Harvestella est un RPG de simulation agricole dans un monde de fantasy qui fait la part belle au scénario et à l'exploration.
Le planning des sorties de l'éditeur japonais Square Enix en 2022 est tellement chargé en tout et n'importe quoi qu'il a donné lieu à des articles entiers se questionnant sur la raison d'une telle inondation. Une surproduction confinant au grotesque, contenant le risque non négligeable que les propositions les plus insolites du catalogue se retrouvent un peu oubliées dans le flot des sorties. Et c'est un peu mon ressenti face à ce très curieux Harvestella, sorte de Stardew Valley dans lequel on aurait injecté une grosse dose de RPG d'action. Un jeu pétri jusqu'à l'os d'excellentes idées, mais qui risque de peiner à se distinguer de la masse de ses concurrents, la faute à un côté brouillon et à beaucoup de mécaniques obligatoires un peu ennuyeuses.
J'ai la ferme intention de résoudre vos problèmes
Difficile de trouver sa place dans le monde infiniment dense des jeux calquant les mécaniques de Stardew Valley, Harvest Moon et autres My Time at Portia. Le sous-genre est saturé de clones indiscernables peinant à trouver un axe fort. Il n'y a rien qui ressemble davantage à un jeu de gestion de ferme qu'un autre jeu de gestion de ferme. Par bonheur, Harvestella choisit de penser un peu en dehors de la boîte à compost en se plaçant avant tout comme un véritable RPG épique, guidé par son scénario et s'étalant sur une bonne cinquantaine d'heures.
Difficile d'être très convaincu par le début de cette démarche, par ailleurs, tant le jeu renoue avec tous les travers des RPG les plus laborieux de ces vingt dernières années : personnage amnésique, tutoriels partout et début d'aventure entièrement placé sur des rails mettant une bonne dizaine d'heures avant de véritablement vous lâcher la main pour vous laisser expérimenter les mécaniques et les quêtes. Petite surprise après ce long incipit pas désagréable, mais fort peu interactif : Harvestella possède un scénario des plus solides, qui plus est secondé par une version française de qualité.
Si les premières minutes font grincer des dents en nous plaçant dans les chaussures d'un ou d'une aventurière amnésique se voyant confier une ferme pour aucune raison cohérente dans un village de RPG on ne peut plus standard, tout gagne rapidement en subtilité et en complexité. Harvestella fait le choix assez surprenant de proposer une histoire certes légère, mais assez orientée science-fiction. Il y est question de paradoxes temporels, de cohabitation des espèces, et d'anticipation de catastrophes technologiques et climatiques. Rien, hélas, ne laisse apparaître l'ambition et la cohérence de l'ensemble dans les premières heures du jeu, mais chaque chapitre offre son lot de révélations et brosse un des univers de RPG les plus plaisants à parcourir de cette fin d'année. Vous aurez cependant remarqué que je n'ai pour le moment presque pas abordé la question de la gestion de cette fichue ferme, supposée être au cœur du jeu. Et c'est bien là tout le paradoxe proposé par Harvestella.
Qu'est-ce que c'est que ces salades ?
La plupart des RPG agricoles font le choix de passer beaucoup de temps à vous faire gérer votre exploitation et font de l'exploration et des combats une activité plutôt annexe. Plus Harvestella avance dans son déroulé et plus c'est l'inverse qui se produit. Le jeu est découpé en journées se déroulant de 6 h du matin à minuit, et attendent de vous que vous consacriez une partie de ce cycle à gérer et à développer votre ferme : planter, arroser, nourrir les bêtes, récolter, vendre les produits récoltés, etc.
Seulement, pour peu que vous compreniez bien le système de craft et de quêtes annexes, Harvestella fait également aussi le choix de très rapidement vous noyer sous les récompenses permettant d'optimiser la gestion de la ferme. Plus on perfectionne sa petite entreprise et plus elle va pouvoir se gérer seule. Dans un sens, c'est parfait : les opérations de base deviennent de moins en moins fastidieuses à faire dans le jeu, qui évite ainsi de tomber dans un côté abrutissant et répétitif lié à l'arrosage ou aux semis. De l'autre, c'est un pari : sur le long terme, Harvestella ne peut pas vraiment se reposer sur ses mécaniques de gestion de cultures, puisque ces dernières servent surtout à accomplir des objectifs permettant de renforcer vos personnages et vos amitiés. Concrètement, il n'est pas rare que vous ayez bouclé tout ce que vous avez à faire dans votre ferme vers 10 h du matin et qu'il vous reste 14 longues heures pour explorer la map, les donjons, faire des quêtes annexes, etc. Pour fonctionner, Harvestella doit donc proposer une partie action RPG des plus solides. Et si, comme on le verra plus tard, tout ceci n'était pas conditionné à l'exploitation de tout un tas d'autres mécaniques fastidieuses, le pari serait entièrement réussi.
Le jeu propose un système assez malin de donjons à l'apparence tortueuse que vous devez « restaurer » au fur et à mesure de votre avancée : en réparant des ponts et des échelles ou en activant des téléporteurs, vous pourrez avancer de plus en plus loin, chaque jour, dans chaque biome. Et ce faisant, récolter des produits plus élaborés qui vous serviront à renforcer votre ferme et vos personnages. La boucle de gameplay est simple, mais efficace, on ne déplorera là-dedans que quelques moments un peu confus et une interface de changement de jobs et de pouvoirs à la volée qui ne fonctionne pas très bien. Les combats, sans être formidables, sont nerveux et variés et font la part belle à la stratégie. En revanche, ces donjons sont symptomatiques d'un jeu qui, s'il est très axé sur ses quêtes, son scénario et son système de combat, se tire parfois une balle dans le pied en vous poussant à utiliser toutes ses mécaniques les plus obscures encore et encore.
Au four et au moulin
Harvestella, qui reste un jeu au budget et aux ambitions modestes, se présente tout de même sous la forme d'un jeu somme : on chasse, on récolte, on cuisine, on construit des clôtures, on craft, on fait fonctionner des machines, on commerce, etc. Bref, tout ce qu'on fait dans n'importe quel Stardew Valley-like, et même un peu plus. Et on le fait d'autant plus qu'on n'a pas bien le choix, chaque donjon est truffé d'obstacles poussant à multiplier les allers-retours, parfois de manière éminemment fastidieuse. Des obstacles prenant parfois la forme de boss constituant d'inattendus pics de violence, Harvestalla ne gérant pas franchement très bien sa courbe de difficulté.
On doit donc progresser de manière assez laborieuse en exploitant des sous-systèmes pas bien passionnants comme la cuisine ou la pêche ou multiplier les quêtes fedex destinées à faire monter des jauges de satisfaction de tel ou tel PNJ. On se retrouve, de ce fait, finalement avec une exploitation agricole qui se gère essentiellement toute seule, mais avec chaque jour une myriade de petits systèmes annexes à faire fonctionner, dont aucun n'est ni très intéressant ni très abouti. Et c'est un peu le problème central d'un jeu par ailleurs globalement très agréable : son axe fort (l'exploration) est sans arrêt parasité par ses axes faibles (tous ces trucs un peu pénibles à faire pour avancer).
Ce n'est pas non plus quelque chose qu'on peut reprocher à Harvestella en tant que tel : il y a beaucoup à faire dans le jeu et on nous incite à toucher à tout. Mais l'expérience, pas toujours très fluide, pourra vite devenir fastidieuse pour celleux qui souhaiteraient juste un action RPG où l'on peut récolter des patates chaque matin. En ce sens, il finit davantage par ressembler aux itérations récentes de YS ou à un épisode de la série Atelier qu'à un jeu de gestion de ferme à proprement parler. Le tout avec la fraîcheur un peu gauche d'une nouvelle licence qui essuie fatalement un peu les plâtres et qui essaye beaucoup sans réussir partout. Ce n'est pas tout à fait un défaut critique, mais il vaut mieux être prévenu avant d'y aller.
Harvestella a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur Nintendo Switch.
Harvestella aurait pu être un des plus grands jeux de simulation agricole mâtinée de RPG de sa génération, mais avec son rythme en dents de scie, ses premières heures particulièrement laborieuses et son manque de parti pris tranché sur ce qu'il cherche à vous faire faire, il s'éparpille un peu. Il ne restera sans doute dans les mémoires que comme une curiosité plaisante. Ce n'est pas très grave : au moins, on passe un bon moment, on suit le scénario global avec attention et on prend un plaisir toujours renouvelé à développer sa petite ferme et à améliorer ses relations avec les personnages locaux. Mais un scénario si ambitieux méritait sans doute un gameplay un peu plus fort.
Les + | Les - |
- Scénario vraiment très chouette | - Le début extrêmement poussif |
- La gestion de la ferme qui devient vite très fluide | - Beaucoup de sous-systèmes sans intérêt |
- Système de combat maladroit, mais malin | - Le système de quêtes annexes pas toujours optimal |
- Version française très soignée | - Ergonomie parfois douteuse des menus |
- Le potentiel pour devenir une franchise de qualité | - Difficulté mal équilibrée |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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