Chaque Resident Evil, à l’exception peut-être des épisodes 5 et 6 très orientés action, a toujours été accompagné d’un lieu iconique. Le manoir Spencer, le commissariat de Raccoon City, le train de Resident Evil Zero, la demeure des Baker dans Resident Evil VII : l’ADN de la série, c’est un lieu iconique et tarabiscoté, des habitants maléfiques éponymes, et généralement un laboratoire intéressant de la multinationale Umbrella faisant office de donjon final passable. Resident Evil Village, avec sa structure en parc d’attractions divisé en quatre variations sur le thème de l’horreur, rate un peu son pari d’être le grand jeu d’épouvante qu’il aurait dû être. Mais il propose quatre propositions radicalement différentes sur ce que peut être une architecture horrifique. Des architectures qui ne prennent tout leur sens que dans leur nature d’attraction ayant l’épouvante comme thématique. Attention, prévenons nos lecteurs, cet article spoile intégralement le déroulé et la conclusion de Resident Evil Village.
Les Quatre Dernières Maisons sur la gauche
Davantage que n’importe quel autre jeu de la série, peut-être davantage que n’importe quel jeu horrifique de cette ambition, Resident Evil Village a une nature de parc à thème. Un couloir d’entrée (une longue promenade dans la neige au milieu d’apparitions étranges et de cadavres inquiétants) accueille le visiteur. Une zone centrale, relativement reposante, où l’on revient régulièrement : on peut y manger, y acheter des souvenirs, et même se restaurer. Et quatre attractions thématiques, autant de branches représentant un des territoires des quatre grands boss du jeu, empruntant chacun à un registre différent de l’horreur : le château de la Vampire, la maison hantée par des poupées maudites, le monstre répugnant polluant les eaux du lac puis enfin les décors industriels et atroces des expériences d’hybridation homme-machine. Le final, plus anecdotique, emprunte plus au classique fatras biblico-JRPGesque habituel consistant à coller des paires d’ailes et une musique baroque sur une apparition ténébreuse qu’on dessoude à coups de Gatling. Non sans être passé par un petit épisode de train fantôme (le chapitre de Chris) où on aurait remplacé les spectres par des loups-garous et les sursauts par une Gatling tenue par un soldat sous stéroïdes.
Autant le dire tout de suite, la plupart des critiques l’ayant déjà relevé : la première moitié de Resident Evil Village est infiniment plus réussie que le reste. Le château de Lady Dimitrescu et ses filles, avec son ambiance lugubre et sa structure très classique dans la série (portes verrouillées, passages secrets…) ne surprend pas, mais satisfait pleinement. En revanche, la demeure de Donna Beneviento, avec ses mécaniques basées sur des lieux exigus, entre escape game déviant et course-poursuite entre un joueur apeuré et une créature répugnante, est un pari encore jamais relevé dans toute la série. La seconde partie du jeu déçoit : la mine et le lac de Moreau ne sont qu’un long couloir ennuyeux se terminant par un combat vu et revu. Quant à l’usine d’Heisenberg, son level design bizarre force à tourner en rond dans des étages mal fichus pour y massacrer des pelletées de robots, pour finir dans une arène par un combat de mecha aussi bref que grotesque et hors de propos. On passera aussi sur le fait qu’Ethan Winters, le héros du jeu, et Heinsenberg-le-loup-garou-Magneto ont exactement le même objectif et rigoureusement aucune raison valable de s’entretuer : on n’est plus à ça près.
La fin du jeu déçoit plus encore : le protagoniste existe si peu en tant que héros qu’il se dissout littéralement, et tout se résout par des pirouettes narratives sans aucune cohérence scénaristique. Pauvre Chris, même selon les standards assez bas de la saga, on aura rarement vu un personnage à ce point utilisé n’importe comment. La fin du jeu, scandale qu’on n’avait pas vu dans le genre depuis la dernière heure indigne d’Evil Within 2, est littéralement un couloir terminé par un combat de boss aussi absurde que longuet. La scène finale, tentant d’arracher des larmes au joueur, nous fait hausser les épaules. Cependant, à l’image des premières heures du jeu, Resident Evil Village reste constant sur un point précis : proposer une fabuleuse expérience visuelle concernant les lieux horrifiques. Les attractions de ce parc à thème ont beau ne pas être toutes très réussies, les décors le sont eux à coup sûr, quitte à ne pas avoir beaucoup de sens pris en tant que tels.
Les enseignements de l’ère RE Engine
Ce qui avait frappé à l’arrivée de Resident Evil VII, qui inaugurait le moteur de jeu RE Engine pour Capcom, c’était que l’unité de lieu (jusqu’au dernier tiers de l’intrigue) constituée par la demeure des Baker était une maison « relativement normale » dans son level design. Contrairement à la plupart des autres bâtiments présentés dans la série, ici on avait l’impression de visiter une « vraie maison ». Une maison certes peuplée de dingues et de monstres, mais pas un labyrinthe truffé de portes secrètes, de chausses-trappes et de portes activables avec des médaillons cachés dans des doubles fonds de tiroirs. Le remake de Resident Evil 2, qui simplifiait et rendait quasi cohérent le commissariat tarabiscoté de Raccoon City, se voyait même enrichi d’une justification interne : si le commissariat était organisé de manière si farfelue, c’était parce qu’il s’agissait préalablement d’un musée (un musée dans lequel je ne mettrais jamais les pieds).
On retrouve encore cet effort de rationalisation dans le remake de Resident Evil 3 paru l’an passé : la tour de l’Horloge du jeu d’origine y était même zappée pour se concentrer sur les combats de rue, là encore dans un environnement lisible et compréhensible, quasiment cohérent. On sent que les équipes de Capcom ont passé les cinq dernières années à peaufiner et maîtriser une approche moderne et lisible du level design, et ont diablement rodé l’utilisation de leur superbe moteur de jeu. À ce titre, Resident Evil Village propose une vraie claque graphique, malgré quelques légers compromis un peu visibles sur PS4 ou sur des configurations PC un peu modestes.
Cependant, ici pas question de refaire le coup du remake ou juste de proposer « une maison », le pari très minimaliste mais très efficace du septième épisode. C’est donc une série d’expériences, autant d’approches possibles du genre horrifique et de la manière de le mettre en scène, que Resident Evil Village propose. Et, c’est la nature de toute expérience, ça peut parfois rater.
Variation sur les expressions du monstrueux
Abandonnant cette idée de proposer quelque chose de « vraisemblable » pour miser sur l’effet impressionnant de demeures taillées par et pour les monstres qui les dirigent, Resident Evil Village met rapidement de côté toute idée de cohérence architecturale : le village en lui-même n’est qu’un terrain de jeu destiné à promener le joueur. On ne comprend pas bien comment y coexistent des serrures à codes ultramodernes, des laboratoires et des cahutes boueuses tout droit sorties du Kazakhstan de Borat. On n’y croise d’ailleurs aucun des antagonistes du jeu, chacun préférant se terrer dans son domaine particulier.
En revanche, c’est à l’arrivée au château de Lady Dimitrescu qu’on est saisi par le génie insufflé par les équipes de Morimasa Sato dans le jeu : le château en lui-même ne saurait exister en tant que tel, avec son architecture tarabiscotée, ses tours trop nombreuses, ses caves accessibles uniquement par bateau et ses prisons jouxtant une cave à vin. Mais la mise en scène de ce dernier, à mesure qu’on le parcourt, attire précisément l’attention sur le fait que ce lieu horrifique n’est là que pour attiser l’inquiétude : Lady Dimitrescu ne passe pas les portes et doit se pencher pour avancer, l’architecture gothique et démesurée des toits n’est que le terrain de jeu de ses chasses cruelles, les boudoirs, les celliers et les annexes sont autant de pièges mortels tendus par le clan de succubes qui hante les lieux en nuée macabre. C’est à regret qu’on quitte une expérience classique, mais extrêmement efficace.
À regret également qu’on découvre à quel point la séquence suivante, la maison de poupées de la famille Beneviento, est brève. Son expérience, extrêmement radicale, nous propose de déambuler dans une maison très étriquée, peut-être un des terrains de jeu les plus étouffants jamais proposés par un Resident Evil. Une bonne moitié de l’intrigue se déroule d’ailleurs dans une seule pièce, mettant en scène l’intimité forcée d’Ethan et d’un mannequin repoussant à l’effigie de son épouse décédée. C’est peut-être le tour de force le plus sublime de Resident Evil Village : dans la séquence de Beneviento, chaque ampoule, chaque tiroir, chaque effet sonore ou visuel possède un sens précis, on a l’impression que chaque objet joue une partition précise dans le chapitre. Légèrement plus ouvert, mais tout aussi oppressant, le combat final se déroule dans une maison recouverte du sol au plafond de poupées malveillantes. Là encore, rien ne fait vraiment sens, ni architecturalement (aucune maison n’a jamais été agencée de la sorte) ni scénaristiquement, mais chaque moindre bout de pixel est au service absolu de la saturation des sens du joueur ou de la joueuse.
Moulins éloignés et turbines hurlantes
Donjon le plus raté des quatre, la séquence de Moreau le monstre marin/amas biologique dégoûtant est peut-être la seule à ne rien proposer de précis : on appréciera la longue, longue descente en ascenseur, donnant l’impression de s’enfoncer dans les entrailles de la ville, et on appréciera tout autant le jeu constant sur les distances (la séquence implique de rejoindre deux moulins qu’on aperçoit très tôt mais qui vont demander moult détours pour être atteints). Mais, hélas, le passage de la mine ne dure que quelques minutes, et on se retrouve vite à barboter sur des plates-formes aquatiques en essayant de ne pas tomber bêtement comme dans un vulgaire épisode de Takeshi’s Castle. Le combat final non plus n’évoque pas grand-chose, sorte de tir au pigeon dans des tranchées d’un lac drainé de son eau où l’on vide chargeurs, mines et grenades sur un Grotadmorv geignard.
En revanche, le dernier espace proposé, s’il est assez indigeste en termes de gameplay (on enchaîne les combats à la Terminator Marque Repère dans des décors d’usine désaffectée et on tourne en rond à la recherche de moules pour fabriquer des clés, le fun n’y est pas), impose un décor qui marque la rétine. Ce qu’Heinsenberg, l’antagoniste du lieu, essaye d’accomplir dans sa quête de vengeance contre Mère Miranda est tout sauf limpide. Mais force est de constater que l’usine, là encore fruit et reflet de la personnalité dérangée de son propriétaire davantage que de quoi que ce soit qu’un agent du cadastre aurait pu accepter, imprime des panoramas angoissants d’une grande qualité dans la rétine du joueur. Où que l’on regarde, ce ne sont que chaînes de montage utilisant des humains comme matériaux, ampoules brisées au-dessus d’expériences ratées, bras mécaniques semblant chercher à tuer tout espoir dans des couloirs oppressants : ce n’est pas la première fois que la série nous fait explorer une zone industrielle, mais c’est la première fois que l’habituel laboratoire peuplé de zombies amorphes cède la place à une véritable proposition horrifique. Une expérience imparfaite, mais qui vient consacrer la vision très expressionniste de l’esprit de Resident Evil Village.
Finalement, on ressort frustré de cette expérience d’une dizaine d’heures : à l’exception des deux derniers chapitres (« Chris Redfield tire sur des trucs » et « Ethan Winters tire sur des trucs ») et de la séquence de Moreau, on a l’impression d’avoir assisté à une longue démonstration du savoir-faire désormais bien ancré des équipes de Capcom en matière de conception d’environnements horrifiques. Mais on en ressort également avec l’impression d’un certain éparpillement : on a vu trop peu de Dimitrescu pour s’attacher à ce château détruit à peine deux heures après sa découverte, on assassine Beneviento immédiatement après être arrivé au pinacle de l’horreur, et on termine la séquence d’Heisenberg de manière abrupte et bâclée, en se faisant littéralement offrir un char d’assaut invincible gratuitement et sans raison valable. Alors oui, retenons que désormais, Capcom et son RE Engine ont prouvé qu’ils savaient faire de grandes choses. Pour la suite, on aimerait qu’ils se concentrent un peu là-dessus, et un peu moins sur cet éparpillement façon portfolio de l’épouvante. On a vu que vous pouviez nous bricoler le jeu d’horreur dont nous rêvons tous, et dans les décors les plus impressionnants qui soient : très bien. À présent, faites-le !
Resident Evil Village a été testé sur PS4, via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur PC, PS5, Xbox One et Xbox Series.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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