Un visual novel où l’héroïne est entourée de cryptides, c’est ainsi que la petite équipe de sympathiques hipsters de Rocket Adrift ont attiré l’attention des fans de jeux d’aventure ces dernières semaines. Raptor Boyfriend : A High School Romance vous propose de vivre une folle année scolaire où vous aurez à choisir entre l’amour d’un Bigfoot renfrogné, d’une fée stressée par ses études et d’un raptor en skateboard au cœur sensible sous ses aspects de cancre idiot.
Il faut signaler que si Raptor Boyfriend était sorti au Japon, le contexte rural canadien en moins, son pitch ne serait pas particulièrement remarquable : une jeune protagoniste entourée de l’amour de monster girls et de monster boys, c’est un mardi normal à Tokyo. Mais le fait qu’on trouve à son origine une équipe de jeunes Occidentaux autant influencés par les ambiances éthérées de Life is Strange que par les visual novels les plus farfelus donne l’envie de s’y pencher de plus près, ne serait-ce que pour savoir si Raptor Boyfriend parvient, au moins un peu, à dépasser son simple pitch pour livrer une histoire intéressante à découvrir. Et le résultat est un peu au milieu du gué : si Raptor Boyfriend avait eu pour protagonistes des humains et non des créatures étranges, il aurait été quasiment identique. On aurait aimé que le jeu aille plus loin dans son propos et dans la folie de son idée de départ : il faudra se contenter de sa chouette romance lycéenne.
Les contes de la Cryptide
Ancré dans le quotidien morne d’une petite ville rurale dans l’Ontario des années 90, Raptor Boyfriend nous met dans la peau de la jeune Stella qui, à l’occasion d’un déménagement, va se retrouver à passer sa dernière année de lycée à proximité de la colonie de vacances où elle avait l’habitude de se rendre lors de ses étés d’enfance. Très mal à l’aise dans sa peau, pas très douée pour se faire des amis et absolument inexpérimentée dans les choses de l’amour et a fortiori du sexe, Stella va décider de tenter le tout pour le tout et d’avoir une vie sociale bien plus intense pendant ces quelques mois d’école. Mais elle va rapidement découvrir la particularité de son lycée : il abrite, dans l’indifférence générale, une vaste communauté de cryptides, dinosaures et autres créatures impossibles.
Stella va ainsi faire la rencontre de Robert, le dinosaure skater immature mais considéré comme le cool kid du coin, et de Day, la fée si investie dans ses études (et dans une relation compliquée avec la punkette fantôme du lycée) qu’elle en perd de vue l’essentiel. Cette rentrée sera aussi l’occasion de passer du temps avec Taylor, son ami d’enfance perdu de vue… qui en grandissant s’est avéré être un Bigfoot jouant comme il se doit du grunge dans un garage, comme le ferait n’importe quel adolescent edgy en 1997. Après quelques péripéties, ce groupe hétéroclite va intégrer Stella à sa petite vie, faite de virées au lac du coin, de bières descendues en douce à l’insu des parents, de soirées à l’arrache… Et de flirts plus ou moins avoués.
Ce qui frappe d’emblée avec Raptor Boyfriend : A High School Romance, c’est à quel point il est presque tout entier contenu dans son titre : l’essentiel des six à huit heures de jeu, présenté sous la forme d’un long flashback, vous conduira à déterminer avec qui vous allez finir entre les trois choix principaux, et à quel point tout le reste est mis de côté un peu facilement. C’est à la fois la force du jeu et sa faiblesse. Sa force parce qu’en termes de romance adolescente dans la ruralité canadienne des années 90 entre grunge, skate et forêts, c’est vraiment efficace et bien écrit, et il faut rendre hommage à la patte de la scénariste Lindsay Rollins qui a livré une histoire plutôt bien menée et une galerie de personnages tout en nuances (autant qu’on peut l’être à 17 ans en sifflant des bières au bord d’un lac, quoi). Sa faiblesse parce que c’est quand même un peu dommage de nous dresser un monde rempli de fantômes, de dinosaures et de créatures mythiques si c’est pour ne pas en faire quoi que ce soit à part une blague dans un titre de jeu vidéo.
Sundance avec les loups
Il serait dommage de résumer Raptor Boyfriend à sa simple bande-son, mais elle est assez symptomatique de la limite du jeu. Les aventures de la jeune Stella baignent ainsi dans une (chouette) pop instrumentale éthérée et un peu déprimante que l’on croirait tirée d’une bande au kilomètre destinée à illustrer des projets étudiants edgy dans une fac de cinéma où tout le monde a les yeux dans le vague et des vêtements de vieille personne. À vrai dire, on n’aurait pas pu trouver mieux : d’accord, il y a un raptor qui fait du skateboard, mais quand même, passez-moi l’expression, on se fait parfois un peu chier comme dans n’importe quel lycée de campagne. Ou, si l’on veut, comme dans n’importe quel film indé un peu mou décrivant les tourments de l’adolescence, projeté dans un festival prout-prout.
En choisissant une suite de séquences assez tranquilles et molles, Raptor Boyfriend nous propose de suivre avec douceur ce qui ressemble sans doute à la fin de lycée de n’importe quel étudiant canadien de cette époque, avec un TOUT PETIT PEU plus de surnaturel. Un tout petit peu, mais pas beaucoup plus : à l’exception de quelques séquences bien précises du jeu, le fait que le lycée soit peuplé de fées, de spectres et de dinosaures ne change strictement rien à l’affaire, et le jeu aurait été exactement le même (en moins joli et rigolo, bien sûr) si les personnages Robert, Day et Taylor avaient été de « simples » humains.
Il en ressort l’impression étrange que le côté fantasy du jeu n’a pas été tant pris au sérieux que ça par les équipes de Rocket Adrift, qui passent un micropoil à côté de leur sujet. Ce qui m’a causé une certaine dissonance ludo-narrative, c’est que la « différence » des trois personnages à qui on peut conter fleurette est une évidente métaphore des différentes identités (sexuelles, sociales, culturelles…) qui se cristallisent ou s’affirment à l’adolescence. Bien. Mais dans la diégèse de Raptor Boyfriend, on nous présente l’existence d’une communauté de cryptides comme, au minimum, surprenante. Que leur présence, leur existence ou même la manière dont le reste du monde les perçoit ne soient (presque) jamais mises en tension dans l’intrigue tend à mettre sous le tapis le côté queer pourtant très affirmé du jeu.
Je peux comprendre la volonté de présenter la « normalité » d’un monde où on peut choisir en toute décontraction un rendez-vous entre une fée lesbienne et un sasquatch bisexuel. Et je peux tout à fait concevoir que l’héroïne de l’histoire soit du genre à ne pas spécialement se questionner là-dessus (c’est même appréciable). Mais produire tout un jeu autour de ces questions sans aborder, ou si peu, le sujet, me semble dommage. Faute d’être confrontés à leur univers, les quatre ou cinq personnages principaux de Raptor Boyfriend sont un peu réduits aux métaphores très transparentes qu’ils incarnent. Message aux développeurs : n’hésitez pas à nous raconter la suite de cette histoire ou de cet univers d’une manière ou d’une autre, car en terminant l’histoire de Stella, on en aurait souhaité davantage !
Raptor Boyfriend : A High School Romance a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Amusant, plutôt original, bien écrit… Raptor Boyfriend : A High School Romance est un visual novel satisfaisant, mais qui n’atteint jamais tout à fait la promesse de la folie de son pitch. Là où on aurait aimé trouver une histoire plus folle et plus éloignée des sentiers battus, le jeu de Rocket Adrift reste étrangement sage, et livre une copie un chouïa scolaire sur le thème du passage à l’âge adulte. Une excellente historiette de lycée avec des designs farfelus et beaucoup de cœur, en somme, mais ne venez pas si vous cherchez un conte d’urban fantasy teinté d’originalité, car ce n’est hélas pas vraiment le propos.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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