À la rédac, un sujet qui revient de manière un peu régulière, encore plus depuis que Koroviev nous a gratifiés d’un excellent dossier sur la question, est : "Est-ce qu’on se mettrait pas à Monster Hunter un de ces jours ?" C’est sur cette interrogation que Yellow Brick Games est venu nous faire sa propre version du même. On a déjà Monster Hunter à la maison ! Et c’est Eternal Strands.
Pour être tout à fait honnête, c’est un Monster Hunter triple-I, sans l’ampleur ni la force de frappe d’un Capcom, et largement gratiné d’une couche de Shadow of the Colossus et d’Immortals Fenyx Rising, par une équipe majoritairement composée de vétérans de l’industrie, venant pêle-mêle de chez Ubisoft, Eidos ou encore Warner Bros Games. Et si le résultat est relativement solide pour un premier titre autoproduit d’un studio indé, on voit malgré tout le jeu se déliter au fil des actes sous le poids de ses ambitions.
Tisseuse de bonne aventure
Mais avant de partir tout schuss dans la négativité, je dois bien admettre avoir plusieurs grandes qualités à reconnaître à Eternal Strands. Comme dit plus haut, les membres de l’équipe de Yellow Brick Games n’en sont pas à leur coup d’essai, et ça se sent. Le titre évite donc un écueil très courant des projets indés et des petites équipes, celui du scope trop grand pour son bien. Ainsi, Eternal Strands pose ses bases très vite, et s’y tient jusqu’au bout, sans dévier de sa promesse, sans ajouter de briques de gameplay hasardeuses, sans s’aventurer dans d’autres genres de manière incontrôlée, tout en conservant un terrain de jeu à taille très raisonnable.
Cela se voit tout particulièrement sur le nombre et sur l’architecture des biomes. Pas de grand open world ici, mais une toute petite dizaine de zones à explorer. Au début de chaque expédition, il s’agira de choisir dans quel biome on décide d’aller et quels objectifs y mener, ainsi que sélectionner l’équipement adéquat pour s’adapter à la météo et aux ennemis du lieu. Et ça marche très bien sur les premières heures, car si les environnements ne sont pas bien immenses, ils sont en revanche très bien conçus en termes de level design, on finit par complètement s’approprier les lieux, découvrir des passages secrets et recoins qui nous avaient échappé ou qui restaient bloqués par l’absence d’un pouvoir, et on a beau y retourner de nombreuses fois (de trop nombreuses fois, mais j’y reviendrai), on peut toujours tomber sur un document ou un interrupteur à notre quinzième passage. Et cela peut sembler assez bateau comme constat, mais je préfère infiniment explorer des lieux entièrement faits à la main plutôt que des trucs générés de manière procédurale. Et vu la taille de l’équipe derrière Eternal Strands, un tel souci du détail dans le level design ne pouvait être possible qu’avec la poignée de zones disponibles, et je suis ravi que Yellow Brick Games ait préféré la qualité à la quantité.
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Et donc, durant les premiers actes, Eternal Strands fait agréablement l’affaire. Sans m’avoir jamais transcendé, je dois avouer que planifier mes petites expéditions dans l’Enclave, découvrir les différents biomes, ennemis et boss, jouer avec les différents pouvoirs qui peuvent parfois donner des résultats assez amusants, ça a fait office de sympathique jeu à podcast, le tout porté par la très chouette BO signée Austin Wintory. On finit par voir une certaine artificialité et redondance dans les objectifs à accomplir (tuer tant d’ennemis, collecter tant de ressources pour construire un truc en particulier, trouver tel document dans telle zone), mais les récompenses sont toujours très concrètes et permettent d’avoir un regard assez précis sur sa courbe de progression, en plus de faire progresser des arcs annexes assez intéressants ou touchants.
Colosse copie
À ce stade, on peut toujours penser que j’ai aimé jouer à Eternal Strands, malheureusement, même durant ces premières heures qui ne fonctionnaient pas trop mal en termes de structure et d’exploration, je sentais déjà que quelque chose clochait. En premier lieu, car je ne trouve le gameplay jamais très satisfaisant. Eternal Strands fait tout ce qu’il peut pour varier l’expérience, armes légères, armes lourdes, pouvoirs magiques, armures de tous types et effets particuliers à attribuer à l’équipement, un peu de plateforme, mais rien n’y fait : je m’ennuie à manœuvrer tout ça. Si le scope du titre est tout à fait maîtrisé, j’ai beaucoup de mal à en dire autant du game feel, que j’ai trouvé désespérément mou. Les coups ont peu d’impact, les attaques n’ont pas un feedback très satisfaisant, et si c’est déjà problématique sur des ennemis de base, c’est encore plus frustrant quand on ne ressent pas grand-chose en affrontant des créatures de plusieurs dizaines de mètres de hauteur. Quand je décroche un bout d’armure de quelques tonnes d’un géant enflammé, j’aimerais que le rendu soit à la hauteur de l’action.
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D’autant que ces créatures bénéficient d’une mise en scène vraiment impressionnante, leur première apparition est toujours iconisée de manière magistrale, et même quand on les connaît, sentir le sol trembler sous leur pas ou voir leur ombre gigantesque planer au-dessus de nous fait toujours son petit effet. Mais las, une fois en combat, le charme n’opère plus tellement, déjà à cause de ce game feel mollasson, mais aussi, car ces affrontements sont loin d’être aussi intéressants qu’ils auraient pu l’être. C’est probablement mon principal souci avec Eternal Strands : je trouve les combats contre les boss, qui auraient dû être au centre de l’expérience, assez médiocres.
Chaque ennemi majeur peut être vaincu de deux manières. La première consiste à lui grimper dessus et taper sur tous ses membres jusqu’à ce que mort s’ensuive (c’est souvent comme ça que ça se passe la première fois). La seconde demande de s’attaquer à un ou des points bien précis d’une manière bien définie (casser des pièces d’armure, mettre le feu à une crinière, blesser une aile…) pour faire apparaître un point sensible, duquel il sera possible d’extraire un filament, utile à l’amélioration de nos pouvoirs. Le problème, c’est que dans les deux cas, c’est un moment plutôt pénible à passer, car ces adversaires ne se défendent globalement que d’une manière : en nous faisant tomber (ou en nous attrapant pour nous balancer au loin, mais le résultat est le même) puis en nous spammant de leur pouvoir une fois de retour au sol (feu/glace/télékinésie). Comme dans Shadow of the Colossus cela dit, mais j’ai trouvé ici l’équilibrage vraiment aux fraises, la physique très approximative, voire buguée, et on passe de trop longues minutes à laborieusement escalader les bestioles, vaguement les taper, tomber, rincer et répéter. Et ça fait douloureusement chuter le caractère épique de l’affrontement, en même temps que notre personnage. À mesure que nos pouvoirs s'améliorent, il deviendra possible de s'acquitter de la tâche de manière un peu plus agréable, notamment grâce à la télékinésie, mais ça reste généralement assez rébarbatif et la mort de ces géants est malheureusement anticlimactique. D’autant que, si l’on veut s’acquitter des quêtes de monstres et augmenter nos pouvoirs au max, il va falloir buter ces créatures au moins trois fois chacune (plus si on échoue à dévoiler le point faible et récupérer le filament). Ce qui nous amène à mon dernier grief envers Eternal Strands.
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Un brin éternel
Ce besoin de refaire ces mêmes combats ad nauseam pour espérer progresser à la fois dans les quêtes et en puissance, il se retrouve dans toutes les strates du jeu. Il va falloir farmer encore et encore les mêmes ressources (parfois sur des boss, évidemment), pour améliorer notre équipement, pour les donner à des PNJ, pour construire des objets de la quête principale et quand ce ne sont pas les ressources, c’est retourner des dizaines de fois dans les mêmes biomes pour aller trouver un document qui ne s'y trouve qu’une fois l’objectif apparu dans le journal de quête (c’est-à-dire qu’on n’aurait pas pu le ramasser lors d’une précédente exploration). Et pour être honnête, ça devient excessivement redondant une fois passées les quinze heures de jeu.
Pour être totalement juste, mon ressenti est rendu bien plus sévère par les conditions de test. En m’enquillant des sessions de trois/quatre heures par jour (parfois plus) pendant une semaine et demie, cette redondance qui m’aurait gentiment gonflé avec un rythme de jeu normal m’a parfaitement exaspéré une fois rendu aux actes 4 et 5, alors que j’en avais déjà bien marre dès l’acte 3. Cette considération mise à part, c’est tout de même, je pense, un sérieux problème de rythme et de structure. Même avec ce scope resserré, avec cette faible quantité d’ennemis, de biomes et de boss, je suis convaincu qu’il y avait moyen de nous donner des objectifs un peu plus intéressants et qui ne semblent pas sortis du pire du remplissage d’un MMO. J’avoue m’être senti assez désespéré quand j’ai vu mon journal de quêtes se remplir à fond d’objectifs tous similaires en début d’acte 4. Un regret d’autant plus frustrant que si les pouvoirs de télékinésie, de feu et de glace sont correctement exploités dans le combat et la plateforme (malgré leur game feel assez insatisfaisant), ils sont quasiment absents dans les différentes quêtes à mener, ce qui aurait pu probablement ajouter un peu de variété et de créativité dans ce qu’on nous demande de faire.
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Eternal Strands a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Il est également disponible sur Xbox Series et PlayStation 5.
Que l’on s’entende bien : Eternal Strands n’est pas une horrible purge. Son concept de base et son level design sont solides, il bénéficie de bonnes fulgurances dans sa mise en scène, et sa boucle de gameplay basée sur les expéditions est efficace. Je pense en revanche que son game feel mou et surtout sa redondance extrême le réservent à un public particulier auquel je n’appartiens pas. Ce n’est pas ce qui m’amuse dans le jeu vidéo, ça ne correspond pas à mon rythme de jeu et j’aurais eu besoin qu’on me donne un peu plus à faire que de récolter inlassablement les mêmes ressources dans les mêmes biomes pour retourner grimper toujours sur les mêmes monstres. Dans leur majorité, les reproches que j’adresse au titre sont moins des défauts qu’une absence d’appétence pour ce que propose Eternal Strands. Ce n’est pas bien grave : le premier jeu de Yellow Brick Games semble avoir trouvé son public, et mon backlog est bien assez chargé pour que j’aille jouer à autre chose sans regrets !
Les + | Les - |
- Le level design des biomes est bien conçu | - Le game feel est si mou |
- Quelques beaux moments de mise en scène | - Les combats de boss, finalement assez décevants |
- Les arcs secondaires sont chouettes à suivre | - Les objectifs sont très redondants |
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Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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