Le premier Hyrule Warriors, sorti sur Wii U en 2014 et peaufiné dans des versions 3DS puis Switch ensuite, avait surpris, en appliquant à l’univers de Zelda la formule Dynasty Warriors. Une revisite bourrine et nerveuse, mais pas franchement inventive de la série de RPG de Nintendo, qui laissait un peu sur sa faim et saturait nos oreilles de covers speed metal des mélopées traditionnelles de l’univers Zelda. L’annonce surprise d’une suite sous forme de prélude à Breath of the Wild en cette année 2020 était un pari : Koei Tecmo arrive-t-il à donner une identité plus forte à ce nouvel épisode que lors de sa première tentative ?
Vous savez combien de jeux repris de la formule Dynasty Warriors (des héros très forts tapent des milliers de boss et de monstres dans des maps recréant des grosses batailles) ont été produits depuis une vingtaine d’années ? Pas loin de 70. À un rythme effréné, pour le meilleur et pour le pire, Koei Tecmo et son studio Omega Force produisent ces beat them all bourrins à raison de quatre ou cinq épisodes annuels, en brassant un maximum de licences connues, de One Piece à L’Attaque des Titans en passant par Ken le Survivant. À sa maison-mère parfois épaulée de studios tiers comme la Team Ninja, les épisodes « prestigieux » (Persona, Dragon Quest), à ses sous-traitants vietnamiens, singapouriens et philippins les épisodes mineurs (Berserk, Arslan…) se contentant de coller des graphismes bricolés à la va-vite sur une formule toute faite avec des calendriers et des budgets qu’on imagine cauchemardesques. C’est le prix de la production en série. Aussi, l’arrivée d’un nouveau Hyrule Warriors, sorti presque aussi vite qu’il était annoncé, avait de quoi inquiéter. Mais soyez rassurés : même si les lacunes techniques de Hyrule Warriors : L’Ère du Fléau sont parfois évidentes et même si la formule est par nature limitée, Omega Force offre une préquelle digne de ce nom à Zelda : Breath of The Wild.
C’est jaune, c’est moche, ça ne va avec rien, mais ça peut sauver 2020
Bon. C’est difficile de ne pas aborder frontalement la question, parce que fin 2020, c’est la période des longs débats stériles pour savoir si les godemichés qui traînent dans les poubelles des jeux quadruple A sont plus intéressants en 4K avec ray tracing en 30 images par seconde ou en 2K pour avoir un jeu plus fluide. On va évacuer la question directement : Hyrule Warriors : L’Ère du Fléau est un jeu flou, aux textures assez criardes, plutôt laid, pas toujours fluide, avec un système de caméra qui fonctionne mal. Et en plus, ma rédac cheffe m’a déjà piqué le meilleur jeu de mot que j’aurais pu faire sur le sujet. Il reprend en grande majorité les assets, la charte graphique et sonore de The Legend of Zelda: Breath of the Wild, mais le colle dans un jeu d’action frénétique majoritairement situé dans des couloirs et des arènes saturés de centaines de monstres, de généraux ennemis et d’antagonistes en tout genre. Les équipes d’Omega Force ont, à leur habitude, sacrifié la direction artistique et technique du projet au profit de l’intensité de l’action et de l’immensité du contenu, et pour une fois c’est TRÈS BIEN COMME ÇA.
Si je m’attarde un peu sur cet aspect technique, c’est pour que vous compreniez bien que c’est un jeu qui n’en a globalement rien à faire d’être le plus beau et le plus impressionnant de sa génération, contrairement à la plupart des jeux estampillés Zelda. Il ne s’agit cependant pas non plus complètement d’un spin-off complètement détaché de l’intrigue de The Legend of Zelda: Breath of the Wild qui se contenterait d’inventer un prétexte quelconque pour faire se confronter des centaines de personnages comme le faisait le premier Hyrule Warriors. Il s’agit d’une extension de l’univers du jeu original troquant son open world et sa narration très évanescente contre une histoire assez bavarde, assez guidée, et des scènes d’action très nombreuses et scénarisées. Et pour une fois, ce genre d’exercice fonctionne parfaitement.
Tous les sacrifices effectués sur la partie graphique, sur l’ambiance, sur la stabilité même du jeu (j’ai rencontré quelques bugs et plantages inhabituels sur Switch) sont ici au service d’une campagne d’une efficacité redoutable prenant place cent ans avant Breath of the Wild, et racontant dans ses premières heures la guerre menée par les différents peuples d’Hyrule contre les sbires de Ganon, entité maléfique sur le point d’être réincarnée. Sans entrer dans les détails, le scénario prend rapidement une tournure pour le moins étonnante, une sorte de pari d’écriture à destination des joueurs ayant déjà bouclé le jeu d’origine. Entre la préquelle, la fanfic et l’univers alternatif, le résultat pourra diviser mais s’avère nettement plus intéressant que prévu. Cette histoire est servie par un ensemble de batailles vous mettant aux commandes d’une vingtaine de personnages (avec quelques surprises de taille), chaque personnage proposant une manière de combattre et de progresser unique, mais basée sur les grands principes observés dans Breath of the Wild : on retrouve ainsi nombre d’objets, de magies, de patterns d’ennemis ou de coups spéciaux issus du jeu Nintendo.
C’est peu dire que les combats proposés par Hyrule Warriors : L’Ère du Fléau sont diablement efficaces. Il s’agit simplement selon moi d’une des expériences de combat les plus satisfaisantes de l’année. Là où la plupart des jeux Omega Force vous forcent pour l’essentiel à marteler les deux mêmes boutons en boucle pour massacrer des centaines de bidules sans presque y accorder la moindre attention, ce titre vous propose au contraire une approche plus variée des combats, impliquant davantage de coups spéciaux, de verticalité, de compétences spéciales et de possibilité stratégique (vous pouvez assez aisément dispatcher les personnages que vous ne contrôlez pas à la volée sur la carte de chaque bataille, avec un pathfinding exemplaire). Certes, dans l’ensemble le jeu reste bourrin, mais offre infiniment plus de contenu que la plupart de ses collègues.
Hyrule Warriors : L’Ère du Contenu
Parlons-en, justement. Il était difficile de passer après l’océan de contenu proposé par Breath of the Wild, qui demeure un des mondes ouverts les plus riches et les plus ambitieux de la décennie écoulée, tout en se permettant de ne placer quasiment aucun indicateur visible sur la carte d’Hyrule. Hyrule Warriors : L’Ère du Fléau procède quasiment de la logique inverse, en proposant une carte qui se constelle petit à petit de missions principales, puis de missions annexes, de boutiques et de points de craft.
Les premières heures du jeu peuvent paraître décourageantes : chaque victoire vous ouvre la porte de deux, cinq, parfois dix ou quinze nouvelles choses à faire, au point où on finit par ne plus du tout savoir quoi lancer, ni dans quel ordre. Par bonheur, on comprend très rapidement que tout est fait pour nous faire enchaîner les missions dans un ordre à peu près logique : des indicateurs de niveaux recommandés, des dispositifs pour déterminer où récupérer à coup sûr le loot nécessaire pour progresser et des mécaniques permettant de faire gagner en niveau les personnages quasi instantanément dissipent l’essentiel de ce vertige face au contenu massif. Finalement, on est jamais bloqué ni perdu, et jamais submergé par le nombre de quêtes annexes qui peuvent pour la plupart se résoudre de manière semi-automatique en parallèle de l’intrigue principale.
Hyrule Warriors : L’Ère du Fléau est un grand plaisir pour qui souhaite faire la part belle à son côté maniaque et collectionneur : comptez au bas mot une soixantaine d’heures pour en faire le tour à fond. En revanche, pour qui veut aller droit au but, le jeu est parfaitement abordable en ligne droite, les missions principales nécessaires à voir le bout du scénario pouvant être terminées en trois fois moins de temps, sans jamais avoir besoin de procéder à des heures de grind inutile, grâce à une difficulté pleinement modulable à la volée. Avoir réussi à si bien équilibrer un jeu proposant autant de contenu et des expériences aussi différentes (le finir à 100% ou le faire « juste pour le scénario ») sans jamais casser l’harmonie entre les deux expériences tient de l’heureux miracle.
À peine regrettera-t-on finalement quelques séquences beaucoup moins inspirées (comme celles vous mettant aux commandes de véhicules qui, sans trop rentrer en zone spoiler, sont assez injouables) ou le fait que dans le panel des personnages qu’il nous est proposé d’incarner, une petite partie ait un ensemble de coup et un maniement parfois farfelus, pour ne pas dire assez désagréables et peu adaptés à la disposition des boutons de la Switch. Je recommande d’ailleurs à titre personnel de faire le jeu avec le Nintendo Pro Controller si vous en possédez un, pour vous épargner un peu de frustration avec certains combattants. Omega Force a tenu à proposer un gameplay différent par personnage, ce qui est honorable, mais on aurait aimé la même qualité de prise en main pour chacun d’entre-eux. Mais là-encore, quasiment tout a été pensé pour ne pas frustrer, et il est finalement assez rare qu’on soit obligé d’incarner un personnage désagréable à manipuler pendant plus de quelques minutes, Hyrule Warriors : L’Ère du Fléau laissant une large latitude au joueur pour organiser sa troupe, son équipement et la manière de faire progresser en expérience tous les personnages de l’équipe.
Hyrule Warriors : L’Ère du Fléau a été testé sur Switch via une clé fournie par l’éditeur.
Hyrule Warriors : L’Ère du Fléau est, d’assez loin, le meilleur jeu jamais sorti par Omega Force. Avec un contenu titanesque, une narration maîtrisée, un gameplay extrêmement riche et des scènes d’action continues, Omega Force est parvenu à tordre sa formule pour la couler dans le moule étroit constitué par un jeu d’action pure et dure dans l’univers de Zelda. Tout y a été merveilleusement pensé, du roster de combattants à la gestion du craft et du leveling des personnages. Attention cependant, les compromis techniques, la nécessité d’avoir parfaitement assimilé l’ambiance et l’univers de Breath of the Wild et la formule Dynasty Warriors même consistant à proposer des dizaines de batailles par essence répétitives réservent ce jeu à un public restreint, et ne constituent en aucun cas un échantillon représentatif du catalogue Omega Force. Ni, d’ailleurs une porte d’entrée intéressante à l’univers de la série Zelda. Mais à ces réserves près, Hyrule Warriors : L’Ère du Fléau est haut la main un des meilleurs jeux d’action de l’année et sans doute un des spin-offs les plus satisfaisants jamais pensés pour un jeu.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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