Vous rentrez chez vous après une énième journée de travail. Dans votre boite à MP vous attend la clé d’activation pour Dark Nights with Poe and Munro, délivrée et approuvée par les délicieux Chibi et Fanny. Hormis une courte escapade dans le genre de la FMV avec le fantastique Her Story, vous êtes resté éloigné de ces jeux-films aux allures de nanars, préjugés que les critiques des récents The Complex et Root Letter Last Answer avaient plutôt eu tendance à confirmer. Mais comme l’avait souligné l’ami Zali quelques semaines plus tôt, nous sommes dans ce qui semble être le second âge d’or de la FMV, dont l’ère semblait révolue depuis la fin des années 90. D’Avekki Studios, initialement organisateurs de murder parties, n’en sont pourtant pas à leur coup d’essai, puisque Dark Nights with Poe and Munro se trouve être leur troisième titre, après les acclamés The Infectious Madness of Doctor Dekker et The Shapeshifting Detective, dont il est le spin-off.
Alors que le titre s’installe, vous en profitez pour vous renseigner sur le studio, et plus précisément sur le casting. Si le nom et palmarès de Leah Cunard – dans le rôle d’Ellis Munro, mais pas que – vous sont inconnus, la ludographie de Klemens Koehring – alias John Poe Pope – cite des noms plus familiers, l’acteur s’étant déjà fait remarquer dans les doublages de Control, Total War ou Sniper Elite. Quoi qu’il en soit, les deux acteurs sont familiers de la FMV, leurs personnages étant déjà présents dans The Shapeshifting Detective, ainsi que dans un court-métrage de 2018 mettant déjà en scène le duo. Mais trêve d’exposition, le téléchargement est fini et vous lancez Dark Nights sans plus attendre, loin de vous douter un seul instant que la nuit serait plus longue que prévu. Vous ne le savez pas encore, mais vous êtes sur le point de terminer le jeu d’une traite.
Chapitre 1 : Une auguste entrée en matière
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Alors que le générique plutôt coloré – d’aucuns diront kitsch – du premier épisode s’achève, vous êtes immédiatement plongé dans l’ambiance de Dark Nights. Les premières secondes vous demandent déjà de faire un choix, les deux acteurs cabotinent dans leur rôle d’hôtes d’émission de radio locale pour la ville fictive d’August et la photo et le montage donnent très vite un rendu d’épisode de Doctor Who circa 2005 : cheap, britannique et constamment à cheval entre le sérieux de ses intrigues, l’absurde et l’autodérision. Lancez un D6 d’appréciation de productions anglaises fauchées, si vous faites entre 1 et 3, rendez-vous au paragraphe 2, entre 4 et 6, rendez-vous au paragraphe 3. Si vous faites un 7, allez au paragraphe 4.
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Le jeu des acteurs, que vous qualifierez de plutôt approximatif – tantôt dans le surjeu, tantôt à côté de la plaque, parfois assez juste – vous sort très rapidement de l’histoire. Quelle histoire d’ailleurs ? Poe et Munro n’ont semblerait-il aucune constance dans leurs relations, ils sont amants, extrêmement complices à l’antenne, mais parfois assez méchants l’un envers l’autre, que ce soit durant l’émission ou en off et selon vos choix. Poe n’hésitera pas à mentir ou mettre Munro en danger, quand celle-ci laissera son acolyte pour mort sans même vérifier son état, mais, d’un simple choix au cours de l’épisode et sans cohérence aucune avec les précédents événements, les personnages pourront tout risquer ou abandonner par amour pour l’autre. Cette relation pour le moins ambigüe, loin d’être au centre de l’intrigue, semble plutôt servir de fil rouge entre les épisodes, tous à la frontière du paranormal sans que le jeu n’explicite jamais la nature des événements. Alors que les épisodes s’enchaînent, vous êtes de plus en plus perplexe quant aux intentions de D’Avekki Studios et au ton voulu pour Dark Nights. Rendez-vous au paragraphe 5.
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Le cabotinage des deux protagonistes vous amuse assez rapidement et semble même participer à cette atmosphère assez surréaliste, passant très rapidement du drôle au dramatique, du légèrement inquiétant au glauque, de l’absurde au fantastique. D’autant plus en constatant que l’interprétation, – un peu – plus subtile qu’elle en a l’air, diffère entre les séquences à l’antenne et en off, montrant finalement Leah Cunard et Klemens Koehring jouant Ellis et John, eux-mêmes jouant Munro et Poe. Une tâche pas si évidente. En tant qu’amateur de productions télévisuelles un peu cheapos comme peuvent l’être des séries comme Spaced ou Black Books et du podcast Welcome to Nightvale – proposant le même concept de radio locale dans une ville fictive en proie au paranormal – vous êtes à la fois séduit par et familier de ce genre d’ambiances. Rendez-vous au paragraphe 5.
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Alors que vous suivez avec intérêt le premier épisode, quelqu’un frappe chez vous. Vous ouvrez, un homme portant une pile de pizzas apparaît dans l’encadrure de la porte, et vous demande s’il peut recharger son téléphone. Il explique qu’il devait apporter le repas chez ses amis habitant l’immeuble voisin, que ceux-ci ne répondent pas quand il sonne à l’interphone et que la batterie de son portable est déchargée. Vous acceptez, et celui-ci téléphone effectivement à vos voisins. Une fois l’appel passé, vous l’entendez raccrocher, mais lorsque vous tournez la tête, celui-ci a disparu, sans le moindre remerciement ou au revoir. Plus étrange encore, vous n’avez entendu aucun claquement de porte, et celle-ci est de nouveau fermée à clé, de l’intérieur. Sur votre table se trouvent une part de pizza et un briquet. Rendez-vous au paragraphe 5.
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Alors que le second épisode se termine – et vous fait hésiter entre le refaire pour tester les différentes fins qu’il semble promettre et continuer sur votre lancée – la faim commence à vous tirailler. L’occasion rêvée de laisser décanter ce que vous venez de voir et de profiter du tout récent déconfinement pour aller vous acheter un kébab. Votre festin achevé, vous vous replongez immédiatement dans Dark Nights with Poe & Munro et lancez la suite sans plus attendre.
Chapitre 2 : Choisissez vite, choisissez bien
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L’interactivité avait semblé plutôt sage sur le début, avec deux épisodes aux choix plutôt rares et aux implications parfois floues. Délaissant les choix de dialogues plus classiques de The Shapeshifting Detective, Dark Nights propose de cliquer – ou de laisser s’écouler le chronomètre – sur différents éléments à l’écran afin de faire progresser l’histoire. Malheureusement, si certains semblent évidents, d’autres vous ont bien plus troublé, le marqueur ne vous indiquant pas tellement quel choix vous vous apprêtiez à faire, ni quelle importance celui-ci aurait dans la suite de l’épisode. Sans montrer de choix beaucoup plus explicites, la suite se montre au moins plus variée dans l’implication qu’elle vous propose. Lancez un D20 de bonne humeur, entre 1 et 12 allez au paragraphe 7, pour 13 ou plus, allez au paragraphe 8. Si le dé éclate en touchant la table, rendez-vous au paragraphe 9.
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Alors que les choix s’enchainaient de manière plutôt linéaire, vous voilà face à un épisode vous mettant aux commandes d’une enquête, vous laissant librement choisir à quel endroit de la ville vous souhaitez vous déplacer, quelle personne interroger et avec qui – Poe et Munro pouvant chacun endosser le rôle du bon (TOUSSE ça n’existe pas TOUSSE) ou mauvais flic, avec des réussites variables. Cette liberté soudaine augmente ainsi grandement le nombre d’embranchements, puisqu’en plus des différents choix de dialogues, s’ajoutent l’ordre des personnes visitées et le choix du détective. Malgré toute votre bonne volonté et envie de justice, vous n’arrivez malheureusement pas à sauver la victime, ni à arrêter le coupable – et quand bien même vous avez trouvé son identité. L’épisode suivant vous met dans des circonstances encore bien différentes et modifie ponctuellement le système de choix, pour un résultat toujours peu clair. Cette brève parenthèse passée, Dark Nights reprend sa vitesse de croisière initiale pour les deux épisodes restants. Pour le mieux ? Peu importe, clairement si vous restez intéressé, c’est pour l’histoire et les personnages, l’aspect jeu vidéo de Poe and Munro vous a lassé depuis déjà bien longtemps. Rendez-vous au paragraphe 10.
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Malgré leur linéarité et faible quantité lors des deux premiers épisodes, certaines idées vous ont assez plu, notamment ces passages fissurant le quatrième mur, suggérant que c’était vous, joueur, qui provoquait une réaction des personnages, les faisant tressaillir d’une brise venue de nulle part ou d’une présence suspecte au fond de leur lit. Un parti pris légèrement méta, qui, s’il semble abandonné dès l’épisode 3, se manifeste seulement d’une autre manière, comme quand lors d’une séquence de retour dans une vie antérieure, vous vous retrouvez face au décor de The Infectious Madness of Doctor Dekker – premier titre des développeurs. D’Avekki Studios continue ainsi jusqu’au bout à jouer – par toutes petites touches – avec vos attentes et acquis quant à l’interactivité de Poe and Munro. Un aspect mineur pour un titre presque exclusivement basé sur son scénario et ses personnages, mais qui vous surprend agréablement, tout en contribuant à la mise en place de cette atmosphère étrange et parfois un peu dérangeante. Rendez-vous au paragraphe 10.
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Le dé produit un nuage de fumée en explosant. Quand la visibilité revient à la normale, vous n’êtes plus chez vous, mais au milieu d’un champ, en pleine nuit. Face à vous, une silhouette munie d’un pied de biche s’avance doucement. Son visage est caché sous un masque de renard et, malgré vos supplications, celui-ci lève son arme et frappe de toutes ses forces. Alors que vous devriez sentir l’impact se produire, vous rouvrez les yeux, face à votre ordinateur. Était-ce un mauvais rêve, une hallucination provoquée par le kébab ? Vous vous déplacez jusqu’au lavabo pour vous humidifier le visage. Derrière vous, vous remarquez les traces de boue laissées par vos chaussures, désespéramment conscient que ce twist est bien trop convenu et que son auteur devrait être puni pour une telle facilité d’écriture. Il en est d’ailleurs le premier désolé. Rendez-vous au paragraphe 10.
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Le dernier épisode s’achevant – et avec lui l’intrigue la plus Doctor Who-esque du jeu, avec son histoire de démon à apparence de petite fille vivant dans une peinture -, vous êtes plutôt enthousiaste quant à l’aventure que vous venez de suivre, malgré la fatigue induite par l’heure déjà avancée, quelques mécaniques peu claires, un ton perturbant et la question légitime de la rejouabilité et de la variété des embranchements. Il est ainsi temps de relancer le jeu depuis l’épisode 1 : les statistiques de fin de niveau, ainsi que la liste des succès vous laissant entrevoir de nombreuses possibilités de déroulements d’épisodes et de fins possibles.
Chapitre 3 : The Dark Night Returns
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Bien décidé à expérimenter les différents embranchements et choix possibles de Dark Nights with Poe and Munro et d’en voir un maximum de contenu, vous repartez du début. Le premier constat n’a pourtant rien à voir avec les choix, mais vous vous sentez bien plus à l’aise avec l’ambiance générale, le jeu des deux acteurs et le ton global du jeu. Vous vous sentez comme à la maison, après avoir passé 6 épisodes en compagnie de Poe et Munro, vous avez l’impression de mieux les connaître et d’être plus familier avec leur relation et leur psychologie. Vous avez la sensation de revoir une série et d’enfin saisir certaines nuances et détails passés inaperçus lors du premier visionnage, mais surtout, vous êtes content de pouvoir passer un peu plus de temps avec ces personnages. Testez votre chance à pile ou face. Pile, allez au paragraphe 12, face au paragraphe 13. Si la pièce ne revient jamais, rendez-vous au paragraphe 14.
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Vous êtes un peu bête, il faut le dire, ce n’est pas grave, on vous aime quand même et vous avez d’autres qualités. Mais actuellement vous ne brillez pas par votre intelligence. Il se pourrait qu’en réessayant, vous ayez refait les mêmes choix qu’à la première partie, car vous ne vous souveniez plus des embranchements pris la dernière fois, car vous avez cliqué trop vite, ou oublié de cliquer tout court. Ce n’est pas grave, cela arrive, mais que de temps perdu. Pire, en relançant l’épisode 3 et son enquête, bien déterminé à arrêter le coupable et sauver le pauvre Joe – et pourtant bien au courant de l’identité du meurtrier -, vous avez de nouveau failli, quand bien même cette fois vous aviez pris des chemins différents. Encore un échec. D’un autre côté, vous commencez à remarquer un aspect pas très agréable : celui de revoir vraiment trop de scènes d’une partie à l’autre, malgré des choix différents. Si certains mènent réellement à un déroulement complètement nouveau de l’épisode, d’autres sont de faux choix menant au même point, quand la plupart ne modifieront qu’une ou deux lignes de dialogue, pour continuer sur la même lancée. Et bien que vous vous y attendiez, malgré des fins parfois très opposées d’une partie à l’autre, celles-ci n’ont jamais la moindre incidence sur l’épisode suivant. Rendez-vous au paragraphe 15.
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Malgré une absence de continuité et d’impact des choix sur les épisodes suivants, les différents embranchements permettent des variations assez importantes d’un épisode à l’autre, modifiant parfois très tôt le déroulé et décidant autant d’aspects bénins comme la réponse à un auditeur, que de situations plus tragiques comme le meurtre ou la disparition de personnages. Et si les décisions en elles-mêmes ne créent pas de liens particuliers entre les épisodes, parcourir les différents embranchements vous permet de noter plus de détails – que vous aviez loupé lors de la dernière partie ou qui apparaissent pour la première fois – qui se retrouveront dans les épisodes suivants, formant un discret fil conducteur peu important pour le déroulement de l’intrigue, mais efficace quant à la cohérence de l’univers. Repasser sur les épisodes vous permet ainsi de rectifier – quand tout se passe bien – les injustices et frustrations de la partie précédente, tout en découvrant toujours plus de détails et de lore dans l’univers – plus consistant et intéressant que vous ne l’auriez imaginé – de Poe and Munro. Rendez-vous au paragraphe 15.
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Vous levez la tête, et observez avec incrédulité la pièce figée en l’air, au-dessus de votre tête. Debout sur votre chaise, vous faites tout ce que vous pouvez pour essayer de la faire bouger, en vain. Deux jours plus tard, les journaux et chaines d’info, d’abord locaux, puis nationaux et internationaux défilent dans votre appartement, suivis de près par toute la communauté scientifique. Les mesures, hypothèses et avis d’experts s’enchainent semaines après semaines, sans que la moindre explication ne soit donnée. L’engouement autour de l’affaire finit par s’essouffler, jusqu’à ne plus intéresser que quelques complotistes et passionné·es de mystères et la vie reprend son cours, la pièce toujours en suspend au dessus de votre tête. Le 21 septembre 2021, cependant, alors que vous buviez votre café matinal, celle-ci se remet en mouvement, atterrissant sur votre crâne à toute vitesse, vous tuant sur le coup. Vous avez perdu, mais j’ai joué à suffisamment de livres dont vous êtes le héros pour savoir que vous aviez laissé votre doigt au paragraphe précédent et que vous allez y retourner comme si de rien n’était.
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Votre première progression dans Dark Nights with Poe & Munro vous avait assez plu, les suivantes vous ont à la fois franchement emballé – entre le plaisir de retrouver ces personnages auxquels vous vous êtes malgré tout attaché et celui de découvrir des pans entièrement nouveaux du scénario, donnant pour certains épisodes la sensation d’en voir un parfaitement différent – et lassé de devoir repasser par certaines séquences ou épisodes presque complètement identiques – l’épisode 4 par exemple, aussi inventif soit-il, ne propose que très peu de variations dans son déroulement, et se trouve être paradoxalement à la fois votre préféré et le moins intéressant à refaire.
Dark Nights with Poe & Munro a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Vous avez ri, vous avez été un peu gêné par certaines performances et interprétations des acteurs, vous avez été emporté dans l’histoire à la fois glauque, kitsch, paranormale, grandiloquente, triste et absurde de Dark Nights with Poe & Munro. Vous êtes content d’y avoir joué et avez passé un bon moment, sans tout à fait être certain que c’était si bien que ça – comme devant un vieil épisode de Doctor Who, finalement. Vous vous dites qu’une grande partie de votre appréciation du titre provient surtout de votre amour des productions un peu fauchées, des accents britanniques et des ambiances étranges, et qu’il en aurait fallu peu pour que vous décrochiez vite, tant les histoires de Poe et Munro sont particulières. Mais vous y avez accroché et vous êtes même procuré The Shapeshifting Detective dans la foulée – que vous avez également déjà terminé et auriez préféré faire avant Poe & Munro -, tout impatient et curieux de retrouver les deux personnages que vous étiez.
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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