans expérience particulière en la matière le projet fou d’y répondre. Ne mâchons pas nos mots. C’est : pas fameux.
L’histoire nous ramène donc quelques années avant Life is Strange. Vous incarnez Chloé Price, fraîchement abandonnée par sa meilleure amie Max qui, après avoir déménagé dans une ville lointaine, a fini par passer à autre chose (ce que le jeu avait l’élégance de vous rappeler en trois dialogues et deux regards qui suffisaient à poser le cadre). Chloé, elle est rebelle. C’est une dure. Elle fait des tags au feutre. Elle sèche le cours de bio. Elle écoute du rock fort. Elle achète de la beuh au débile du coin. Elle fait des fuck à des white-trash dans des fêtes clandestines, et elle écrit des trucs un peu osés dans son journal intime. Elle s’adresse aux gens en penchant la tête et en retournant leurs mots comme eux, mais avec des insultes en plus. Ce jeu a été écrit par des vieux, c’est évident. Les amis, moi aussi je me souviens de Drazic dans Hartley Coeur à Vif. Vous savez quoi ? L’acteur a désormais 42 ans, et sa façon d’être un True Rebelz à l’époque, c’était déjà tout bidon. Un peu comme moi, qui emploie des expressions comme « tout bidon ».
Je pourrais résumer les trois épisodes de Before the Storm à un simple simulateur de crise d’adolescence, mais ça ne serait pas assez éloigné de la réalité pour être ironique. La seule mécanique de jeu implantée par DeckNine pour remplacer les voyages dans le temps de Life is Strange est, littéralement, un simulateur d’insolence constitué de joutes verbales où Chloé, en Eminem de MJC rurale, doit clasher des interlocuteurs pour les convaincre que sa gouaille vaut qu’on lui passe tous ses caprices. Ce qui aurait pu être une bonne idée, si ces joutes oratoires avaient été bien écrites. Hélas, ce n’est pas le cas, et la traduction un peu approximative n’aide pas si vous ne parlez pas un anglais correct.
Thème : rien.
La force de Life is Strange était la puissance de ses thématiques. Le deuil, la gestion du passé, le côté inéluctable, parfois, des séparations. Utilisant une trame extrêmement cliché pour développer des sentiments bruts et des rebondissements bien troussés, le jeu de Dontnod avait pour lui la puissance de ce qu’il évoquait. Parfois maladroitement, parfois avec des phases de jeu un peu ratées, il y avait en tout cas là-dedans beaucoup de sincérité et beaucoup d’astuce. Sans aller jusqu’à dire que les développeurs de DeckNine n’ont pas été sincères (car on sent la volonté d’y arriver à chaque coin de pixel), il n’en reste pas moins qu’ils n’ont visiblement pas su quoi faire de ce qu’ils avaient sous la main. Before the Storm est un jeu qui met plus de deux heures avant de commencer à raconter quelque chose, et dont la trame ne décolle jamais vraiment. Chloé se traîne de lieux en lieux pour insulter imbéciles sur imbéciles, et vivre diverses séquences artificielles dont une bonne moitié nous semble être de simples caméo de personnages de Life is Strange avec quelques années de moins.
Et cependant, je ne vais pas être hypocrite, tout cela se traverse sans déplaisir aucun, comme on traverse un lac en pédalo. On se surprend même à trouver quelques rares passages brillants, spécialement ceux où le personnage de gamine insupportable de Chloé se retrouve dans des situations qui la sortent de sa zone de confort. Une scène onirique lui faisant revivre un traumatisme, une improbable partie de jeux de rôle avec un couple de geeks dans la cour du lycée… Les moments qui ressemblent le moins au reste de Before the Storm sont ironiquement les meilleurs. La semi-catastrophe technique (changement malheureux de moteur graphique, textures grossières) se fait même parfois oublier : au regard de l’ensemble de la production de jeux d’aventure, la préquelle de Life is Strange s’avère plus que correcte. Et, si ce n’était deux problèmes majeurs, on pourrait presque en rester là.
Comme une vague odeur d’arnaque.
Life is Strange : Before the Storm me pose deux problèmes. Le premier est un problème artistique. A rebours de son temps, le jeu de Dontnod se refusait à l’exercice forcé de la Marvelisation : tout expliciter et placer une blague toutes les 6 secondes, quel que soit le drame montré à l’écran. La préquelle de DeckNine parvient à réaliser l’anti-exploit de faire exactement le contraire. Tout, absolument tout ce que Life is Strange laissait en suspens, à commencer par la manière dont Chloé a « mal tourné » était laissé à l’impression du joueur au gré de quelques allusions. Ici, on aura droit à tout : les textos ghostés par Max, l’arrivée du méchant-beau-papa dans la maison familiale, le passé du petit gosse de riche Nathan, comme si aucun répit ne devait être laissé au joueur, comme si chaque micro seconde, chaque micro bout d’intrigue devait avoir sa sous-section complète de wiki remplie de bout en bout. Vous trouvez ce paragraphe trop long ? Essayez de lire le journal où Chloé détaille, sur des pages et des pages, toute la douleur d’avoir vu son amie d’enfance déménager à Seattle. Essayez d’épuiser les lignes de dialogues de tous les PNJ que vous croiserez pour vous parler de leur perception palpitante de Rachel Amber sur le sociogramme scolaire. Essayez d’écouter un sermon de dix minutes de votre prof de biologie comme quoi Chloé, si tu sèches les cours tu vas finir au pilori alors qu’avant t’étais tellement douée en science. Pitié, n’en jetez-plus.
Rien dans tout cela n’a de sens. Que Chloé soit gentille ou méchante, que vous choisissiez de jouer ou non au jeu de l’insolence, à quoi bon ? Elle finira toujours avec les cheveux bleus à trainer sur les docks, Max finira toujours pas revenir à Blackwell, Nathan deviendra immanquablement un psychopathe, et Victoria machinchose fondera immanquablement son club de l’apocalypse pour faire des Skins party comme si on vivait en 2008 dans une série choc de la BBC pour les teens. Alors que Life is Strange vous permettait vraiment de tracer votre chemin et d’aboutir à un des deux (terribles) dénouement de l’intrigue, ici, on est sur le Titanic, sans gouvernail, en voyant avec indifférence l’arrivée de l’iceberg. Voilà qui manque un peu de piquant.
Mon autre problème est moral, mais au fond, qu’en dire ? A l’ère des lootboxes, des accès anticipés frauduleux, du shovelware qui noie les stores et de Star Citizen, une escroquerie de plus ou de moins, ça ne change pas grand-chose. Le 9 août 2017, on apprenait que la grève initiée par le syndicat des acteurs américains (SAG-AFTRA) avait failli faire capoter complètement Before the Storm, l’actrice incarnant Chloé ayant choisi de ne pas reprendre son rôle (elle est par ailleurs co-créditée à l’écriture du jeu). De ce drame syndical, qui n’est pas sans évoquer celui de la ville d’Arcadia Bay où se déroule le jeu, toujours au bord de la précarité et de la tempête, Square Enix a fini par tirer quelques mois plus tard un jeu vendu 17€ pour trois épisodes, et jusqu’ici tout va bien. Par la suite a été annoncée la venue pour ce début d’année d’un quatrième épisode, exclusif à ceux qui auront eu le bon goût de commander l’édition deluxe, vendue 7€ de plus, avec en Cadeau Bonux le retour des voix officielles de Max et Chloé et trois t-shirt alternatifs pour cette dernière. C’est tellement beau, on croirait la politique de DLC d’un Jrpg tout moisi de chez Gust. Mais non, vous êtes bien chez Square Enix. A croire qu’entre FFXV, Hitman et ce Before the Storm, l’éditeur prend de bonne habitudes.
La capacité à faire comprendre rapidement et efficacement le passé des personnages, tout en laissant assez de mystère et de blancs pour installer une ambiance inquiétante, voilà qui était une des grandes réussites de Life is Strange. Du passé de Chloé (personnage qui existait surtout en miroir de celui de Max), les malheureux développeurs de DeckNine ont fait un simulateur de crise d’adolescence revisité par des gens qui ne sont plus des adolescents depuis très, très longtemps. En dix heures et trois épisodes, Life is Strange : Before the Storm répond tristement à la question « est-il besoin de tout expliciter, au risque de dire n’importe quoi ? ». Avec une écriture abyssale et une aventure morne servie par des dialogues parfois incompréhensibles, vous forçant à enfiler les chaussures d’une petite fille rebelle dont on connaît déjà parfaitement la trajectoire, le titre de Square Enix ne manque cependant pas de bons moments. On se plaît à penser, parfois, au détour d’une séquence ou d’une autre que s’il s’était tenu en un seul épisode de deux heures vendu à prix modeste plutôt qu’à une politique de DLC douteuse destinée à rallonger encore un peu une sauce déjà bien fade, Before the Storm aurait pu être le Star Wars : Rogue One de la franchise Life is Strange. Au lieu de cela, il passe tout près d’en être l’Holiday Special. Comme quoi moi aussi, je peux placer des références cinématographiques faussement pointues.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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