Relativement passé de mode, le genre du jeu de stratégie tactique à la Heroes of Might and Magic a cependant fait les belles heures du jeu PC des années 1990 et 2000. Si aucun titre majeur n’a été annoncé depuis un bail dans ce style éminemment chronophage, on peut compter en cet été 2020 sur le studio suédois Palindrome Interactive pour continuer à entretenir la flamme. Et comme pour célébrer le fait que le genre soit mort-vivant, Immortal Realms : Vampire Wars vous propose d’incarner des armées de cadavres dirigées par des seigneurs immortels et suceurs de sang.
La volonté d’en découdre avec une esthétique rétro frappera immédiatement le joueur, ce qui n’étonne guère quand le genre vampirique est lui-même assez marqué temporellement. Ils semblent loin les Kain, Neclord, Helsing, Alucard… Et si une tentative de quelques gros studios est en cours pour ramener les goules, striges et autres immortels dans nos backlogs, sur le front de la stratégie, c’est morne plaine. En se concentrant sur un seul type d’armées et ses variantes et en misant beaucoup sur un mode histoire assez long et immersif, Immortal Realms : Vampire Wars fait un pari assez risqué : peu de contenu proposé, mais un équilibrage et une ambiance supposément très travaillés. Un pari globalement tenu, toutefois plombé par des problèmes de rythme et d’interface.
À tous saigneurs, toutes horreurs
Du mythe vampirique et de ses diverses itérations modernes, Immortal Realms : Vampire Wars prend l’approche la plus baroque et la plus gothique qui soit. Ici, pas de romance à l’eau de rose, de monstres difformes à la Guillermo Del Toro ou de fantaisie postmoderne : le vampire, c’est un noble mort vivant d’une simili Europe de l’Est, terrifiant des mortels soumis à son influence démoniaque et se nourrissant d’orgies de sang dans son château de brumes et de ténèbres. La différence ? Pour une fois, c’est vous qui allez les incarner. Et pas en mode « oups, on m’a transformé en chauve-souris et je dois garder ma nature humaine malgré tout ». Non, cette fois, vous incarnez des vampires bien campés dans leurs cryptes macabres et leurs terres désolées et lugubres, faisant régner l’ordre d’une main de fer dans les villages alentours contraints de verser chaque saison une dîme de sang et des troupes fraîches pour les batailles brutales à venir.
La campagne principale d’Immortal Realms : Vampire Wars va vous emmener dans des contrées tenues sous la coupe de créatures immortelles depuis des siècles et récemment en proie auxs invasions de chevaliers mortels venus libérer leur semblable de votre joug. Rassurez-vous : ces templiers ne valent pas mieux que vous et le sillage d’atrocités qu’ils creuseront sans distinction ne vous inspirera aucun scrupule à les massacrer pour que leurs cadavres rejoignent vos rangs. Les trois campagnes du jeu, racontant cette invasion et ses conséquences sous diverses perspectives et vous faisant incarner divers seigneurs vampires, sont assez longues et proposent des objectifs et des enjeux variés, qui masquent assez bien la grande simplicité des systèmes de jeux dont vous aurez compris l’intégralité des principes en une ou deux heures.
Une année se décompose en quatre tours, et à chaque tour vos armées disposent d’un certain nombre d’actions : capturer une province, lancer une bataille stratégique, se déplacer. Les différentes missions du jeu sont relativement linéaires et, même quand leurs objectifs sont assez larges, les stratégies qu’il est souhaitable d’adopter ne sont pas bien nombreuses. Il sera surtout question de prendre de vitesse une IA assez agressive pour capturer ses châteaux et renforcer vos troupes ainsi que leurs puissants généraux pour résister aux contre-attaques. A ce titre, chaque erreur est comptée dans Immortal Realms : Vampire Wars et peut vous conduire à recommencer entièrement une mission. Ces petits coups de pression mis par une courbe de difficulté parfois calme et parfois abrupte contribuent à l’immersion : que l’on se défende face à une invasion massive ou qu’on porte le fer sur les terres de l’ennemi, on a en permanence l’impression d’être sur la brèche, et c’est un des points forts du jeu. Le scénario donne l’impression d’être plongé au plus profond des tourments d’âmes immortelles brutalement plongées dans une guerre pour leur propre survie, dans une campagne épique qui constitue une excellente surprise.
Le Sang, c’est de l’Argent
Quand vous ne serez pas en train de fomenter vos déplacements à grande échelle, vous serez donc en train de développer votre royaume ou de mener des batailles stratégiques. C’est un peu dans ces dernières que Immortal Realms : Vampire Wars tend hélas à montrer ses limites ; celles d’un jeu parfois fourre-tout qui veut à la fois être Heroes of Might and Magic, Total War, Warcraft III et Slay the Spire.
Le premier souci vient de l’aspect économique du jeu. Immortal Realms : Vampire Wars dispose d’une monnaie, le sang, qui vous servira à faire pas mal de choses dans le jeu : améliorer des pouvoirs, acheter des actions, recruter des créatures ou lancer des sortilèges. Cette grande simplicité est plutôt une force mais l’interface absolument contre-intuitive et lourde proposée par le jeu le dessert complètement. D’autant plus qu’une des manières de récupérer le sang, outre le passage du temps (mais vous avez rarement le temps de niaiser), est le sacrifice de vos villageois, ce qui vous prive paradoxalement de capacité de recrutement. L’idée est bonne, mais l’interface balourde et le fait que l’économie du jeu soit globalement assez mal réglée aura de forte chance de vous rebuter rapidement. Pire : l’obtention du sang est bien trop souvent soumise à une simple ressource aléatoire, statutairement présente dans 83% des jeux sortis en 2020, à savoir de foutues cartes à jouer.
Ne souhaitant pas se contenter d’être un simple jeu de stratégie et de gestion, Immortal Realms : Vampire Wars possède tout un volant deck building : chaque année, ou lors d’événements spéciaux liés à la capture d’objectifs ou à la mort d’ennemis clés, le joueur va recevoir des cartes lui conférant des avantages divers (recrutement moins cher, bonus de sang, objets…). L’idée m’a semblé absurde conceptuellement parlant : pourquoi des cartes ? Qu’est-ce qui justifie leur imbrication avec les autres strates de gameplay ? Pourquoi mettre de l’aléatoire dans la stratégie ? A l’usage, le système se fait rapidement oublier, mais ajoute surtout une couche de lourdeur dans un jeu qui n’en avait pas besoin. D’autant plus que les tours de jeu peuvent déjà s’avérer longuets à cause d’un autre point central du jeu : ses combats tactiques.
Dracu-lent et Dracu-laid sont dans un caveau
Les combats d’Immortal Realms : Vampire Wars se déroulent au tour par tour, dans des environnements peu variés mais aux cartes plutôt bien conçues : on est sur du damier classique mais efficace, chaque map comportant des obstacles, des murs, des pièges ou des cases spéciales conférant des bonus. Les possibilités stratégiques sont assez bien pensées et forcent à exploiter les failles des unités ennemies avec vos propres unités, qu’elles soient volantes, à distance, de choc, etc. Le bestiaire est volontairement réduit mais chaque type de créature peut connaître plusieurs variantes de puissances vous forçant à panacher le recrutement entre grouillots et unités d’élite. Le coût d’un loup-garou aguerri sera ainsi plus lourd que celui d’une simple meute de loups, en contrepartie d’une plus grande efficacité sur le terrain. De plus, une bonne partie des combats tourne autour des unités de généraux physiquement présents lors des affrontements, dotés de pouvoir surnaturels et de capacités propres aux suceurs de sang (subjuguer des ennemis, leur voler de la vie…). A mesure que vos seigneurs démoniaques gagnent du galon, l’impression de jouer des créatures surpuissantes est diablement présente.
Hélas, une des limites de ce système de combat est sa tendance a faire durer le moindre affrontement en longueur. Immortal Realms : Vampire Wars est un jeu horriblement lent ou la moindre escarmouche peut vous occuper 15 ou 20 minutes, quand bien même l’issue est évidente dès le deuxième tour. Contrairement à la série Total War, les ennemis ne semblent jamais vouloir s’avouer vaincus, ne fuient pas, ne se rendent pas, se contentent parfois de résister de longs tours en se soignant et en se repliant dans des coins de la map. Ces longueurs sont par ailleurs applicables à la partie purement stratégique du jeu hors des combats : les cartes des missions sont immenses, assez vides, et vous aurez parfois l’impression de passer cinq, dix ou quinze tours à ne capturer que des hameaux ou des bosquets avant le prochain affrontement majeur. Le jeu aurait mérité des campagnes mieux rythmées et plus intenses, aux événements plus ramassés, plutôt que de miser sur ces contrées orientales parfois frappées de gigantisme au risque de la redondance. Signalons quand même que vous pourrez si vous le souhaitez passer les combats les plus déséquilibrés en votre faveur, l’IA ne vous prélevant au passage que quelques unités.
Cette indolence de Immortal Realms : Vampire Wars (impression renforcée par des temps de chargements insupportables) serait moins pénible si le jeu était artistiquement plus réussi. Quelques illustrations sympathiques relèvent l’ensemble, mais il faut quand même souligner que le jeu baigne dans une brume assez vilaine et alterne des couleurs ternes et des personnages moches comme des poux qui ne donnent pas franchement envie de s’attacher à l’univers. Et j’espère que vous aimez les teintes néon-bleu-ocre-marron-caca parce que vous n’aurez quasiment que cela. Certes, le dress code du vampire est bien là mais je n’aurais pas craché sur quelque chose d’un peu plus fin et flamboyant. C’est particulièrement criant lors des cinématiques, qu’on dirait tout droit sorti d’un MMORPG générique de 2004. Si je ne mentionne la laideur du jeu qu’en toute fin de critique, c’est aussi parce que ce n’est pas l’essentiel dans un titre très tourné vers les tableaux, la planification et des affrontements au tour par tour, mais, ajoutée aux défauts de performance et de rythme, elle me conduit à penser qu’Immortal Realms : Vampire Wars restera coupé d’une partie du public qu’il aurait pu avoir avec un peu plus de polish technique et esthétique.
Immortal Realms : Vampire Wars a été testé sur PC via une clé envoyée par l’éditeur.
Il ne faudrait pas beaucoup plus à Immortal Realms : Vampire Wars pour être un des meilleurs jeu de stratégie de cette année. Son pari (la simplicité avant tout), il le remporte haut la main malgré son côté un peu fourre-tout, et parvient à proposer des affrontements cohérents et compréhensibles sans noyer le joueur sous les règles. L’impression de jouer un clan d’immortels mené par son seigneur surpuissant est bel et bien présente. Hélas, le jeu édité par Kalypso souffre de problèmes techniques lourds, à commencer par une optimisation calamiteuse et des temps de chargement pachydermiques. Il lui manque aussi une patte artistique un peu plus élaborée, se contentant en l’état de nous laisser dans des brumes grises, bleuâtres ou ocres qui, bien que vampiriques en diable, peinent à cacher un jeu quand même sacrément moche. Immortal Realms : Vampire Wars est un bon titre mais que nous ne pourrons hélas recommander qu’aux plus farouches amateurs du genre.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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