Cela va faire dix ans que Guild Wars 2 est sorti. Après deux extensions et une histoire vivante qui ont su tenir les joueur.ses en haleine jusqu’à une conclusion aux allures cataclysmiques, reste-t-il encore à End of Dragons une histoire à raconter qui en vaille la peine sans sentir le réchauffé ? Étonnamment, oui.
Attention, l’article ci-dessous contient de légers spoilers sur le lore de Guild Wars 2, ainsi que ses précédentes extensions, Heart of Thorns et Path of Fire.
En tant que joueur actif de Guild Wars 2 depuis 2012, après qu’un très bon ami m’ait dit un jour « Tiens, essaye ça, ça risque de te plaire », j’attends chaque mise à jour importante comme le messie. L’extension End of Dragons, de par son nom et dès ses premiers teasers, annonçait un bouleversement dans la mythologie même de Guild Wars avec la fin des dragons ancestraux (nous y reviendrons), et les théories les plus folles espéraient un renouveau du gameplay sous-marin avec l’arrivée d’un bateau, et de la sacro-sainte pêche. Si ArenaNet a su maintenir le niveau de sa narration et faire monter la tension jusqu’à un final mémorable, on peut émettre des doutes sur la capacité de cette extension à proposer quelque chose d’innovant du point de vue du gameplay. Accrochez-vous, parce que vous avez du contexte à rattraper.
Il était une fois en Tyrie
Cela fait deux cents ans que la Tyrie, le monde de Guild Wars 2, connait la menace des dragons ancestraux, de véritables forces de la nature qui se réveillent tous les dix millénaires pour se rassasier de magie avant de retourner hiberner dans les profondeurs. Ces itérations dans lesquelles la planète est coincée et que rien ne semble pouvoir arrêter sont connues sous le nom de cycle des dragons. Les Tyriens ont appris à vivre avec, à lutter contre la corruption engendrée par leur présence, mais dernièrement elle se fait de plus en plus inquiétante et les zones où la paix règne sont de plus en plus rares. C’est dans ce contexte troublé que le.a joueur.se prend le contrôle son personnage et, par un concours de circonstances, se retrouve à abattre Zhaïtan le dragon de la mort et des ombres avec l’aide des forces coalisées des différentes factions tyriennes. Sans le savoir, notre héros aura déstabilisé les pouvoirs en place et déclenché un effet boule de neige qui causera des catastrophes en chaine.
End of Dragons débute 10 ans plus tard, en l’an 1334 du calendrier de Tyrie, cinq dragons ancestraux sur les six originaux sont morts, mais l’écosystème est complètement déséquilibré. Mordremoth, le dragon de la jungle, créateurs des Sylvaris — une des races jouables — et principal antagoniste de l’extension Heart of Thorns (impossible à prononcer pour un.e français.e), a montré que lorsqu’un dragon disparait, sa magie ne s’évapore pas, mais se fait absorber par les autres dragons à proximité. Un épineux problème d’escalade de puissance se pose alors pour les héros de Tyrie, lorsque leurs ennemis peuvent utiliser les capacités de ceux qui sont déjà tombés, qu’ils soient des dragons, des mages ou mêmes des dieux. À l’heure actuelle, une partie de toutes ces magies a été captée par Aurène, un dragon de nouvelle génération dévoué au bien, dont notre personnage est le champion et ami, mais le reste a disparu dans l’inconnu. Il semble maintenant que l’instabilité croissante et les réponses à toutes les questions se trouvent dans une région reculée, vivant en autarcie de l’autre côté de l’Océan Infini que End of Dragons nous invite à découvrir : Cantha.
Dans cette région, la société aux influences coréennes traditionnelles marquées s’est construite autour de ses traumatismes historiques. D’un côté, les cicatrices encore douloureuses de l’ancienne influence de Zhaïtan et ses morts-vivants qui menacent sa côte nord empêchant tout navire de voguer vers la Tyrie centrale, et de l’autre la Mer de Jade, un immense territoire cristallisé suite à la propagation du Vent de Jade, issu du dernier souffle de Shiro Tagachi, traitre de l’empire de Cantha. Alors que sa population était coincée dans un système ultra-bureaucratique et traditionaliste depuis des décennies, le progrès moderne a fait un bond gigantesque en quelques années grâce à la technologie de jade, exploitant l’énergie contenue dans l’immense réserve de cristaux de la Mer de Jade. À la manière d’une petite batterie, un orbe de jade peut alimenter la plupart des appareils, allant d’une porte automatique à l’armement le plus dévastateur. Évidemment, l’utilisation de cette innovation n’est pas donnée à tout le monde, aussi on observe une fracture nette au sein d’une même ville comme Néo-Kaineng — pourtant la vitrine de la société Xunlai Jade qui commercialise cette technologie — selon le rang social des habitants.
Après un incident diplomatique majeur qui aurait pu bien mal finir, on découvre une Cantha bien loin des descriptions de livres poussiéreux du siècle dernier que l’on peut trouver en Tyrie centrale, où la guerre civile entre Humains et Tengus est terminée et où l’empire canthien a connu une explosion d’innovations, dont la croissance aussi rapide est forcément suspecte. Ça sera donc à notre héros bardé des titres de Commandant du pacte des ordres tyriens, pourfendeur de Dragons, Déicide, et Champion d’Aurène, ainsi qu’à ses compagnons de démêler les mystères de ce territoire et d’y découvrir pourquoi le cycle des dragons semble s’y terminer de manière apocalyptique.
Jade(ore) les sushis
Si les extensions ont évidemment eu un impact majeur sur le déroulé de l’histoire, c’est aussi vrai pour ce qui concerne le gameplay du jeu en lui-même. Il y a 10 ans, Guild Wars 2 s’affranchissait de la sainte trinité tank-dps-soigneur si chère aux MMORPG, en associant des compétences de soin à toutes les classes pour bousculer les habitudes et créer de nouvelles dynamiques – sans être le premier jeu à proposer cette innovation –, de nouvelles règles que les joueur.ses ont tout de même réussi à tordre pour spécialiser leurs personnages et se soutenir contre les boss les plus retors.
Fin 2015, l’extension Heart of Thorns s’enfonçait au plus profond de la jungle de Maguuma et jouait sur la verticalité des nouvelles cartes, certaines étant de véritables labyrinthes sur plusieurs niveaux, avec un nouvel accessoire, le deltaplane. Bien avant Breath of the Wild, Guild Wars 2 proposait une nouvelle manière de se déplacer et de combattre un bestiaire d’ennemis beaucoup plus puissants et intelligents que leurs cousins de la version de base, forçant l’ensemble des joueur.ses à repenser leur stratégie (mention spéciale au loup mordrem fait de ronces, premier mob que l’on rencontre et capable d’infliger des blessures mortelles s’il attaque de côté et de dos). Elle introduisait aussi le concept de « maitrises », capacités ou bonus déblocables à l’aide de points récoltés au cours de l’aventure et dont les derniers niveaux demandent une bonne dose de persévérance pour être acquis.
L’extension Path of Fire, quant à elle, offrait des environnements gigantesques et extrêmement variés, et la randonnée forcée était maintenant remplacée par des balades à dos de montures terrestres, marines, ou aériennes. En exploitant leurs capacités de manière intelligente et en monnayant leurs skins de manière particulièrement lucrative (qui n’aimerait pas parcourir les plaines sur un shiba géant ?), Guild Wars 2 offrait alors une expérience encore différente, soutenue par des enjeux scénaristiques bousculant la mythologie de la licence depuis Guild Wars premier du nom, dans le bon sens du terme.
Avec End of Dragons, ArenaNet nous donne trois nouveaux outils : un esquif, une canne à pêche, et un drone de jade. Commençons par le plus accessoire, l’esquif, et ses quelques places pour votre personnage et son groupe. En découvrant ce petit bateau dans les premières missions, on aurait pu s’attendre à de longues balades sur les différentes cartes de l’extension, mais on déchante vite en constatant qu’à part sur la première zone, on passera la plupart de l’aventure sur la terre ferme. Peu d’intérêt à travailler son pied marin alors, à part pour être accompagné ou pécher loin des côtes, même si des montures marines existant déjà auraient pu être adaptées pour l’occasion. Ensuite, loin de moi l’idée de refaire l’éloge du mini-jeu de pêche et de décréter qu’il devrait y en avoir dans absolument TOUS les jeux vidéo, mais quand même, il devrait y en avoir dans absolument TOUS les jeux vidéo.
Cette fonctionnalité disponible à présent sur toutes les cartes du jeu est un moment de tranquillité bienvenu, après le massacre de hordes d’ennemis ininterrompues et de sauvetage de monde sur le fil. À part me détendre, elle a une utilité en jeu bien sûr : elle déverrouille de nouveaux collectibles nécessaires à la progression du métier de cuisinier et à l’élaboration des bonus temporaires les plus puissants pour affronter les défis de cette extension. Même si elle n’a aucun intérêt direct en combat, cette activité possède quelques succès de collections qui lui sont liés, et je suis à peu près certain que je passerai plusieurs dizaines d’heures à les compléter sitôt cette critique rédigée. Comme on l’a vu, la vie quotidienne de la région de Cantha est conditionnée par l’utilisation de la technologie de jade, il est donc naturel que notre héros en profite aussi, et c’est peu de temps après notre arrivée mouvementée qu’on nous colle dans les mains l’iPhone du coin : le drone de jade. Cet appareil n’a malheureusement qu’un rôle de support qui, entre autres, nous aidera à nous soigner si on tombe à terre ou fera office de point de téléportation personnel, ce qui reste assez anecdotique et peu marquant en comparaison de ce qu’ont apporté Heart of Thorns et Path of Fire.
À chaque mise à jour majeure, les équipes d’ArenaNet ont intégré des variations aux classes déjà existantes, appelées « spécialisations ». Liées à un arbre de compétences particulier, ces spécialisations changent radicalement la manière de jouer une classe donnée, offrant de nouvelles synergies et de nouvelles combinaisons. Jusqu’ici, ces variations ont toujours été assez inspirées, proposant des gameplays différents faciles à prendre en mains, mais compliqués à maitriser. Dans End of Dragons, cependant, certaines classes sont moins bien loties que d’autres : le Rôdeur, par exemple, pouvait auparavant se spécialiser en Druide et utiliser des glyphes puisant dans les forces astrales, ou bien en Animorphe et fusionner avec son familier pour gagner en puissance. Maintenant, il peut devenir un Indomptable et fusionner avec le concept de nature, un drôle de mélange entre les deux premières spécialisations qui parait bien fade une fois derrière son écran et qui semble tourner en rond. Bien heureusement, si l’évolution du gameplay n’est pas aussi mémorable que celles des autres extensions, End of Dragons met en place une ambiance incroyable dans la droite lignée de ce qu’a su faire Guild Wars 2 par le passé.
Et comment va le chat de la mère Michel ?
Après tout le mal que je viens d’en dire, il y a-t-il un intérêt à sortir son porte-monnaie et à débourser les 30 € nécessaires pour acquérir la version de base de End of Dragons ? La réponse est bien évidemment oui. Cette extension a, à mon sens, sublimé ce qui fait la vraie force de Guild Wars 2 depuis sa sortie : sa capacité à rendre un univers vivant et cohérent. Déjà de par la qualité de la conception de toutes les cartes du jeu qui proposent des environnements variés et mémorables, qu’on a le plaisir de parcourir pour y découvrir la faune et la flore ainsi que ses petits secrets cachés. Mais aussi de par la présence affirmée des PNJ qui peuplent toute la Tyrie et qui ne font pas simplement de la figuration. En effet, dans Guild Wars 2 tout le monde parle, que ce soit directement à nous, à un autre PNJ ou bien à soi-même pour raconter tout et n’importe quoi. On peut ainsi rencontrer un personnage un peu random un jour dans son village paumé, il va nous parler de ses tracas ou de ses rêves, nous donner des informations sur la zone dans laquelle on se trouve, et puis si le hasard le permet on pourra le recroiser sur une autre carte ou au fil de l’aventure. De même, la mécanique des « évènements » – sortes de quêtes limitées dans le temps, mais revenant toutes les quelques heures, capables de modifier l’environnement entier d’une zone – permet d’insuffler une volonté propre à des personnages comme s’ils voulaient faire bouger les choses. Et le principe du Monde vivant ajoutant de nouvelles quêtes, de nouveaux évènements mondiaux, et changeant sur le long terme le visage de la Tyrie imprime une dynamique qui empêche les joueur.ses de tourner en rond dans un monde figé.
L’extension End of Dragons et l’immersion qu’elle nous propose (soutenue par une bande originale encore une fois incroyable) s’appuient sur l’expérience que les développeurs ont acquise au fil des années. Chaque environnement fourmille de détails architecturaux, historiques, ou intimes, sérieux ou cocasses loin d’être obligatoires, mais qui existent néanmoins pour qui se donne la peine de les trouver. L’arc narratif de Guild Wars 2 se conclue alors aux côtés de nos compagnons aux backgrounds riches et diversifiés, à l’aide d’une écriture dans l’air du temps n’hésitant pas à critiquer les monopoles industriels mégalos, à parler d’écologie et de xénophobie, et à faire la part belle aux représentations LGBTQIA+ sans « explications scénaristiques sinon on n’y croirait pas ». Une étape notable a aussi été franchie quant à la qualité de la réalisation, et je pense que tout ce travail accompli pardonne le manque de suivi sur le endgame, souvent critiqué ces derniers temps.
Guild Wars 2 : End of Dragons a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Guild Wars 2 : End of Dragons illustre parfaitement le savoir-faire d’ArenaNet et l’achèvement d’un travail acharné depuis dix ans ponctué de hauts et de bas. Malgré la faiblesse des innovations du gameplay par rapport aux autres extensions, il n’a jamais été aussi agréable d’évoluer dans un monde cohérent et vivant, même si celui-ci est au bord de la destruction. J’ai hâte de voir si cette extension sonne le glas de l’aventure de Guild Wars 2 ou si, à l’image du cycle des dragons, elle est prête à se renouveler.
Kalkulmatriciel
Cc c Kalkul. J'adore parler à tous les PNJ, mettre des mandales et saboter les coop.
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