Jeu d’épouvante réalisé par un couple australien ayant formé le studio Melting Parrot Games, Dap propose une aventure tirant autant de l’héritage de Zelda que de celui de Pikmin… qui auraient été broyés par un horrible cauchemar déprimant. Une formule étrange que de marier ces deux ambiances radicalement différentes.
À rebours de nombreux jeux horrifiques récents ayant tendance à recycler en boucle la même histoire de quadragénaires tournant en rond dans une maison hantée métaphore de leurs crimes et regrets passés, Dap propose une ambiance radicale et originale pour instiller un sentiment d’horreur : vous y incarnez un Dap, une petite créature éthérée et fœtale chargée par une divinité animiste en forme de cerf fantomatique infernal de protéger une forêt en pleine décrépitude, rongée par la « corruption », sorte de force négative qui aura vite fait de vous infiltrer le cerveau et de rendre le Dap maléfique. Vous devez accomplir votre mission en guidant à bon port d’autres Daps, prompts à se faire corrompre et trucider par tous les dangers qui passent. Autant vous dire qu’on est pas là pour rigoler, et que si vous vous sentez parfaitement à l’aise en jouant à Dap, je ne souhaite pas vous croiser dans une ruelle sombre. Bref, partons à la découverte d’un titre qui, à défaut de vous redonner la joie de vivre, constituera une étonnante expérience de malaise vidéoludique.
Dap dap ? Dap dap dap…
L’immersion dans Dap, c’est quelque chose de rapide et de brutal. Certes, le scénario reste assez anecdotique, voire un chouilla prévisible : plongé dans une forêt marécageuse rongée par la corruption, le protagoniste doit rassembler d’autres Daps, nécessaires pour progresser plus profondément dans les bois. En chemin, il faudra récupérer divers éléments pour vous permettre, entre chaque niveau, de cultiver un jardin dans un monde situé quelque part entre les rêves et la réalité. Seulement, la corruption est partout, et notre héros pourrait bien vite se retrouver lui-même tenté de basculer dans la folie. On reste sur des classiques du registre du conte horrifique, et il y a peu de chances que vous ne ressortiez pas de Dap avec un petit sentiment de déjà-vu.
Mais on le comprend vite, ce n’est pas tant par son synopsis que Dap accroche que par sa capacité à très vite plonger le joueur ou la joueuse dans un malaise omniprésent et suffoquant comme on en voit rarement dans le jeu indépendant en pixel art. Dans la forêt, tout est boue poisseuse, mangroves empoisonnées, corruption rampante… Les ennemis nous agressent sans que l’on sache d’où ils viennent, les papillons dévorent nos ouailles et les plantes explosent sur notre passage, vomissant un poison cruel. Plus on s’enfonce loin dans le jeu, plus on se sent opprimé et répugné. C’est l’effet recherché et c’est très bien ficelé.
Cerise sur le gâteau de cette débauche de délicieux malaise artistique, Dap propose un sound design perturbant et inquiétant, à commencer par les couinements et les borborygmes des Daps eux-mêmes, incapables de répéter autre chose que leur nom, et ce sur des tonalités allant de l’espoir à la supplique d’agonie selon les circonstances, rarement heureuses. Tous les sons du jeu ont été travaillés pour donner un côté plaintif et résigné aux Daps, tandis qu’à l’inverse, toute la faune et la flore qui vous fait face est affublée de cris stridents et de mimiques poisseuses.
Court, intense, mais répétitif
Inutile de continuer à tresser des louanges à l’ambiance de Dap : vous aurez compris qu’elle m’a pleinement séduit. En ce qui concerne le jeu en lui-même, je serai un petit peu plus réservé. Le système principal est pourtant simple comme bonjour : votre personnage avance dans le labyrinthe que constitue la forêt et peut essentiellement coller des mandales à courte portée et tirer un projectile à distance. En chemin, il peut « cultiver » d’autres Daps qui flottent autour de grosses fleurs mystérieuses, chaque Dap lui donnant un fragment de capacité supplémentaire (ouvrir des portes plus complexes, pouvoir concentrer son tir…). Tout l’enjeu sera d’arriver à mener un maximum de vos compagnons jusqu’à la prochaine étape, en leur faisant éviter au mieux les nombreux périls mortels sur le chemin : plantes carnivores, spores, ennemis embusqués ou encore zone empoisonnée. Avec pour récompense le droit de retourner dans le jardin onirique, pour y faire pousser des arbres avec les éléments récoltés en chemin.
La simplicité de l’ensemble et le fait que tout s’y imbrique assez bien ne saurait cependant faire oublier que Dap est un jeu qui souffre un peu de la nature assez limitée de sa proposition de gameplay : on se retrouve souvent à faire la même chose, à savoir avancer, récolter des Daps, les perdre dans des embuscades ou des pièges invisibles, et recommencer jusqu’à bien connaitre la géographie locale et ainsi atteindre la prochaine étape. Il y a certes beaucoup de petits secrets à dénicher dans les différents niveaux pour le moins tortueux, mais le fond n’est pas très varié et peut lasser à la longue, et ce malgré la brièveté de l’expérience (le jeu peut se boucler en six à sept heures). Si la formule connait des variations, on aurait cependant aimé un peu plus de variété dans le propos général de l’aventure.
Un peu plus dommage encore, la difficulté de Dap souffre d’un équilibrage pour le moins curieux, vous poussant à systématiquement mener les combats du jeu (étonnamment nombreux) de manière assez défensive, la moindre erreur conduisant à un game over en quelques secondes à peine. On en est donc souvent réduit soit à avancer très rapidement pour dasher entre les difficultés, quitte à perdre des compagnons en chemin, soit à multiplier les allers-retours à tout petits pas pour arriver à éliminer les adversaires un par un en essayant de prendre le minimum de risques.
Il résulte de tout cela un sentiment de « piétinement », accentué par le fait que le level design un peu monotone et sa direction artistique baignée d’une pénombre permanente tendent à égarer les sens et vous conduire trop souvent à tourner en rond… Et ce sentiment est aggravé par le fait que Dap a une gestion assez peu généreuse des points de sauvegarde, vous conduisant parfois à revenir dix, quinze voire vingt minutes en arrière en cas d’échec, et refaire trois fois le même niveau juste parce que des pièges inévitables nous ont été lancés à la figure… Il y a un petit côté « mort du fun » qui finit par légèrement desservir le propos : on aurait souhaité quelque chose d’un peu plus fluide et moins frustrant.
Dap a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Le gameplay un peu approximatif et la difficulté mal équilibrée de Dap ne suffiront pas à nous faire oublier ses immenses qualités artistiques et son ambiance redoutablement efficace. Certes, il ne s’agit au fond que d’une version cauchemardesque de différents classiques de Nintendo assemblés pour vous faire déprimer et frissonner, mais cela suffit à faire de Dap un des jeux les plus marquants de cette rentrée vidéoludique, du moins en ce qui concerne le registre des jeux d’horreur.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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