Quelle que soit la vie de joueur que vous menez, il y a de très fortes chances pour que vous ayez déjà expérimenté ce type d’interaction dans un jeu vidéo. Par « jeu vidéo » je cible les œuvres qui développent de près ou de loin une narration, celle-ci à retrouver la majeure partie du temps dans une aventure solo (joueurs exclusivement online, ce qui va suivre risque de ne pas vous intéresser). Et par « interaction facultative » il faut comprendre une action parfaitement inutile à mener, sans effet sur l’avancée du scénario ni sur la potentielle progression du personnage que l’on incarne. Tantôt gratuites, tantôt vectrices de sens, ces séquences facultatives ponctuent de plus en plus souvent le petit bonhomme de chemin virtuel que le joueur poursuit aussi bien dans un monde ouvert que dans une succession de couloirs. L’occasion pour moi de revenir sur quelques-uns de ces moments de jeu vidéo, puisés directement d’une source toute personnelle et non exhaustive, à savoir ma petite mémoire… gare aux spoilers !
L’art de l’observation
Qui n’a jamais marqué un temps d’arrêt en jeu, ne s’est octroyé une petite pause derrière une séquence particulièrement rythmée ? Si improviser une telle aparté pour scruter du regard un environnement ou pour s’imprégner d’une ambiance n’est pas nouveau, mettre à disposition une interaction qui le permet reste encore assez inédit.
Ainsi Rise of The Tomb Raider fait partie de cette courte liste de jeux offrant la possibilité de distraire son personnage. À deux reprises, le joueur peut interagir avec une chaise placée à deux emplacements distincts (c’est étrange à dire, j’en conviens). Si l’on peut s’interroger sur l’intérêt de la première interaction, située dans un secteur beaucoup trop sombre à l’écran et pas nécessairement à la meilleure place, la seconde nous offre par contre un petit moment de répit interactif devant l’un des plus beaux panoramas du jeu.
Une mise en situation plutôt bien vue donc, que Lara ne manquera pas de commenter.
« La meilleure place qui soit… ».
Mais en y regardant de plus près, cette feature semble avoir été décidée sur le tard. Outre une animation de Lara un peu ratée une fois assise (bug de collision), l’interaction semble surtout inadéquate, compte tenu des péripéties menées dans les deux chapitres concernés. En fait, la proposition anticipe moins un désir de contemplation chez le joueur qu’elle ne sert en réalité qu’à débloquer un succès / trophée. C’est dommage, parce que cette passivité aurait pu être marquante pour une bonne raison, comme en faisant partie intégrante d’un récit un poil trop explosif.
À ce titre, Life is Strange est un jeu qui a su épouser cette fonctionnalité et la rendre incontournable. Récurrente tout au long des cinq épisodes qui composent la saison, la contemplation se fait plurielle, diversifiée et intervient en des instants tout à fait judicieux. Que ce soit pour satisfaire le joueur d’un moment d’observation d’un lieu, prendre un peu de distance sur une situation ou encore pour rendre compte d’un semblant de nostalgie, tout est là et arrive à point nommé. Et c’est aussi essentiel que cela en a l’air puisque l’aventure prend beaucoup d’ampleur lorsqu’elle nous intime à progresser à notre rythme. Ces séquences d’interaction en sont une parfaite illustration car elles ne se contentent pas de déclencher une animation, mais tiennent à déployer une mise en scène unique et au cadrage intelligent. Tous les éléments clés environnants y trouveront une place, soutenus par une partition de la bande originale, et n’attendront qu’une manifestation du joueur pour y mettre un terme. Des instants d’abstraction qui ont par ailleurs donné lieu à une playlist sur la chaîne YouTube officielle du jeu, sobrement intitulée A Moment of Calm, regroupant l’intégralité de ces situations. Ci-dessous la première d’entre elles.
Dans un registre un brin moins charmant, Deadpool : The Game propulse le joueur, dès son introduction, dans un laboratoire de petits plaisirs optionnels. On y retrouve donc ce personnage dans un appartement miteux, un environnement qui vise à familiariser dès le départ le joueur avec l’humour et les agissements peu conventionnels du héros (dans le cas où vous ne seriez pas déjà avertis). Cette première séquence de jeu n’en reste pas moins intéressante puisque c’est dans le prolongement de ces actions facultatives que l’exposition du personnage peut avoir lieu. À raison d’une interaction de notre part on déclenche, à peu de choses près, soit une confidence du héros soit une information sur son background. Ainsi on peut l’observer dormir, regarder la TV, faire des pancakes, caresser un chien, gonfler une poupée, manger une pizza… bref, tout un programme en 14 étapes à réaliser, ou non, avant de lancer l’aventure.
Entre hommage et confession
À de très rares occasions, l’interaction facultative sera aussi employée comme un compromis, entre une cinématique et une séquence de gameplay, pour traiter de l’intimité d’un personnage. Le genre de situation qui peut être difficile à imposer à un joueur, surtout lorsque l’on a affaire à une narration de base très peu dirigiste et que « l’objectif » de mission n’apporterait rien de concret sinon plus de profondeur au personnage concerné.
Toujours dans l’univers super-héroïque, Batman Arkham City est le second épisode de la trilogie Batman Arkham et la première vraie tentative de jeu à monde ouvert. L’Asile du premier épisode laisse alors place à la prison d’Arkham, établie à partir d’un segment de la ville de Gotham City. Un périmètre urbain conséquent, faisant également de cette prison un musée à ciel ouvert des événements historiques qui ont forgé la mythologie du Chevalier Noir. Parmi eux, L’Allée du Crime, théâtre de l’assassinat des Wayne mais aussi de l’unique interaction environnementale (et facultative) du jeu. Seule la curiosité peut mener le joueur dans cette ruelle où il aura la possibilité, en tant que Batman, de « rendre hommage » à ses parents disparus, symbolisés par un marquage au sol et un bouquet de roses abandonné. Genou à terre, un travelling circulaire et quelques notes de musique composent cette séquence certes accessoire dans le jeu, mais à la puissance évocatrice telle qu’elle a tout de même su marquer les esprits de bon nombre de joueurs. C’était (presque) sobre et on apprécie l’effort.
Plus récemment, et dans un style autrement plus verbal, Horizon Zero Dawn met à la disposition du joueur une situation à peu près identique. L’héroïne et orpheline Aloy peut se recueillir sur un autel érigé en la mémoire d’un proche défunt. Mais contrairement à Arkham City, cette interaction est mentionnée par l’intermédiaire d’un symbole sur la carte du jeu, et ne se manifeste que vers la fin de l’aventure. Ainsi le joueur peut interagir avec la tombe de Rost, l’unique référent paternel d’Aloy et enterré sur les terres où il nous a élevé par le passé. L’hommage prend alors une allure de confession (mécanique similaire aux scènes de dialogues du jeu) où peut s’en suivre un monologue contant l’essentiel des péripéties menées par le joueur depuis la mort de ce personnage, avec tout le respect et la reconnaissance qu’une telle situation peut convoquer.
Mais c’est aussi et peut-être surtout l’occasion de sacraliser une relation pudique et à sens unique, où l’investissement émotionnel était uniquement porté par la jeune Aloy. Une séquence discrète, modérée et qui amène un semblant d’introspection, le tout forcément plus que bienvenu dans une production qui en manque cruellement les ¾ du temps.
Mise en perspective
Pour en revenir à l’introspection justement, certaines productions ont su tirer leur épingle du jeu en faisant de cette approche réflexive le fil conducteur d’une histoire. Je pense à des interactions dispatchées dans un récit et qui offrent le recul nécessaire pour créer une distance entre un personnage et les objectifs qu’il poursuit, dans le but de dédramatiser une fiction ou pour l’observer sous un nouvel angle.
Max Payne 3 est probablement l’exemple narratif qui a poussé le plus à bout cet effet de distanciation. Tout au long de l’aventure, quelques interactions facultatives viennent ponctuer les innombrables séquences de gunfights du jeu. Cela se traduit par la possibilité de jouer à plusieurs reprises à un piano, toujours situé dans une zone stratégique. Durant chacun de ces instants, Max tente de retrouver l’air d’une mélodie qu’il a oublié. Plus le joueur interagit avec ces instruments et plus il optimise ses chances de se réapproprier la mélodie dans son intégralité. Ainsi se dessine un arc narratif parallèle aux enjeux de base, et qui revient comme un leitmotiv. Sa finalité est particulièrement savoureuse puisque le motif musical n’est autre que le thème de la saga, ce dont Max est pleinement conscient.
« Elle était là. La bande originale de ma vie. Et, le temps d’un instant, de l’harmonie. Enfin. »
Le discours méta qu’il tient alors ne manque pas d’interpeller le joueur quant à son véritable objectif sur cet épisode : renouer avec son propre mythe. La métaphore du piano y est particulièrement limpide dans la mesure où il aura fallu passer par des fausses notes sur un piano prestigieux, pour aboutir progressivement à une mélodie parfaite sur un instrument complètement délabré (de même que le look de Max et son environnement qui se dégradent sans cesse). En gros c’est un personnage s’engouffrant inlassablement dans une descente aux enfers qui, ironie du sort, lui sied à merveille.
Dans une version un peu plus classique, le Nathan Drake de Uncharted 4 partage le même type de caractérisation que Max Payne. « Faux retraité qui se voit contraint de reprendre du service » mis de côté, les différents chapitres de cet épisode sont truffés de conversations facultatives qui visent le plus souvent à développer une palette inexplorée de Nathan (qu’il soit accompagné d’Elena, Sully ou Sam, même combat). C’est intéressant mais cela n’a jamais vocation d’instaurer une parenthèse intime entre le joueur et son personnage… à l’exception d’une interaction qui peut intervenir aux deux tiers de l’aventure. Le joueur, accompagné de Sam, peut provoquer une discussion entre les deux frères, autour d’une sorte d’apéro, sur les choix auxquels ils ont opté à des moments charnières de leur vie. De quoi, indirectement, remettre en question les fondamentaux de la saga. Une séquence qui réinterprète subtilement l’image que l’on se faisait de Nathan jusqu’ici, pour en dresser un autre portrait, celui d’un homme empreint d’une crise existentielle.
Crise que l’on retrouve à son premier stade (identitaire) avec le personnage d’Ellie dans The Last of Us : Left Behind. Le récit du jeu alterne deux temporalités et qui concerne Ellie sur chacune d’elles : l’une vise à compléter l’aventure initiale (celle de The Last of Us), l’autre développe un flashback qui lie le personnage à son amie Riley. Pour le joueur, qui incarne Ellie donc, cela se concrétise par deux enjeux et deux approches du gameplay bien distincts. Je m’attarderai sur le flashback puisque c’est là où l’interaction facultative entre en jeu. Ce segment de l’aventure consiste à flâner dans un centre commercial, accompagné de Riley, avec comme unique objectif de prendre du bon temps avec elle. Pour se faire, pléthore d’interactions optionnelles emplissent l’environnement. Seulement il y en a une qui sort du lot puisqu’elle confronte littéralement Ellie à sa propre image, en permettant au joueur d’en changer à sa guise. Pendant un instant ce dernier peut interagir avec un photomaton, dans lequel on lui demande de choisir le type de pose à effectuer devant l’objectif. Cette situation pourrait résumer à elle seule le conflit qui caractérise notre personnage tout au long du récit : sous couvert de situations loufoques et de partage, Ellie essaie de se définir, de se situer par rapport à Riley à l’aune de son entrée à l’adolescence.
Quand interaction est synonyme de virilité
Exit l’innocence et intéressons-nous désormais à ce qui se passe en dessous de la ceinture d’un homme. Et pour cela, quoi de plus significatif que les séquences plus lubriques les unes que les autres proposées dans la saga God of War ? Alors non je ne pars pas en vrille et cet exemple n’est pas non plus hors-sujet, puisque ces fameux passages se déclenchent au moyen d’une interaction là encore facultative.
La curiosité étant LE vilain défaut du joueur, il ne lui a sans doute pas échappé que chacun des épisodes dissimulait en son sein une séquence érotique (vous l’avez ?). À l’exception peut-être de God of War Ascension, dans lequel il s’agissait d’une simple illusion et qui aboutissait à un petit combat de boss… En somme, la définition même d’une douche froide. Pour rappel, God of War est un beat’em all scripté jusqu’à la moelle. C’est-à-dire que chaque épisode est pensé à la manière de montagnes russes que l’on a tout intérêt à arpenter sur les rails prévus à cet effet et non à côté. Sauf qu’à une occasion unique, chaque aventure offre la possibilité au joueur de faire une sortie de route pour un bonus (un peu comme cette partie de la chronique, en fait). Une sortie généralement symbolisée par un lieu dissimulé dans le parcours initial du joueur, et un bonus que l’on comprend vite comme tel dès lors qu’une touche de la manette apparaît au-dessus de délicieuses créatures (comment ? Sexiste ? Nooonn…..).
Que celles-ci répondent au nombre deux, trois, quatre et jusqu’à huit (tout à fait), cela n’empêche jamais Kratos de prendre part à une séquence torride, suggérée par une série d’actions contextuelles à réaliser dans le même temps. Et celle-ci devra être menée à la perfection si le joueur veut que la scène se déroule convenablement. Comme une image (ou une vidéo récapitulative plus précisément) vaut mieux que 1000 mots, je vous laisse de quoi raviver de beaux souvenirs… ou pas. De toute façon, il n’y a pas grand-chose d’autre à en tirer mis à part se rincer l’œil.
Voilà pour l’observation que j’ai pu mener auprès d’expériences vidéoludiques passées. Je tiens une nouvelle fois à rappeler que cette liste est tout à fait personnelle. Elle pourrait sans aucun mal être complétée par une multitude d’autres productions, que j’ai pu oublier ou auxquelles je n’ai pas encore eu le plaisir de jouer. Ceci étant dit, on peut tout de même noter que le contenu optionnel d’un jeu est un positionnement qui se démocratise toujours plus auprès du créateur, et qui est tout autant réclamé par le joueur. L’interaction facultative, comme on l’a vu, a souvent remédié à un trop plein de scripts et de directives. Mais aujourd’hui, avec un gameplay qui occupe une place toujours plus centrale dans un jeu, on cherche à rendre de moins en moins perceptible la frontière qui sépare l’action obligatoire de l’action libre. Une tendance qui peut tout aussi bien signifier une disparition prochaine de cette mécanique, ou au contraire, la représenter par de nouvelles méthodes d’interaction toujours plus intuitives et diversifiées… Seul l’avenir nous le dira.
Yohan Belhadj
Sensible à l'image et aux divers procédés de narration. Je suis peut-être plus vidéo que jeu, mais je ne boude pas pour autant mon plaisir à tenir une manette dans les mains.
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