Kirby et le monde oublié entend faire passer à son rose héros une nouvelle étape, celle de la 3D, et avec elle les portes d’un curieux continent. Le résultat est confondant de satisfaction.
On est en 2022 et, imperturbable, la série Kirby fait sa révolution en s’engageant pour la première fois dans une formule en 3D. Sur un malentendu et par l’entremise d’une campagne marketing qui ne se privait pas de répéter « monde » à tout-va, on a cru à un moment que ce saut en profondeur se ferait directement en monde ouvert. Que nenni, le glissement se fait apparemment plus modeste mais ne représentait pour autant pas moins un défi, on s’en doute, pour les équipes de HAL Laboratory. Pour le moment, terminées les expériences tendant vers le multijoueur, qu’elles soient payantes (Kirby Fighters 2) ou free-to-play (Super Kirby Clash – ouste, ça ne se digère pas les achats intégrés, même pour Kirby), et retour à un épisode classique tourné avant tout vers le solo avec Kirby et le monde oublié. Restait à voir si ce passage dans une nouvelle dimension n’allait pas retourner le ventre sans fond de la charmante boule rose. On aurait eu tort de s’inquiéter et Kirby et le monde oublié est même l’occasion de développer le caractère burlesque (et mignon, évidemment) de son héros et de ses copains.
À la vie, à la morfale
Tout va bien dans le meilleur des mondes, car le Soleil brille sur la planète Pop, l’herbe y est verte et Kirby s’étire de contentement. Il n’y a que les vents d’un ouragan précédant l’ouverture d’un portail vers une dimension inconnue qui pourraient gâcher ce moment. C’est bête, c’est exactement ce qui arrive. Tourneboulé dans tous les sens dans l’inter-espace après avoir été aspiré, le pauvre Kirby se réveille sur une plage scintillante et découvre que les habitants de cet endroit étrange, fait de ruines et abritant de curieuses machines, enlèvent les Waddle Dees arrivés en même temps que lui. Après avoir fait la rencontre d’Elfilin, un tout mignon tout doux, ami des petits bonshommes rouges, Kirby se lance dans l’exploration de cette contrée abandonnée à la nature, décidé à venir en aide à ses anciens voisins et à découvrir ce qui se trame derrière ce rapt massif de petites mains et petits pieds.
Quoi de mieux qu’un nouveau monde pour figurer le passage à une nouvelle perspective de jeu ? Si la dynamique du monde ouvert amorcée avec Breath of the Wild et Bowser’s Fury attendra avant de s’offrir au héros à la texture chewing-gum, le changement n’est pas des moindres pour la licence. La 3D était adoptée d’un point de vue moteur graphique depuis un certain temps déjà, mais il aura fallu son trentième anniversaire pour que Kirby ait les honneurs du déplacement en profondeur, pensé avant tout en termes d’accessibilité pour les joueurs et joueuses débutant·es. Retour pour le moment à une classique succession de niveaux organisés par mondes, donc, lesquels consistent à trouver le plus de Waddle Dees emprisonnés afin qu’ils nous ouvrent l’accès à l’antre du boss local. Pour cela, outre terminer le niveau, il faudra surtout être attentif aux différents indices indiquant la présence d’un prisonnier caché ou d’interactions qui débloqueront un objectif secondaire. S’ils sont en premier lieu dérobés à notre vue, ces secrets, parfois dissimulés en plein jour et ne demandant qu’à être triturés, sont avant tout pensés pour être trouvés, et les débusquer demandera de se fier au level design, savamment réfléchi au point que son efficacité passera presque inaperçue. Une plainte étouffée ? Un Waddle Dee se trouve dans les parages. Un creux dans ce mur, et c’est en réalité une ruelle calme qu’on découvre, avec au bout quelques pièces, un collectible et, pour ne rien gâcher, parfois même une jolie vue. Comme une incitation à la curiosité et à l’enthousiasme de la découverte, tellement bien pensée qu’elle parait naturelle, et dont tout le titre semble emprunt.
Cette propension à l’observation est un moyen de mettre à profit les possibilités d’exploration induites par la 3D, tout en accompagnant la progression et en adaptant les angles de vues grâce à la caméra montée sur rails – ce qui permet deux, trois astuces de game design, notamment discutées ici. Dans les faits, ça permet de décharger les débutant·es de la charge de son orientation, pas toujours simple à gérer en pleine action, et on a eu qu’à peu de moments des soucis d’appréciation de la profondeur, en particulier quand il faut aller vite. Généralement facile, Kirby et le monde oublié se parcourt comme un charme, en mode brise (normal) comme en mode ouragan (moins de vie mais plus de pièces), mais n’en oublie pas sa courbe de difficulté, dont les boss servent de points de passage. Et si on n’est jamais bloqué bien longtemps, il faut parfois s’y reprendre à quelques fois, en particulier dans le endgame, pour triompher de ces adversaires charismatiques. À noter que quelques mouvements plus techniques, comme l’esquive, ne sont pas présentés dans le tutoriel afin de ne pas surcharger le début du jeu, et qu’un tour dans les menus sera nécessaire pour en apprendre l’existence.
Kirbyjou
Notre aventure est bien sûr l’occasion de retrouver la transformation à la volée de Kirby et les pouvoirs qui en découlent. Si la sélection ne reprend pas avec exhaustivité toutes celles imaginées par le passé, elle inclut un système d’améliorations vers des déclinaisons toujours plus puissantes, tant pour le combat que pour le style. Pensés pour être utilisés selon la situation rencontrée, le potentiel des pouvoirs et de leurs évolutions est mis en avant dans les niveaux secondaires, chacun représentant une épreuve dédiée à un pouvoir. Comme les niveaux bonus des jeux Mario, ce petit pas de côté permet de se détacher de la logique des environnements pour se concentrer sur les idées de level design – tout en donnant du fil à retordre aux complétionnistes pour battre les chronos. Les habitués du genre pourront par ailleurs s’attaquer à tout un tas de contenu annexe un peu plus complexe que l’aventure de base, que ce soit dans le Colisée (un peu chiche quand même) ou après la fin du jeu, dans des niveaux medley avec de nouvelles versions des boss.
La sève des jeux de la série se retrouve étonnamment bien retranscrite dans Kirby et le monde oublié, reprenant ses codes et son atmosphère avec une telle application qu’on est tenté de penser que cette révolution baigne peut-être dans un classicisme repu de ses qualités et issu d’un savoir-faire ciselé. Les Transmorphations, le gimmick de ce nouvel épisode qui donne à Kirby des capacités ponctuelles en avalant de son mieux certains objets, sont ainsi un peu trop calibrées et leurs apparitions auraient sûrement mérité plus de liberté d’approches. Il n’est toutefois pas paradoxal de se dire que leur intérêt réside tout autant, si ce n’est plus, dans ce qu’elles apportent à l’imaginaire qui entoure ce héros adoré.
De ville en usine, d’un réseau d’égouts à une fête foraine, tout porte à croire que le monde parcouru par Kirby est une version alternative du nôtre, dans laquelle les humains auraient disparu. Débarquant de sa planète utopique sans cesse dérangée par diverses menaces, il ne redécouvre pas un univers qui lui est connu mais se pose en explorateur de l’après nous. De cette rencontre avec un étrange qui nous est commun nait un décalage humoristique, mis en scène et en mécanique par la Transmorphation. À manier tous ces outils et autres objets d’un banal confondant, Kirby rappelle plus que jamais la tendance des personnages du cinéma burlesque à habiter l’espace d’une manière marginale, le réinvestissant dans le même geste de fantaisie et, dans son cas particulier, d’une bonne grosse dose de kawaii. C’est un fait : les ennemis sont bien trop mignons et c’est un crève-cœur de leur coller une rouste en attendant la réconciliation inévitable. Mais c’est aussi dans leur manière de s’approprier nos habitudes (faire son shopping, patienter dans la queue d’une attraction) qu’advient le plaisir de jouer à Kirby et le monde oublié. Peut-être moins tourné vers l’innovation de ses mécaniques que vers l’apaisement à voir Kirby danser avec entrain ou un Ouafie endormi sur son transat.
Kirby et le monde oublié a été testé sur Switch via une clé fournie par l’éditeur.
Kirby et le monde oublié ne rebat pas les cartes du jeu de plateforme 3D mais sa virtuosité n’impressionne pas moins pour autant. Jeu idéal pour les débutants et débutantes du genre, il se parcourt avec une fluidité et un game feel sans failles, et profite d’une direction artistique chatoyante et d’un level design taillé avec tant de précision qu’il s’efface derrière son efficacité. La surprise n’est peut-être pas le maitre-mot auquel accoler cet épisode, mais celui de « plaisir » fait tout aussi bien l’affaire.
Seastrom
C'est la Loire qui coule dans les veines de Seastrom, mélangée aux subtilités de la vaporwave. Possibilité de l'amadouer en lui parlant indés et D&D (Dreyer et Digimon).
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