Nous arrivons tranquillement à la mi-juin et on ne va pas se mentir : ça commence à tirer. On ne cesse de le répéter, la période est complètement bouchée en termes de sorties, et vu les annonces du non-E3, pour la première fois, on ne va visiblement pas avoir de vraie pause estivale. La période est donc plutôt rude, autant pour les studios qui ne savent plus où mettre leur date de sortie pour espérer ne pas passer trop inaperçus, que pour nous, qui enchainons les jeux sans prendre vraiment le temps de souffler.
Dans un tel contexte, j’avoue avoir soupiré en recevant Homebody. Il m’avait semblé intrigant au moment de son annonce, mais, un an plus tard, je n’étais plus si sûr de vouloir consacrer un peu de mon temps de jeu déjà surchargé pour un slasher-time loop au look retro PS1 par les créateurs de Dream Daddy. Je peux finalement remercier mon moi du passé.
Ça va encore couper chérie
Homebody est loin d’être parfait, et j’aurai l’occasion de revenir sur ses aspects les moins réussis plus tard, mais je ne peux que reconnaître que son concept est non seulement malin, mais particulièrement bien exploité. Nous y incarnons Emily, en vacances avec son groupe d’ami·e·s dans une vieille maison de location pour leurs retrouvailles annuelles et l’observation des Perséides (les fameuses pluies d’étoiles filantes). La première vingtaine de minutes nous laisse un peu le temps de nous installer, discuter avec nos potes, explorer les lieux, pour nous lancer dans le vif du sujet : un éclair tombe sur la maison, ce qui coupe le courant. Plus embêtant encore, une mystérieuse créature armée de ciseaux finit par débarquer, et massacre tout le monde.
Retour à la case départ, dans le hall de la maison à 19h, et c’est là qu’on comprend un peu où l’on a mis les pieds. Le titre de Game Grumps pioche dans des inspirations assez prestigieuses (du Resident Evil, du Outer Wilds et du Deathloop, de l’escape game…) et en fait quelque chose de finalement assez original, en mêlant les codes du slasher/survival horror avec ceux de la boucle temporelle et du point&click/escape game. Les premières parties vont ainsi servir à reconnaître les heures d’apparition des différents évènements, à se repérer correctement dans la maison, chercher une façon de déverrouiller la porte d’entrée bloquée par un mécanisme complexe, mais surtout à comprendre que la maison est remplie de puzzles, et que leur résolution dans un ordre précis permettra de s’échapper et briser la boucle temporelle.
La plus grande réussite de Homebody réside ainsi dans sa courbe de progression, particulièrement bien maitrisée, et surtout permettant d’échapper – la plupart du temps – à la répétitivité qu’impliquent les systèmes de boucles temporelles, finalement assez proches vidéoludiquement de ceux d’un roguelite. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, d’une sorte de roguelite, où les outils pour approcher de la fin ne sont pas des bonus pour le combat, mais des connaissances. Accessible à tout moment du jeu, une collection de polaroids affiche ainsi les solutions de chaque puzzle déjà résolu, les liens entre chaque pièce du mystère, permettant de ne pas se coltiner les énigmes plusieurs fois et ouvrir de gros raccourcis, qui faciliteront la progression.
I ain’t the sharpest tool in the shed
Le premier objectif s’atteint assez facilement et rapidement, et laisse craindre des énigmes pas très intéressantes (pensez démineur et cadenas à codes) derrière sa structure bien ficelée. Ce n’est qu’une fois ce palier passé que le jeu démarre réellement. Les perspectives s'ouvrent, le nombre d’objectifs augmente, et peuvent être traités dans l’ordre voulu. Mais, surtout, la difficulté des énigmes grimpe considérablement, et fait prendre conscience que si les premières étaient si simples, c’était pour nous laisser le temps de comprendre toute la structure du jeu et sa philosophie de gameplay, et correctement appréhender un level design aussi brillant que tortueux.
Étonnamment, cette deuxième partie, la plus longue du jeu, peut se faire quasiment sans le stress du tueur. On se fixe un objectif, que l’on atteint souvent, soit en trouvant des indices, soit en liant des puzzles entre eux, ou en débloquant un raccourci, et quand une ou deux actions sont effectuées, on part s’empaler sur les ciseaux de la créature qui vient d’apparaître, et on recommence. C’est le moment où je remercie Murray de m’avoir largement aidé à comprendre certaines énigmes un peu trop alambiquées pour mes capacités, ainsi que les développeurs·euses, qui avaient fourni un guide complet de l’aventure – si vous ne disposez ni d’un Murray, ni d’un guide, sachez tout de même que Homebody propose un système d’indices graduels bien fichu qui permet d'atteindre la fin de l'histoire sans se sentir trop bête. Durant la plus grande partie du jeu, c’est donc l’escape game qui prédomine sur l’horreur, au point que l’on oublie cette composante, et que ce pauvre homoncule n’ait qu’un rôle similaire à celui du Soleil d’Outer Wilds. Le rythme de cette section est redoutable : non seulement quasiment chaque boucle est utile à la progression, ce qui empêche Homebody d’être trop répétitif, mais donne aussi terriblement envie d’en relancer une nouvelle, chaque énigme résolue permettant d’explorer un peu plus profondément la maison.
C’est là qu’advient le dernier coup de génie de Homebody. Au fur et à mesure des découvertes et des paliers d’objectifs atteints, des changements définitifs vont se produire dans la maison. Ce seront des machines définitivement détruites, des portes et cadenas qui restent ouverts et autant d’autres validations de la part du jeu : oui, d’accord, on a noté que tu avais trouvé, on va t’épargner cette étape. Sauf que ces coups de pouce s’accompagnent d’un effet beaucoup moins plaisant – mais extrêmement malin – : le tueur va se mettre à apparaître de plus en plus tôt dans la soirée. Ainsi, plus on se déplace avec aisance dans la maison, plus on dispose d’une vue d’ensemble des puzzles et des tâches à accomplir, bref, plus on prend la confiance et possession des lieux et plus Homebody nous met la pression avec son tueur, qui nous fichait jusqu’ici la paix. Les derniers actes du jeu basculent de ce fait dans du survival horror assez oppressant, puisqu’il faudra à la fois naviguer entre les divers étages pour résoudre les dernières énigmes, guetter des time codes pour effectuer des actions à des endroits et moments précis, et échapper à un tueur au sound design cauchemardesque sans la moindre possibilité de riposte en cas d’attaque. La difficulté est encore une fois réglée avec une grande précision : les différents gameplays s’imbriquent parfaitement, et l’IA et le timing sont suffisamment permissifs pour que les tâches soient réalisables, mais suffisamment menaçants pour que les objectifs finaux soient remplis dans le stress le plus absolu.
On tourne en rond, merde
Malheureusement, si le gameplay et le level design de Homebody sont des modèles de conception et d’équilibrage, je ne peux pas être aussi élogieux sur sa partie narrative. Le scénario se développe de deux manières, d'une part via les dialogues avec ses ami·e·s et documents à lire dans la maison, de l'autre via des cinématiques qui viennent s'intercaler entre certaines boucles temporelles. Le problème étant que ni l'une ni l'autre ne fonctionne vraiment.
Le premier souci, c'est que cette narration est terriblement bavarde. Alors que le titre, avec son esthétique PS1 vraiment soignée, propose de vrais moments de mise en scène et d'iconisation des lieux et personnages, sa partie textuelle échoue complètement à faire passer son propos. Les dialogues et documents en jeu coupent sévèrement le rythme, et donnent l'impression de perdre son temps quand on a une pléthore d'énigmes à résoudre et chercher dans la maison, mais ont au moins l'avantage d'être pour la plupart optionnels. Ce qui n'est pas le cas de ces épouvantables segments qui peuvent surgir à la fin d'une boucle, et qui nous gardent captifs d'une diarrhée verbale parfaitement indigeste durant de très longues minutes.
D'autant que ce que raconte Homebody me fâche un peu. Sous ses aspects de science-fiction horrifique, à base de slasher, savants fous, machines étranges et de personnes bloquées dans des boucles temporelles au point de perdre la raison, le titre cache un propos et une métaphore sur la dépression, le délitement des amitiés, le deuil et l'anxiété sociale. Ces questions sont évidemment intéressantes à traiter, et c'est très bien que le jeu vidéo indé se soit emparé de ces problématiques ces dernières années, mais j'ai un peu l'impression qu'on commence à en avoir fait le tour, surtout pour que ce soit aussi mal raconté que dans un Homebody qui noie son propos dans des tartines de texte.
Et puis, surtout, j'aimerais que les créateurs·ices assument de faire de la SF ou de l'horreur sans avoir à justifier ces choix à grands coups de métaphores et réflexions psychosociales. C'était super quand on découvrait ces ficelles dans des œuvres comme L'échelle de Jacob dans les années 90, c'est en revanche assez éculé quand des Returnal ou Homebody nous ressortent les mêmes poncifs trente ans plus tard. Et c'est dommage, car les univers proposés se suffisent à eux-mêmes, et, dans le cas de Homebody, s'en contenter aurait largement allégé une narration lourdingue et envahissante, pour se concentrer sur ses excellentes mécaniques, sa DA efficace et sa mise en scène fascinante. Parfois, se contenter d'un tueur et de puzzles dans une boucle temporelle pour proposer une expérience passionnante et des plans iconiques, c'est suffisant pour produire un bon jeu.
Homebody a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Il est également disponible sur PlayStation 4 et 5, Nintendo Switch et Xbox One et Series.
Si la narration de Homebody plombe ponctuellement un rythme autrement impeccable avec ses métaphores éculées et ses blocs de texte indigestes, le titre reste une excellente surprise. Sa courbe de progression est extrêmement satisfaisante, son ambiance et sa DA mettent en place quelques très bons moments d'angoisse et de malaise, et ses aspects survival horror et escape game s'articulent parfaitement. Game Grumps démontre ainsi avec talent que la mécanique de boucle temporelle a encore de très bonnes choses à proposer, et mixe intelligemment des éléments pourtant assez essorés pour en tirer une recette originale et efficace.
Les + | Les - |
- Les puzzles sont solides et intelligemment connectés | - La narration est envahissante et désagréable à suivre |
- Les gameplays d'escape game et survival horror s'articulent parfaitement | - On aurait aimé une science-fiction horrifique plus premier degré et plus assumée |
- La DA et l'ambiance sont très efficaces | - C'est un peu moins bien sans Murray |
- Un bel effort d'accessibilité et de confort de jeu côté énigmes et progression |
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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