Goodbye Volcano High est un court mélodrame musical mettant en scène un groupe de jeunes dinosaures anthropomorphes dont le passage à l'âge adulte s'avère hélas ruiné par l'arrivée imminente de la fin du monde. Et il pose une question centrale, terriblement actuelle : comment imaginer demain quand on sait qu'il n'y a plus vraiment de futur ?
Il me semble difficile d'évoquer Goodbye Volcano High sans mentionner au moins brièvement la campagne de cyberharcèlement ahurissante dont a été victime le studio montréalais KO_OP à l'origine du projet, au simple motif que le jeu revendiquait une esthétique queer. Les auteurs de cette campagne ayant été jusqu'à développer leur propre jeu parodique pour se moquer de l'œuvre et y fourrer des thèmes chers à l'extrême-droite américaine sont, bien entendu, un ramassis d'imbéciles. Mais il me semble que le mal principal qu'ils ont causé est d'avoir réussi à décentrer la perception que nous pouvions avoir de Goodbye Volcano High. Il est parfaitement normal et souhaitable qu'une partie importante de la scène indé se consacre aux thématiques de représentation des minorités de genre et en fasse un sujet central de préoccupation. Ce n'est ici, à proprement parler, pas vraiment le cas. Une bonne partie du casting de ce très joli visual novel est certes queer, non-binaire, genderfluid ou gay, c'est entendu. Mais Goodbye Volvano High ne parle pas exactement de cela, préférant considérer que vous, derrière votre écran, êtes de toute façon parfaitement ok avec l'existence des personnes LGBTQIA+ dans le jeu vidéo. Ce pari sur votre intelligence effectué, il préfère développer une thématique centrale tournant davantage autour des rêves, accomplis ou brisés, dans un contexte angoissant. Ainsi que des tensions inévitables surgissant au sein d'un groupe qui n'a à la fois plus les mêmes aspirations, des besoins différents et de moins en moins de certitudes quant à l'existence d'un futur. Une sorte de Don't Look Up croisé avec un drame intimiste dans le milieu du rock indé, en quelque sorte. Autant vous dire qu'en cette période intense d'écoanxiété, ça tape juste.
Jurasniff Park
Débutant leur dernière année de lycée, Fang, Trish et Reed sont les trois membres du groupe de rock indé Worm Drama. Lea premièr·e, chanteur·euse du groupe, a passé un été assez morose. Iel mise beaucoup sur la rentrée pour "enfin" réussir à faire percer la formation lors du prochain tournoi musical organisé par le célèbre bar rock du coin, le Lava Java. Hélas, à l'heure de l'orientation scolaire et des choix d'université, Trish et Reed semblent commencer doucement, mais sûrement, à s'éloigner du groupe. De nouveaux éléments se greffant soudainement à leur groupe d'amis étendus paraissent créer de nouvelles tensions, enfermant tout un chacun dans un ensemble de non-dits difficiles à gérer. Oh, et, hélas, une météorite est entrée dans le système solaire et se dirige à fond les ballons vers la planète. Les scientifiques se veulent rassurants, mais : et si la collision avait lieu ?
Tout au long d'une sorte de dessin animé interactif long de six ou sept heures, Goodbye Volcano High va se resserrer sur l'histoire de Fang. Complètement impuissant·e (comme tout le monde) face à une situation qui s'avère de plus en plus sombre et potentiellement apocalyptique, iel doit faire des choix. Faut-il tenter de ressouder le groupe ? De mieux connaître Rosa, la nouvelle amie proche de Trish ? Faut-il essayer de mieux connaître Nasser, ce petit frère absolument parfait et bien sous tout rapport qui cache peut-être une mélancolie bien réelle ? Et surtout : faut-il continuer à composer encore et toujours de la musique alors qu'il n'y aura probablement plus personne pour l'entendre dans quelques semaines ?
Autant le dire tout de suite, Goodbye Volcano High vous laisse une marge de manœuvre relativement étroite pour naviguer dans cette trame. On y pratique un habituel mélange de réponses à donner en un temps limité et de quelques mini-jeux (souvent des QTE musicaux) destinés à mettre en scène l'avancée de l'histoire. Mais ces différents choix vont principalement vous amener à quelques nuances dans les relations entre les membres du groupe et Fang, et à quelques embranchements mineurs vous livrant une conclusion plus ou moins poussée sur certains points de détails de l'intrigue. Il ne s'agit pas d'un jeu avec des routes narratives radicalement différentes, des retournements de situation invraisemblables ou une rejouabilité bluffante. C'est : un dessin animé interactif qui vous laisse nuancer quelques-unes de ses scènes les plus intenses. Cette petite pilule avalée, il devient possible d'apprécier ce qui se révèle être un récit particulièrement brillant.
Si on devait mourir demain
Loin d'un Raptor Boyfriend et ses bluettes hipster un peu perdues dans leur côté éthéré, Goodbye Volcano High met les pieds dans le plat et aborde donc des questions on ne peut plus contemporaines. Inspiré en bonne partie d'expériences d'étudiants obligés de continuer à travailler en pleine pandémie de Covid-19, le titre de KO_OP arrive à se concentrer sur des problématiques fortes soutenues par une écriture au cordeau et quelques personnages marquants.
J'ai ainsi été bluffé, par exemple, de la manière dont la longue amitié entre Fang et Trish est mise en scène, à coup de petits rituels quotidiens, de flashbacks parfaitement dosés ou de simples allusions au gré de tel ou tel dialogue. Des jeux de regards en passant par les attitudes corporelles ou de simples non-dits, tout est fait pour que l'on comprenne parfaitement la mise en scène du fossé qui commence lentement, mais surement, à les séparer. De même, la manière de mettre en scène les relations plus distantes et néanmoins suivies avec les membres moins centraux de la petite bande est un modèle d'élégance et de finesse. Une parfaite recréation de ces moments passés avec des amis d'amis dont on est à la fois assez proche et relativement distant en dehors des moments de convivialité.
Certes, il s'agit aussi d'un jeu qui a ses limites : malgré des options d'accessibilité bienvenues, on déplorera sa tendance à vouloir fourrer absolument du gameplay sous forme de séquences de QTE musicaux mal calibrées pour ne pas assumer pleinement sa nature de jeu strictement narratif. On regrettera aussi sa manière de nous renvoyer très brutalement dans les cordes si on a l'idée folle de vouloir s'éloigner un peu de ce que le jeu attend que Fang fasse. J'ai également quelques réserves sur le tout dernier chapitre du jeu, qui prend un risque assez spectaculaire en matière de mise en scène, tout en versant, à mon goût, dans une certaine facilité. Ce qui le rapproche un peu trop à mon sens des attentes posées dès les premières minutes de l'intrigue. J'ai versé ma petite larme, certes, mais j'étais à l'endroit exact où je pensais que l'on était en train de m'emmener. Ce n'est pas un gros problème, mais j'aurais apprécié un peu plus de surprise.
Goodbye Volcano High a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur PlayStation 4 et 5.
Une histoire d'amitié sur fond de lendemains qui déchantent : on aurait pu trouver avec Goodbye Volcano High un ensemble de platitudes façon parodie de teen movie présenté hors compétition au festival de Sundance. Il n'en est rien : la mise en scène magnifique de KO_OP et la bande-son exemplaire de Dabu & Brigitte Naggar m'ont emporté de bout en bout. L'écriture est beaucoup plus fine qu'elle n'en a l'air, et le fait que tout ceci se concentre sur quelques grands fils narratifs clairs plutôt que d'essayer de nous raconter la fin du crétacé dans le détail fonctionne à merveille. Il en ressort finalement un des drames intimistes les plus élégants de l'année, dont on oublie rapidement les imperfections pour se laisser porter vers le prochain concert de Worm Drama.
Les + | Les - |
- La finesse de l'écriture | - Quelques moments trop prévisibles |
- Musique et direction artistique impeccables | - On ne vous laisse pas tant de choix que ça... |
- Quelques jolies surprises dans les personnages secondaires | - Les séquences musicales sont assez mal calibrées |
- Une des mises en scène du quotidien d'un groupe d'amis des plus réussies |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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