Le jeune studio Altered Matter nous propose une expérience déstabilisante pour les sens avec son premier jeu, Etherborn, mélange de plates-formes et puzzles à la dimension narrative prégnante.
Biberonnés à des sources qu’on suppose communes, au hasard dans les vergers de Ueda et Jenova Chen, les développeurs espagnols d’Altered Matter revisitent la naissance du monde, ou plutôt celle d’un regard sur le monde, dans Etherborn. Jeu de plates-formes à tendance réflexion où l’environnement est le puzzle, c’est tête en bas qu’on y retravaille nos repères en quête d’une vérité encore incertaine. Mystère et boule d’éther, ces sentiers qu’on pensait désormais rebattus cachaient dans leurs méandres une jolie surprise. Notre quête de poésie dans les jeux vidéo ne prenant jamais fin – nous ne sommes pas de gros loukoums arty pour rien, après tout –, on s’est laissé mener avec plaisir.
Architecture peu-clidienne
Prosaïquement, on pourrait présenter le fil narratif conduisant l’enchaînement des puzzles comme suit : un tas de carrés qui tourne en rond raconte une histoire du monde et lance un appel à une forme humaine incomplète, tout juste apparue, incitant cette dernière à le trouver. On y reviendra un peu plus loin mais la dimension narrative, si elle s’étoffe avec parcimonie, tient tout de même un rôle sensible dans cette odyssée aux multiples dessus-dessous.
Tout aussi simple est le principe de base qui sous-tend le gameplay d’Etherborn, à savoir partir d’un point A et tenter d’arriver à un point B en apprivoisant l’environnement qui se découvre à nous. On marche, saute, court et prend de l’élan pour sauter de l’autre côté d’un précipice sans fond, sans manquer de ramasser les glyphes indispensables à l’activation des interrupteurs qui libèreront la suite du niveau. L’exploration des biomes se fait ainsi généralement en deux temps plus ou moins intriqués : trouver son chemin et celui menant aux glyphes. L’originalité du jeu vient du fait que le sens de la gravité est fixé sur le personnage et qu’on se retrouve vite à marcher sur un mur ou la tête à l’envers – par rapport au sol de départ, il vaut mieux préciser. Des rampes servent à changer un mur en plancher, et c’est à notre sens variablement aigu de l’observation de prendre le pas. Différents obstacles (trous, murs dressés impromptus, eau empoisonnée) vont devenir les objets immanquables de notre réussite, dévoilant une voie, un raccourci par le saut (pas trop haut sous peine de s’étaler lamentablement au sol) ou un indice d’orientation. Et la perte de repères de se muer sans mot dire en révélatrice du chemin à emprunter.
Sous influence, pourquoi pas de Monument Valley, la direction artistique d’Etherborn arrive à trouver un équilibre entre le caractère primaire de ses couleurs, des formes géométriques qui tapissent ses jardins, des aplats clairs que forment les décors et la complexité de son level design, à l’improbable logique. Par moments, assez isolés et c’est sûrement pour le mieux, certains passages sont traversés par des visions fugaces mais marquantes, travaillées via le cadrage et permettant à l’esprit de s’aérer par le vide. On pourra se dire que le brouillard englobant les niveaux facilite les choses, mais ce serait renier notre inclination pour les interprétations fumeuses – ha.
Sens dessus dessous
Le placement de la caméra joue en effet un rôle fondamental dans l’expérience que cherche à nous faire vivre Etherborn. A l’instar d’Ico, elle se déplace automatiquement en travelling en fonction de l’avancée du niveau, laissant tout de même au soin du joueur la possibilité du panoramique pour évaluer un peu les alentours. C’est lorsque la gravité change que l’on observe l’importance des choix de mise en scène faits par les développeurs. Parfois, la caméra va suivre le mouvement, facilitant l’appréciation du passage du sol à un mur mais brouillant, au passage, les repères : le décor a basculé. Mais à d’autres moments, cette même caméra va rester fixe sur son axe, gardant le sens « haut en haut, bas en bas » et oblige à réinterpréter notre position dans l’environnement. C’est là que se trouve le sel du jeu et de ses puzzles à l’échelle large, dans ce temps nécessaire au cerveau pour se recalibrer. Qu’accompagne par ailleurs ce chouette sentiment de jouer avec les limites qui nous sont imposées, de transgresser, détourner ce qui est mis à notre disposition – tout en y restant totalement inscrit, les solutions étant a priori uniques. C’est là aussi qu’on trouvera peut-être un facteur de difficulté différent selon les joueurs et joueuses et leurs capacités à s’orienter dans l’espace. C’est enfin dans ce flottement, cette incertitude qui nous fait penser « Je continue à avancer mais j’ai aucune idée d’où je vais », que passe le charme du jeu.
A la sortie d’un niveau à flanc d’arbre-hub géant, on emprunte le chemin qui vient de s’ouvrir tandis qu’un entrelacement lointain de branches mortes, giclées d’éclairs et de possibles figées, grillage l’horizon. Le temps, qu’on le veuille ou non, ralentit. C’est ce genre de visions qui fait naitre de telles cucuteries. Et cela au son d’une ost assez réussie qui rappelle les compositions au piano de C418 pour Minecraft, piano auquel on aurait ajouté un duo clarinette/basson pour insuffler un double fond terre à terre, pas mélancolique mais une conscience des maux derrière l’abstraction. Le côté cheap des bruitages est ainsi quelque peu effacé.
Si leur premier jeu est soutenu par plusieurs sources dont FoxNext Games, le studio de jeu de la géante américaine 20th Century Fox, Altered Matter est un jeune studio hispanique composé de 4 personnes et basé à Barcelone. Connaissant cette provenance, on a été ravi de découvrir qu’Etherborn proposait des voix off catalanes et espagnoles, peu communes par chez nous et qu’on ne saurait trop vous conseiller de choisir.
Peut-on en dire autant de la narration qu’essaie de porter le jeu ? Les puzzles ne reposent bien souvent que sur un scénario prétexte, lorsqu’ils en ont un, mais ce n’est pas la proposition que fait ici Altered Matter. Une voix-off prend dès le départ les rennes de cet univers pastel, à renfort de tirades au sens brumeux et, à première vue, inconsistant car elles cochent les cases de l’universel émotionnel vite aperçu vite tiré. Au fil du jeu, pourtant, et alors que la voix pérore en guise de récompense de fin de niveau, ce n’est pas tant le discours emphatique qui ressort que la simplicité de ce qui est raconté. Plutôt qu’une histoire du monde, est esquissée celle de l’homme (pas de H pour le coup, ça a son importance), façon conte mythologique, et de son rapport aux choses, la rationalité qu’il a plaqué sur ce qui l’entourait à sa naissance pour « cadrer » les sens multiples qui s’en dégageaient. Aurait-ce dû être plus approfondi ? Est-ce trop imagé ? Peut-être, d’autant qu’il manque un ou deux niveaux pour coller à l’ampleur de ce qui entendait être raconté. Mais dans l’absolu, le jeu n’est pas trop court, d’autant qu’un NG+ au challenge plus corsé est proposé. Une occasion de relire, éclairé.e par la révélation finale, cette tentative de réappropriation du corps qui résonnait comme quête.
Etherborn a été testé sur PS4 via une clé fournie par l’éditeur.
Les crédits défilant, nous tenait ce sentiment ressenti devant des jeux comme Ico ou Journey, cadors du transcendantal qui ne cessent d’enfanter des marmots ambitieux et dont Etherborn reprend beaucoup de l’imagerie. Un tantinet juste niveau contenu pour ce qu’il visait narrativement et de fait moins abouti que ses aînés, le jeu d’Altered Matter arrive néanmoins à chiper ce qu’il faut de sensible dans l’air pour nous laisser, au moins un instant, coi et un peu plus loin que soi. Un bel essai, d’autant que c’était le premier du studio.
Seastrom
C'est la Loire qui coule dans les veines de Seastrom, mélangée aux subtilités de la vaporwave. Possibilité de l'amadouer en lui parlant indés et D&D (Dreyer et Digimon).
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