Déjà quatre ans. Quatre ans que Final Fantasy VII Remake a mis fin à une arlésienne qui était alors presque devenue une blague. Oui, le jeu était là. Il existait. Et oui, il était bien. Un remake ambitieux, malin, beau, surprenant. Émouvant, même. Il arrivait à étirer cinq heures de gameplay (la partie "Midgard" du jeu de 1997) sur une épopée qui en durait 40. Et qui parvenait à produire un discours casse-gueule mais passionnant sur le concept même de réécriture. Et après un très chouette épisode en DLC qui se permettait d'expérimenter pas mal de choses en matière de gameplay et de mise en scène, voici donc le second épisode de la trilogie. Final Fantasy VII Rebirth est arrivé, et c'est une entreprise qui est, pour le meilleur comme pour le pire, absolument pharaonique.
Sortant cette critique une ou deux semaines après de nombreux autres sites, influenceurs ou youtubeurs, j'ai l'impression que tout a déjà été dit, spoilé ou analysé sur cette épopée. C'est évidemment faux : difficile de tout dire sur un truc aussi gargantuesque que Final Fantasy VII Rebirth. Mais tout de même, que dire qui ne l'ait pas déjà été ? Oui, ce jeu a sans doute coûté trop cher et il est sûrement trop long (prévoyez plus d'une centaine d'heures). Oui, certains passages ont été réécrits de manière absolument formidable tandis que certains ajouts sont super nuls. Oui, il y a des dizaines de mini-jeux, allant du calamiteux au sensationnel. Oui, c'est un "open-world-mais-en-fait-oui-mais-en-fait-non" fait de petites zones inégales. Et oui, il faut le dire, pour obtenir ce résultat, certaines équipes de Square Enix ont manifestement crunché au-delà de tout ce qui est imaginable. Il faut cependant, je crois, s'arrêter sur un point particulier, qui restera sans doute pour les années, voire les décennies de gaming à venir, comme une des prouesses les plus stupéfiantes de cette œuvre de réécriture. Si elle est imparfaite, parfois ridicule, cette tentative de meta-discours engagée dans Remake sur la notion même de palimpseste vidéoludique accouche d'une proposition que je n'hésite pas à qualifier de vertigineuse. Et cela ne se fait pas dans n'importe quel contexte : depuis quelques années, il semble que le RPG japonais soit à nouveau capable d'écrire et de faire exister des personnages : Like a Dragon, Triangle Strategy ou encore Persona 5 ne sont pas arrivés par hasard. Et ici, il est avant tout question de cela : des personnages, et de leur épopée. Quitte à ce que tout le reste apparaisse parfois à la limite d'une boursouflure frôlant l'indigeste.
C'est ta vie, c'est ton destin
En 2020, donc, je décrivais à la fois mon admiration pour l'entreprise de réécriture qu'était l'épisode Remake… et les immenses craintes que j'avais à propos du possible gros n'importe quoi vers lequel on pouvait alors se diriger. Il faut dire que Kitase, Nomura, Nojima et compagnie jonglent ici avec des histoires de timelines, de fausses mémoires, de tuer le Destin personnifié, de réalités parallèles : de quoi proposer une soupe potentiellement très douteuse aux nostalgiques. Et, au passage, de complètement paumer les nouvelles et nouveaux venu·e·s. Les articles sur le thème "mais qui est donc Zack ?" ayant fleuri en 2020 m'ont toujours laissé penser que ce projet de refonte de FF7 n'était pas très hospitalier envers les plus jeunes joueurs et joueuses qui n'ont pas forcément la référence.
À ma grande et agréable surprise, eh bien, c'est réussi. Finalement tout va bien. Tout au long de ses quatorze longs (parfois trop longs) chapitres, Final Fantasy VII Rebirth tient le cap. Dans l'épisode précédent, vous avez tué la destinée déjà écrite et créé de manière implicite une sorte d'univers parallèle en faisant fuir votre équipe de Midgar. On aurait pu craindre que le récit devienne confus, allusif ou incompréhensible, mais il n'en est rien : certes, les événements ne sont pas EXACTEMENT les mêmes que dans le jeu d'origine, mais les grandes étapes sont relativement similaires.
La ville-forteresse de Junon, le Cosmo Canyon, le Gold Saucer, tout le monde est là, toutes les scènes iconiques du jeu de 1997 aussi. Côté fan service, on a d'ailleurs rarement vu plus généreux. Bien sûr, le jeu s'autorise davantage de libertés : puisque plus personne n'est là pour "orienter l'intrigue dans la bonne direction", après tout, alors elle peut dériver (parfois beaucoup) de sa trame attendue.
Mais ces dérives ne débouchent pas sur le chaos que je redoutais. Le jeu nous l'explique immédiatement : oui, il y a désormais deux univers qui coexistent, celui du projet de Remake et un autre, qui n'est pas non plus exactement celui de FFVII version 1997. Mais cela ne devient jamais plus complexe ou confus que cela. Au contraire, à de très nombreuses reprises, le jeu se fait un malin plaisir de retirer certaines révélations initialement centrales de l'aventure. Dès les premières heures de l'épopée, les incohérences du récit de Cloud concernant Nibelheim apparaissent comme évidentes, explicitement pointées par Tifa. Dès son introduction ou presque, l'identité du personnage de Cait Sith est révélée. Et ainsi de suite. Autant de révélations qui appartenaient jadis à la toute fin du récit sont ici évacuées d'un revers de la main.
Car au fond, à présent, on souhaite que vous regardiez ailleurs qu'en direction de plot twists vieux de 25 ans. On veut vous faire redécouvrir, et apprécier, un univers entièrement remis au goût du jour, et des personnages profondément et radicalement réécrits par rapport à leurs modèles originaux. Il faut dire qu'ils ont à présent un espace immense pour s'exprimer, comme en ont rarement eu des personnages de JRPG. À l'exception sans doute des jeux Persona et leurs centaines d'heures de jeu étalées sur l'ensemble d'une année scolaire, ou des personnages de la série Trails dont on suit les péripéties sur des dizaines de jeux différents.
Le Corel des anciens et des modernes
Il y a, il faut le dire, un certain nombre de personnages et de péripéties absolument grotesques dans Final Fantasy VII Rebirth. Pour le meilleur et pour le pire. Parfois, l'aventure semble dérailler pour nous offrir des moments de délire rarement vus dans des jeux vidéo : comédie musicale, animaux déguisés, quêtes annexes improbables à base de jeu de cartes maudit, et j'en passe. Parfois, à l'inverse, tout cela se vautre dans un cringe intense, en offrant des tirades gothiques lunaires à des personnages bizarres insérés au chausse-pied dans l'intrigue. Une fois qu'on a dit ceci, on ne peut que constater que les moments les plus craignos, les plus ratés et les plus dispensables ne visent quasiment jamais les personnages principaux. Eux ont au contraire été chouchoutés.
Durant toute l'aventure, la dynamique d'équipe absolument charmante mise en place par le premier épisode parvient à se déployer bien davantage encore. Le drame personnel du passé de Barret n'a jamais tapé aussi juste. Le dilemme moral et amoureux d'Aerith atteint une profondeur étonnante. Même Yuffie et Vincent, des personnages pourtant anecdotiques du jeu d'origine (au point d'en être optionnels) gagnent ici une consistance étonnante.
Il faut faire fi de la nostalgie et des œillères que peuvent nous faire revêtir des souvenirs lointains : l'équipe que l'on dirigeait dans le FF7 originel n'était en réalité pas très dynamique. Sorti de Midgar, chaque lieu offrait la résolution ou le développement de l'arc narratif d'un personnage en particulier, la seconde partie du jeu ne tournant au fond qu'autour du deuil et de la quête d'identité de Cloud. Mais cela s'arrêtait là. Quel était alors le regard de Red XIII sur Barret ? Mystère. Qu'est-ce que Yuffie pensait de Cloud ? Quel avis Tifa avait-elle sur les mensonges de ce dernier ? Tout ceci était laissé dans les limbes de l'imagination des fans (et d'un tas de romans, de jeux et de films dérivés de qualité variable). Ici, le parti pris est fort : cette épopée mythique possède désormais un casting qui existe pleinement.
C'est particulièrement vrai pour les personnages féminins du jeu : Tifa, Yuffie et Aerith bénéficient ici d'une réécriture absolument sensationnelle qui prouve que, bon sang de bois, Kazushige Nojima est encore capable d'écrire des dialogues et des personnages absolument hors du commun. Et, il faut le dire, d'en rater d'autres : les directeurs de la maléfique entreprise Shinra (Scarlet, Palmer, Heidegger et compagnie) restent quant à eux la galerie de freaks douteux aperçue dans le premier jeu. Mais c'est un détail, tant l'intrigue les relègue au rang de simples personnages clownesques.
Depuis que le Monde est Mog
Mais cela ne fonctionnerait pas, ou du moins fonctionnerait nettement moins bien, si Square Enix n'était pas parvenu à faire exister un monde qui, dans le jeu d'origine, était en réalité assez étriqué. Hormis dans les dernières heures du jeu, FF7 n'était qu'un immense tunnel déguisé, presque sans aucun chemin de traverse. La force d'évocation des décors, des musiques et des scènes clés comblait les blancs. Dans l'épisode Remake, la structure en couloir était conservée via les ruelles étroites et les souterrains oppressants de Midgar. Il y avait un risque : ne pas parvenir à combler les espaces liant les différentes péripéties une fois l'équipe arrivée à l'air libre.
Et là encore, c'est dantesque : les régions à explorer sont à peu près l'inverse des grandes plaines mornes (mais sublimes) d'un Final Fantasy XVI ou les étendues poussiéreuses d'un Forspoken. Les paysages évoluent avec fluidité, les villes sont vastes et vivantes, et chaque nouvel environnement donne lieu à l'impression de voir un groupe d'amis explorer, randonner, se perdre, le tout au fil de dialogues et de détails touchants. L'ascension du Mont Corel, par exemple, donne lieu à une myriade de minuscules moments faisant à la fois exister le groupe d'aventuriers et le monde qui les entoure. Un personnage essoufflé qui doit grimper plus doucement en suivant les tags laissés par les premiers de cordée. Un randonneur de passage donnant des instructions. Une pause courte, mais nécessaire au beau milieu de l'escalade. C'est comme cela, par une foule de détails touchants et méticuleux, que l'on fait exister un univers.
Tout ceci, il faut quand même l'admettre, arrive avec un certain prix. Si le narrative design et l'aventure principale sont à bien des aspects un triomphe qui fera probablement de Final Fantasy VII Rebirth un des meilleurs JRPG de la décennie, le jeu se heurte aussi à une limite parfois rude : à quelques exceptions près (et par là je veux dire Elden Ring), les studios japonais sont toujours incapables de remplir correctement un monde ouvert. Du moins de le remplir autrement qu'en suivant un cahier des charges complètement éculé.
Final Fantasy VII Rebirth n'est pas "trop" rempli au sens Ubisoftien du terme : jamais on ne vous demandera d'aller chercher 50 plumes, 14 coffres ou 37 partitions pour faire monter des jauges débloquant des cosmétiques. Néanmoins, ce très vaste univers est tout de même rempli de centaines de tâches de micro-travail (monstre spécial à tuer, mini-donjon à nettoyer, chocobos à dresser...) se répétant sans cesse de zone en zone. Majoritairement très courtes, parfois drôles dans leurs variantes, ces activités ont tout de même le mauvais goût de se rendre un peu trop indispensables si vous souhaitez conserver votre équipe au niveau attendu par l'intrigue principale.
Car oui, si vous voulez de bonnes matérias, de bonnes invocations, des armes correctes et ne pas suer au moindre boss, il faudra en passer par de l'escalade de tours et du déterrage de légumes à dos de Chocobo. Vous ne passerez jamais plus de trois ou quatre heures pour "platiner" une zone, c'est plus court que dans la plupart des jeux du genre. Néanmoins, on reste, sur cet aspect, dans le bas du panier des experiences vidéoludiques rincées.
Un jeu trop gros pour être parfait
Ce défaut est d'autant plus étrange qu'il donne l'impression que le développement de Final Fantasy VII Rebirth assume son côté extrêmement cloisonné : la quête principale est quasiment irréprochable, tour à tour drôle, émouvante et épique. Mais le contenu annexe semble lui être le fruit de diverses strates de gameplay superposées par des équipes différentes, n'arrivant jamais vraiment à faire le tri entre l'indispensable, le ridicule et l'accessoire.
Chaque zone vous propose ainsi de très intéressantes quêtes annexes principales faisant évoluer votre affinité avec les membres de l'équipe, façon Mass Effect. De même, un fil rouge narratif vous mettant sur la piste de "protoreliques" s'avère étrangement varié et fun tout au long du jeu. Impossible, cependant, de boucler ces éléments très chouettes sans passer de manière quasi obligatoire par tout un tas de trucs beaucoup moins intéressants : accomplir des tâches répétitives dans un simulateur de combat, obtenir une médaille d'or à un des nombreux mini-jeux disponibles, ou analyser les points faibles d'un certain nombre de monstres.
Tout est comme si, après cinq ou six longues années de développement, Square Enix s'était retrouvé avec tout un tas de jeux différents à assembler dans un gigantesque Megazord bizarre et inquiétant : un jeu de chasse au monstre, une collection de mini-activités façon Mario Party, un JRPG épique, un jeu d'exploration, un dating sim, de la chasse au trésor, un safari photo et j'en passe. Le patchwork créé est miraculeusement fonctionnel, mais il est définitivement trop gros, trop ambitieux, trop plein de tout pour ne pas régulièrement lasser un peu.
Final Fantasy VII Remake était le jeu de l'économie et du droit au but, ne se perdant que très occasionnellement dans des donjons redondants. Final Fantasy VII Rebirth est son exact miroir : il est boursouflé, mégalithique, et veut vous faire rester aussi longtemps que possible dans le monde incroyable qu'il étale sous vos yeux avec moult luxe. Il ne serait pas absurde que le troisième et dernier jeu de ce projet unique dans l'Histoire du média s'assagisse en tentant de ne garder que le meilleur des deux mondes.
Final Fantasy VII Rebirth a été testé sur PlayStation 5 via une clé fournie par l'éditeur.
Avec son monde ouvert et sa quête longue d'une centaine d'heures, ses dizaines d'activités annexes et le tout en déployant sans cesse de nouveaux environnements, Final Fantasy VII Rebirth est loin des économies de bouts de chandelle d'assets d'un Like a Dragon: Infinite Wealth. Ici, pas de recyclage : c'est une fête foraine constante pleine de nouveaux trucs à faire, de nouveaux paysages à visiter, de nouveaux dialogues, de nouveaux boss et de nouveaux personnages. C'est un jeu du "trop", qui ne veut jamais cesser de vous en mettre plein la vue. Aussi formidable soit-il (ce sera sans doute un de mes jeux de l'année, sinon mon GOTY), je sors de Final Fantasy VII Rebirth avec l'impression qu'il s'agit également d'un projet complètement anachronique. Un rétroviseur sur un passé dans lequel le JRPG était techniquement, thématiquement et esthétiquement à la pointe de l'avant-garde vidéoludique. Si le genre ne s'est pas aussi bien porté depuis des années, néanmoins, il n'est que très rarement porteur de projets aussi pantagruéliques. Qui peut encore, en 2024, arriver avec un épisode intermédiaire d'une trilogie qui sera développée sur près d'une quinzaine d'années ? En théorie, plus personne, et, on le sent ici, même Square Enix est à la limite de la rupture. Je ne vais pas bouder mon plaisir : ce jeu est un délice et je vous le recommande plus que chaudement. Mais c'est un délice d'un autre temps, d'une autre économie, d'un autre Square Enix. Un miracle qui n'est possible que pour cette unique raison : Final Fantasy VII est peut-être la seule licence japonaise qui vaille la peine qu'on développe deux fois sa légende avec une telle débauche de moyens. Pour un jeu qui se déroule sur deux timelines parallèles dont l'une semble irrémédiablement nostalgique de l'autre, ça ne manque pas de sel.
Les + | Les - |
- Concrétise les ambitions narratives du premier jeu | - Vous force trop à effectuer du contenu annexe moyennement intéressant... |
- La dynamique d'équipe est formidable | - ... Ce qui crée de vrais ventres mous dans l'intrigue |
- Le monde ouvert est beau, fluide et vivant | - Quand c'est cringe, c'est pas cringe à moitié |
- Le système de combat toujours impeccable | - Quelques ajouts au scénario d'origine assez idiots |
- Beaucoup de mini-jeux très chouettes | |
- Beaucoup de séquences sont sincèrement très drôles | |
- Bande-son encore plus folle que dans Remake |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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