Un soir de mai, le prolifique compositeur de Rock progressif anglais Steven Wilson annonçait sa collaboration à un jeu vidéo. Last Day of June — c’est son nom — se déroulera au sein de la diégèse de l’un des clips les plus poignants de l’artiste : Drive Home. En fan inconditionnel de l’oeuvre du bonhomme, il m’était inconcevable de passer à côté de l’occasion. C’était sans m’imaginer, bien sûr, la déconvenue à laquelle j’allais être confronté. Last Day of June ne porte en rien le génie de l’auteur de sa musique, et s’embourbe dans un scénario enfantin perclus dans ses clichés. Récit d’une déception.
Pour bien recontextualiser, j’invite tout le monde à regarder le clip original qui introduit les protagonistes du jeu. Réalisé par Jess Cope à partir des personnages imaginés par Hajo Müller pour la chanson, la vidéo offre à la composition de Wilson un cadre émotionnel d’une force à émouvoir du charbon. C’est donc dans une version largement remaniée de cette histoire que nous plonge Last Day of June. En deux mots : Carl — notre avatar — perd son épouse June et ses jambes dans un tragique accident de voiture qui le laissera dépressif. Au cours de l’une de ces soirées qui ne ressemble à rien de plus qu’à la précédente, Carl se découvre la faculté de voyager dans le temps. Vous me voyez venir : il va tenter de sauver son aimée en remontant le fil des événements qui ont mené à l’accident.
C’est chou, mais c’est chiant
June était peintre. À ses heures perdues du moins. Alors s’entreposaient dans le garage de la maisonnée des portraits. Ceux des autres habitants du drôle de village qu’elle habitait avec Carl. Le voisinage se compte sur les doigts de la main : le papy creepy, le gamin insupportable, le baron-chasseur-inconscient, la girl next door qui a un crush sur Carl. Chacun a donc droit à sa croûte signée June. Des portraits qui serviront à Carl de portails pour incarner, tour à tour, les habitants du village pour tenter d’inverser le cours des choses ; de fucker l’espace-temps.
Quiconque a déjà lu un livre traitant du sujet, ou regardé un film abordant de près ou de loin les voyages temporels sait pertinemment que : non, ça fonctionne jamais. Last Day of June ne fait aucunement exception. Tant et si bien que l’on sait, que l’on devine absolument tout des kilomètres en avance. Des lieux communs qui ne nous font même pas l’exemption d’une écriture niaise et d’un panel de personnages au mieux agaçants, au pire horripilants.
Le pire dans cette histoire ? Steven Wilson. On sent bien que le compositeur a été pris au dépourvu. J’aurais dû m’en douter, voir les signes. Son annonce sur Facebook était pourtant claire : “Je ne suis pas un joueur. […] Les musiques utilisées dans le jeu sont pour la plupart des versions instrumentales de mes compositions.” C’est peu de le dire. En tout et pour tout, la musique ne couvre que 10% de l’expérience totale. Moi qui pensait me lancer dans un jeu nourri tout entier de l’oeuvre de mon artiste chouchou, me voilà marri.
Mayday of June
Très honnêtement, je viens de terminer le jeu, et je n’ai absolument aucune idée du temps que cela a bien pu me prendre. À vue de pied, je tablerais sur quatre heures bien tassées. Amusant : on perd la notion du temps en y jouant. Peut-être parce que l’on nous force à rejouer encore et encore les mêmes scènes, d’un point de vue différent, pour finalement se rendre compte que nos actions n’ont aucune incidence sur le déroulé de la tragédie. Alors on revient sur nos pas, on endosse de nouveau la casquette de ce gamin insupportable et on le fait jouer au cerf-volant plutôt qu’au ballon. Oh, miracle, la vie de June est épargnée. Ah, bah non en fait, parce que le chien du chasseur marche où-qui-faut-pas et fait s’effondrer des gravas sur la route de Carl et June — causant l’accident.
On en a marre de revoir cette scène, toujours aussi maladroite et débordante d’un pathos émétique. Il faudra quand même prendre le temps de m’expliquer comment le conducteur ne voit pas à plus de trois mètres devant lui alors qu’il roule en ligne droite et qu’il pleuvine à peine sur leur route. Ah oui, pardon, une feuille morte s’est logée dans l’essuie-glace, interrompant la vigilance de notre protagoniste. Je suis épuisé.
Mais la maladresse ambiante ne s’arrête nullement aux frontières du post-it servant de scénario. Le gameplay profite lui aussi de cette science rare de l’illogisme élevé au rang d’art. Le cas le plus frappant ? La girl-next-door (elle a pas de nom, c’est pas ma faute). Souffrant d’être éconduite par Carl, elle se décide à déménager. Il faut donc charger ses cartons dans sa camionnette. Cette séquence est un cas d’école de tout ce qu’il ne faut pas faire dans un jeu vidéo en 2017. Je vous invite par ailleurs à (re)lire l’excellent papier de l’ami Yohan sur les interactions facultatives dans le jeu vidéo. Sans m’étaler sur le sujet : sachez que cette bonne dame ne peut marcher sur un tas de feuille en portant un carton, mais en est tout à fait capable si elle a les mains libres. Les pousser du pied ? Jamais de la vie bon sang ! Faisons tout le tour du pâté de maison pour trouver un râteau afin de dégager le chemin.
La sauver ?
L’aspect vidéoludique de l’aventure est en filigrane. Comme d’habitude avec ce genre de jeux-expériences. On se déplace, certes. Interagissons, soit. Mais la pauvreté du gameplay ne compense pas une seconde l’incapacité chronique du titre à nous émouvoir dans ses premiers mouvements. Car oui, malgré tout, Last Day of June trouvera de quoi nous remuer dans son dernier effort. Convenu, mais touchant.
Je termine pourtant ma course agacé, déçu. Le cadre musical — ravissant, évidemment — ne suffit pas à raviver une flamme trop faiblarde. Le plus gros souci du jeu de Ovosonico est son game design bien trop simpliste. On ne nous propose rien d’autre que de déplacer des personnages et de cliquer ponctuellement sur un bouton. Ça fonctionnerait … si le scénario occultait toutes les errances de la jouabilité. Ce qui n’est pas le cas.
Last Day of June ne fera pas date, tant il souffre d’un flou artistique qui ne se dissipe jamais. On lui créditera malgré tout une direction artistique unique en son genre, et des graphismes pas bien vilains, servant assez bien le côté arty de la tentative du studio italien.
Critique réalisée à partir d’une version fournie par l’éditeur
Tritri
Paradox, trains, Paradox, city builder, Paradox, espace, Paradox. Je suis un homme simple, aux goûts simples. Paradox.
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