L’été s’achève et mon exil vidéoludique avec. Un quasi mois loin de mes jeux favoris, c’est peu, mais en même temps ça fait quelque chose quand on est habitué à jouer au moins 15h par semaine. Si j’ai bien sûr retrouvé ce cher Death Stranding, dont j’ai entamé la 30ème heure récemment, et que je continue d’avancer en luttant sur Halo 2 en légendaire, j’avais envie de nouveauté. Un truc pas forcément attendu par grand-monde, qui soit surprenant, voire marquant, sans nécessairement être révolutionnaire. Je suis donc tombé sur Inmost, jeu sorti sur l’Apple Arcade en octobre 2019 (choix étrange) et arrivé sur PC et Switch ce 21 août dernier. Et autant dire que surprise, et émotions, il y a eu.
Saines inspirations
Déjà, non, mon titre de critique n’est pas celui d’un film français où Guillaume Canet revient dans la maison familiale après le décès brutal de ses parents et se rend compte qu’il a toujours été un enfoiré avec eux, qu’il trouve sur place un vieil album photo et l’intrigue est en fait un montage de flashblacks qui s’achève sur un retour au présent et un plan final sur l’album ouvert et des traces de larmes dessus. Car Inmost, à l’inverse de la plupart de ce genre de films, sait transmettre des émotions.
Ce talent, d’ailleurs de moins en moins rare dans le jeu vidéo, il est le fruit du travail des deux membres que compte l’équipe de développement d’Hidden Layer Games. Un artiste russe et un programmeur ukrainien que les tensions politiques entre leurs deux pays respectifs ont amené à installer leur studio à Vilnius en Lituanie. Or il se trouve qu’Alexey Testov, le Russe, a été pas mal influencé par To The Moon. Pour rappel, To The Moon est une courte expérience narrative en pixel-art dont tous ceux qui ont pu y jouer n’en sont pas ressortis émotionnellement indemnes.
Qu’en est-il de Inmost alors ? Recopiage honteux ? Clone malformé ? Non, loin de là. A la limite, un hommage malin. Car on distingue l’hommage de la copie par l’habileté à extraire de l’oeuvre initiale ce qu’il y a de qualité pour en faire quelque chose de différent et d’au moins aussi bon. C’est là exactement ce que Hidden Layer Games a réussi, en gardant de To The Moon l’idée d’impliquer le joueur ou la joueuse dans une intrigue poignante. Pour le reste, le studio lituanien s’est détaché de son inspiration, en a pioché d’autres, et a su se créer sa propre identité.
Trois personnages, histoires et gameplay
Avant de revenir sur le travail d’ambiance, évoquons un peu ce qui se passe à la manette (ou au clavier). Le gameplay est très simple à comprendre et repose sur un concept qui l’est lui aussi. On joue de façon alternative 3 personnages qui évoluent au coeur de 3 intrigues différentes. En gros, chacun a sa propre petite aventure. Le concept est donc vite trouvé : chaque personnage possède un style de jeu. C’est basique mais ça offre des changements de rythme intéressants, tout en créant suspense et questionnements à la fin de chaque “phase”.
Concernant les personnages, on a déjà une petite fille qui évoluera dans une maison familiale. Le gameplay ici se rapprochera de l’expérience narrative, avec des déplacements courts, peu d’action et beaucoup de texte et de mise en scène. On a ensuite un homme assez basique, perdu dans un univers étrange car soumis à une forme de corruption maléfique. La forme de gameplay retenue est celle du puzzle game et de l’exploration, où des petites énigmes et des sauts entre plateformes jalonnent l’avancement. Il s’agit là de la partie à mon sens la plus intéressante même s’il ne faut pas s’attendre à beaucoup de difficulté dans les problématiques à résoudre.
Enfin, le dernier personnage est un chevalier dont l’histoire tient du conte. Exit le côté réflexion, il faudra combattre des ennemis à grands coups d’épées. S’il perd la capacité de sauter comparé au personnage précédent, cela est compensé par l’arrivée d’un grappin. Petit bémol toutefois sur ces passages. Le choix d’une plus grande variété de coups ou de mouvements aurait permis d’éviter un bashing un poil rébarbatif. On se retrouve en effet à spam en boucle les mêmes attaques sans trop réfléchir, les ennemis rencontrés ne présentant pas une réelle difficulté. De plus, l’utilisation du grappin qui compense l’absence de saut avec ce personnage ne s’effectue qu’à des endroits spécifiques, ce qui brise un peu l’habituel fun lié à cet objet dans les jeux de plateforme. Mais les moments avec le chevalier restent prenants car compensés par le gros travail réalisé sur l’ambiance.
50 nuances de triste
Justement, passons à l’ambiance. Je disais plus haut qu’Inmost était le fruit d’inspirations diverses mais qu’il possédait malgré tout sa propre identité. Cette identité, elle trouve déjà sa source dans le choix graphique. Du pixel art monochromatique, plus proche de l’esprit GameBoy que des Celeste et autres Katana Zero. Toutefois, on dépasse largement les jeux de l’iconique console de Nintendo en termes d’effets. Les lumières sont dynamiques, les déplacements plutôt fluides, ce qui donne une touche de vie et augmente le contraste avec l’aspect volontairement terne des environnements pixelisés.
Mais attention, quand je dis terne ou monochromatique, ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de couleurs. Il s’agit au contraire de nuances subtiles de bleu, de vert ou de gris. Ce combo de visuels et couleurs froides rappellera vite un certain Hollow Knight, mais ça sera bien là le seul point de comparaison avec le titre de Team Cherry. En fait, s’il fallait trouver une ressemblance, il faudrait plutôt regarder du côté de Limbo ou d’Inside. Sauf que là encore, des tas d’éléments l’éloignent de ces jeux. Un exemple parmi d’autre, la présence de voice-acting lors des cinématiques (mais toujours avec les graphismes du jeu) et une histoire narrée presque continuellement.
Quant à la musique, chaque personnage a un peu ses thèmes même si les sonorités s’adaptent surtout à ce qu’on a sous les yeux. La petite fille aura des musiques lentes et inquiétantes mais aussi douces et presque insouciantes. Pour les passages du chevalier, rien de surprenant à entendre des musiques dynamiques pour accompagner sa progression et ses affrontements. Elles mélangent d’ailleurs très bien intensité et élans lugubres. Enfin, l’homme perdu aura quant à lui des sons mélancoliques, rêveurs, parfois plus sombres et menaçants, selon les moments de l’aventure. A cela s’ajoute enfin un excellent travail sur les sons des objets et des environnements. L’ensemble participe très largement à l’ambiance sombre du jeu, et tout est fait pour servir au mieux les thématiques insufflées.
Inmost, règne de l’éprouvant
Justement, les thématiques, parlons-en. Ou plutôt parlons de l’impossibilité de le faire. Je peux tout au plus vous dire ce qui est expliqué dès le départ : le jeu présente une histoire intimiste dont les ressorts font intervenir la perte, la mort, et la dépression. Comme ça, ça ne paraît pas le truc le plus attirant du monde. Sauf que Inmost a vraiment su faire de ces thématiques lourdes quelque chose qui prend aux tripes. Attention si vous êtes parents, ça peut pas mal secouer. Ainsi, l’intrigue est pendant les ¾ du jeu dans l’évocation, le symbolisme, et je m’attendais au coup classique : la fin ouverte. Au cinéma comme dans le jeu vidéo, c’est très souvent un aveu de paresse ou une tentative maladroite pour conclure un récit nébuleux. Heureusement cet écueil est évité. Certes, cela n’est pas fait de la manière la plus subtile. Les comédiens de doublage explicitent les liens entre les trois intrigues en posant leurs voix sur des petites scénettes finales, et offrent le confort rassurant d’une fin où l’on comprend tout.
Et c’est d’autant plus fort que l’on ne se trouve pas face à des avatars ultra-réalistes auxquels on peut plus ou moins s’identifier. Comme je le disais avant, l’utilisation du pixelart ici est extrêmement intelligente parce que ça vient ajouter une couche un peu nostalgique et laisse s’exprimer de très beaux effets de lumière dans des colorations toujours froides (bon après ça c’est aussi parce que c’est complètement ma came). Ils réussissent à emporter le joueur dans un traumatisme terrible. On sent que le gameplay, les ennemis, les environnements, tout est conçu pour mettre en valeur le thème de la douleur, pour l’exposer, et la faire ressentir. Une douleur intime et c’est là la traduction française la plus appropriée et la plus judicieuse pour Inmost.
Car qu’a-t-on de plus intime que des blessures émotionnelles ? Ces événements traumatiques, ces instants vécus qui parfois nous ont presque détruit, ces douleurs personnelles qui continuent de nous hanter. Des souffrances laissant des cicatrices invisibles mais qui pourtant ne se referment jamais. C’est de tout cela dont Inmost parle. Mais pas que. Parce que les développeurs ont voulu aussi parler d’espoir. Assez peu, cependant. Afin de ne pas trop altérer la teneur globale du jeu j’imagine. Ça rend effectivement le jeu poignant, mais c’est aussi un poids émotionnel que certains trouveront trop difficile à supporter.
Je voulais reprendre mes critiques avec quelque chose d’un peu nouveau. J’étais juste loin de m’attendre à ça. Inmost accroche l’oeil par son travail d’ambiance et renvoie à des jeux divers et excellents : The Cat Lady, Hollow Knight, That Dragon Cancer ou encore Limbo. Mais il a surtout sa propre voix. Son mélange intelligent d’intrigues sert parfaitement les sentiments puissants et douloureux qu’il veut transmettre. Si le gameplay pèche parfois par sa répétition, notamment pour les passages du chevalier, cela est de toute façon contrebalancé par la courte durée de vie du jeu. Une aventure de quelques heures qui pourra être lourde et éprouvante, mais c’est justement parce qu’elle est réussie.
Veltar
Joueur de jeux vidéo qui aime la politique. Du coup j'écris surtout des trucs qui parlent des deux. Stratégie, Outer Wilds, Metal Gear Solid et indés en pixel art.
follow me :
Articles similaires
Miniatures - La poésie du souvenir
nov. 20, 2024
Rogue Flight - Monte dans le robot, Zali !
nov. 16, 2024
Great God Grove - Queer et élastique
nov. 11, 2024