Chaque année, la série de RPG Atelier développée par Gust et éditée par Koei Tecmo livre un ou plusieurs épisodes incluant presque toujours un épisode inédit, et parfois des remakes ou des spin-off. Une production frénétique qui avait conduit à quelques catastrophes et à un recentrage de la production sur des jeux plus ambitieux mais publiés de manière plus espacée. Une stratégie qui avait été couronnée de succès. Supposé marquer les 25 ans de la série, Atelier Sophie 2: The Alchemist of the Mysterious Dream a cependant un petit goût de retour en arrière.
Si Atelier Ryza avait réalisé l’exploit de multiplier par dix les ventes d’une série pour le moins moribonde, c’était grâce à une approche radicalement différente de la formule « petite fille avec une voix stridente en train de gérer un magasin d’alchimie dans une ville paumée » qui avait été recyclée à l’envi depuis une dizaine d’années. Monde semi-ouvert, aventure plus épique, système de jeu simple, interface plus légère et surtout personnages plus travaillés : on avait l’impression que la série essayait de renouer avec ses heures de gloire de l’époque PlayStation 2. Avec Atelier Sophie 2, suite d’un jeu de la sous-série Mysterious de 2015 qui avait été bien reçu malgré un manque certain d’innovation, Gust revient à une formule beaucoup plus classique. Si ce dernier titre conserve l’héritage récent en matière d’accessibilité et de rythme de jeu et constitue une expérience confortable, il abandonne en revanche toute ambition narrative et conceptuelle pour se vautrer dans une formule efficace mais mécanique. Une quarantaine d’heures vous attendent donc entre confort et mollesse : on aurait aimé un 25ᵉ anniversaire un poil plus nerveux.
Dans tes rêves
Atelier Sophie 2 a l’élégance d’inclure en introduction un petit film (au visionnage facultatif) résumant les éléments du premier épisode : après avoir hérité de l’atelier d’alchimie de feu sa grand-mère, la jeune Sophie a déniché un livre d’alchimie qui parle prénommé Plachta, s’est fait des potes, et a transféré l’âme de Plachta dans une poupée à taille humaine. Puis elles sont toutes les deux parties à l’aventure en quête d’aventure parce que l’aventure c’est l’aventure. C’est un peu plus tard que commence le jeu : Sophie et Plachta sont mystérieusement absorbées dans un autre monde, un motif extrêmement récurrent de la pop culture japonaise ces dernières années.
Permettez-moi de vous spoiler les cinq premières minutes du jeu, même si elles contiennent hélas les trois quarts de l’intrigue : le monde en question s’avère être la manifestation des rêves des gens, qui y sont plus ou moins figés et coincés tant que leurs désirs ne sont pas accomplis. Quoi de mieux qu’une alchimiste pour vous fabriquer le bidule de vos rêves et vous renvoyer dans la réalité ? On va donc raconter pour l’essentiel le voyage de Sophie dans ce monde onirique et sa quête de vérité sur le pourquoi du comment de l’existence de ce monde inversé. Malgré quelques références au premier épisode, vous pouvez tout à fait commencer par celui-ci, tant son intrigue s’avère assez vite secondaire.
Car c’est bien le principal défaut du jeu : contrairement au diptyque Ryza, cet épisode possède une intrigue en net retrait, se contentant de vous faire déambuler dans divers environnements naturels plus ou moins mystérieux, sans beaucoup d’enjeux, puisqu’au fond, vous le savez déjà, tout ça n’est qu’un rêve. Le jeu révèle quelques surprises sur le tard, mais globalement, tout est un peu en autopilote : personnages faiblards au design douteux, NPC inexistants, bestiaire vu et revu et donjons au level design convenu et aux mécanismes poussifs. Le jeu se permet même d’être franchement moins beau et moins grandiose dans son décorum que les précédents opus de la série. On sent que la partie proprement aventure du titre est totalement passée à la trappe. Les premières heures font même carrément peur : est-il vraiment attendu de nous 35h d’attention consacrées uniquement à suivre les problèmes de canne-à-pêche et de papillons à attraper des habitants anonymes d’une ville qui n’existe diégétiquement même pas réellement dans l’univers de la série ? Par chance, Atelier Sophie 2 arrive (un peu) à renouer avec l’excellence des mécaniques éprouvées par les jeux précédents de la série et c’est dans les séquences de récolte et d’artisanat que l’on trouvera notre intérêt.
Speed-Crafting
Les quelques afficionados de la série se souviennent des épisodes les plus pénibles de la franchise où ce qui était au cœur du gameplay, les combats au tour par tour et le craft, s’avéraient tout aussi fastidieux que le reste. Force est de constater que de ce point de vue, Gust a énormément, énormément appris ces dernières années.
90 % de votre temps de jeu sera consacré à la collecte d’ingrédients (soit via le combat, soit via la récolte d’éléments naturels) et à leur assemblage pour fabriquer des objets : des consommables, des objets de quête, des outils pour améliorer la collecte, de l’équipement, etc. Et de toute évidence, les développeurs du jeu avaient pleinement conscience que tout ceci pouvait être un chouia lassant au bout de quelques heures. Atelier Sophie 2 vous permet donc de tout faire, très, très vite et de manière extrêmement instinctive. Vous incarnez une alchimiste déjà aguerrie qui commence le jeu au niveau 50, ce qui veut tout dire et rien dire mais symbolise le fait que ce n’est plus une noob. La question ne sera donc pas tant d’apprendre à faire de l’alchimie qu’à reproduire des faits déjà accomplis dans le jeu précédent pour apprendre à parcourir plus vite ce monde onirique en débloquant de nouvelles compétences.
Concrètement, cela se traduit par un système de « pensées » interne au menu de craft : à mesure que vous ramassez des éléments ou que vous avez des conversations avec les différents NPC, des idées de recettes se débloquent et permettent de progressivement avancer le long d’un arbre des objets possibles. Le tout étant pensé pour que les cases de ce dernier se débloquent plutôt vite et de manière plutôt naturelle, puisque les mini-quêtes impliquent généralement la récolte et la création d’items qui sont liés aux prochaines pensées déblocables. À l’image d’un récent Nobody Saves The World, ici vous êtes toujours en train de débloquer quelque chose qui vous permet de progresser. En quelques heures d’un cercle assez vertueux, vous pouvez déjà produire des dizaines d’objets et renforcer votre équipe de manière assez efficace, changer la météo et donc le terrain à parcourir, activer des mécanismes secrets, débloquer des raccourcis, etc. On n’a jamais l’impression de piétiner ou de devoir recommencer de zéro, ce qui est un écueil pourtant courant dans les suites. De ce point de vue, le titre est même encore plus efficace que ne l’étaient les épisodes Ryza, en éliminant un paquet de mécanismes redondants et fastidieux.
Le jeu multiplie ainsi les mécanismes internes pour vous dispenser de nombre de tâches répétitives : les NPC ont des boutiques bien achalandées vous évitant de récolter, vous pouvez cloner des objets, remplir votre stock de consommables selon des paramètres prédéfinis quand vous voyez vos fournisseurs, les monstres à combattre et les ingrédients à récolter liés à des quêtes apparaissent explicitement sur la mini-map. En supprimant toute la partie la plus laborieuse et boutiquière du micro-management habituel dans la série, ce dernier titre vous permet de prendre beaucoup de plaisir dans la création des différentes recettes, et implante également une option bienvenue de craft automatisé de biens à partir des ingrédients compatibles de votre besace. Ce qui n’est pas plus mal, car le faire manuellement reste possible mais implique un mini puzzle-game pas franchement très stimulant, et dans lequel l’IA du jeu s’en sortira de toutes façons probablement mieux que vous. Ajoutons à cela un système de téléportation exemplaire entre les différents hub, et on obtient une des expériences les moins frustrantes et les plus ergonomiques de la saga.
Une politique tarifaire douteuse
Difficile cependant de ne pas dire un mot de la politique de DLC parfaitement indigne que continue encore et toujours de proposer Gust : si on atteint pas l’absurde season pass à 80 € de l’épisode Lydie & Suelle, Atelier Sophie 2 propose une version de base à 60 € (70 € sur consoles) déjà relativement mastoc pour un jeu du genre. Version vanilla à laquelle vous pourrez adjoindre un season pass à plus de 50 €, portant la douloureuse facture à plus de 110 € pour l’expérience complète, incluant d’inutiles et gênants maillots de bain pour les héroïnes dont on se serait passé et, plus classique, un chapitre bonus. Jusqu’ici, passe encore, mais ce season pass inclut aussi de manière franchement éhontée une partie entière de l’arbre de craft. En gros, une partie des objets les plus intéressants de ce jeu de création d’objet sont derrière un paywall avoisinant le prix du jeu de base. On peut très bien y jouer sans en passer par là, mais c’est franchement hors-de-prix et commercialement douteux.
La guerre en dentelles
Quelques mots enfin sur le système de combat, qui illustre également le parti pris très pantouflard de cet épisode : si globalement les combats sont nerveux et agréables, on remarquera que d’une part le challenge proposé est extrêmement faible, même dans le contenu avancé, et que l’impression de ne faire face à strictement aucune mécanique qui sorte un tant soit peu des sentiers battus finit par endormir légèrement à mesure qu’on répète les mêmes boucles d’assauts. On a l’impression de rentrer dans la faune adverse comme dans du beurre, particulièrement quand on commence à débloquer les premiers consommables offensifs un peu brutaux, en se demandant pourquoi on a tant besoin de massacrer les innocents champignons mollassons qui nous font face.
Seuls quelques combats de boss ou contre des monstres bonus proposés dans des quêtes facultatives demandent vraiment un minimum de concentration et forcent à jouer avec les mécaniques d’utilisation d’objets magiques, l’équipement de talismans ou de switch entre les personnages pour savoir qui encaissera le prochain coup. De même, les systèmes d’aura (des boucliers renforcés) et de vulnérabilités élémentaires des ennemis sont intéressants, mais trop permissifs pour représenter autre chose qu’un micro-challenge ponctuel. Il aurait sans doute fallu ne pas confondre le côté chill qu’a toujours eu la série et des combats qui ne sont finalement qu’une ennuyeuse formalité sous leurs atours colorés et braillards. C’est confortable, mais à l’image de tout le jeu, c’est un confort un peu soporifique à la longue.
Atelier Sophie 2: The Alchemist of the Mysterious Dream a été testé sur Nintendo Switch via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur PC et PlayStation 4.
À aucun moment, je ne me suis dit qu’Atelier Sophie 2: The Alchemist of the Mysterious Dream était un mauvais jeu, et c’est franchement déjà pas mal. Cependant, tout dans ce projet supposé célébrer les 25 ans de la franchise semble un peu rétrograde et bancal au regard des excellents épisodes Ryza. Avec son chara design plutôt hideux, ses environnements criards et son absence totale d’enjeux motivants, Atelier Sophie 2 parvient néanmoins à se rattraper superbement aux branches avec son interface exemplaire, son système de craft ultra astucieux et son absence totale de temps morts entre les différentes tâches confiées au joueur. Un bon moment, donc, mais l’impression que Gust et Koei Tecmo ont oublié un peu vite les écueils qui avaient conduit la série au bord de l’abîme il y a moins de cinq ans.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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