Sorti en 1995, Clock Tower est peut-être le coup d'envoi du survival horror à la japonaise. Son influence énorme dans l'archipel, qui a pesé sur des titres comme Forbidden Siren, Silent Hill ou Resident Evil est à mettre en parallèle avec le fait qu'il soit toujours resté confidentiel en dehors du Japon. En 2024, un portage traduit dans de nombreuses langues et paraissant sur toutes les plateformes vient corriger le tir.
Il est tout à fait peu surprenant de trouver les studios WarForward et Limited Run Games derrière ce Clock Tower : Rewind, tant ces entreprises sont liées à l'industrie vidéoludique nippone, pour lesquelles elles ont déjà assuré de nombreux projets. Il est un peu plus étonnant cependant de les voir mettre les mains dans le cambouis d'un jeu aux mécaniques assez complexes, dans un genre assez nouveau pour eux, le point and click console. Et ce, avec un moteur de développement très récent n'ayant pas encore fait ses preuves sur un titre similaire, le Carbon Engine. Une tâche d'autant plus ardue que Clock Tower est assez connu pour les très nombreuses variations présentes entre ses différentes versions, induisant elles-mêmes de nombreux bugs et problèmes variés selon la plateforme. Il y a une sorte de gag récurrent dans les guides et solutions du jeu consistant à devoir suivre des chemins assez différents selon que vous possédiez la version PC, Super Nintendo, PlayStation ou WonderSwan. Pas tant parce que la structure de l'aventure change tant que cela, mais juste parce que les bugs et les possibilités de softlock ne sont pas exactement les mêmes. Et même si beaucoup a été fait par Clock Tower : Rewind pour arriver à rendre jouable cet OVNI vidéoludique avant-gardiste en 2024, on en sort avec l'impression d'une semi-catastrophe ayant échoué à mi-chemin de sa démarche.
Formol magique
Il y a, avant tout, cet immense plaisir que de pouvoir découvrir Clock Tower au beau milieu du XXIᵉ siècle sans avoir à passer par des vides-greniers et des émulateurs. Rien que pour cela, le projet est formidable, et c'est un des derniers grands pans typiquement japonais de l'histoire du média qui est enfin rendu disponible à toustes, pour moins de 20 €. Quel plaisir pour l'amateur de vieilleries que de pouvoir découvrir ce qui inspira tant de créateurs et de créatrices des grands jeux de la J-Horror, avec au moins autant d'impact qu'un Alone in the Dark sorti quelques années avant lui.
Tout est là : le manoir à explorer et la créature difforme et invincible de Resident Evil, le côté sans défense des héroïnes de la série Fatal Frame, les changements d'ambiance brutaux et les PNJ anxiogènes façon Silent Hill. Tout est déjà présent, contenu dans un jeu d'aventure pixelisé et ramassé dans quelques heures d'angoisse au sein d'un manoir peuplé de menaces répugnantes. Tout est là, et même un peu plus, à vrai dire, tant Clock Tower multipliait des idées qui ne sont pas sans rappeler la folie du vénérable Maniac Mansion. Des énigmes que l'on peut résoudre de diverses manières. Une narration non linéaire en fonction du rythme de nos découvertes. Neuf fins (et quelques variantes) dépendant de divers choix effectués pendant l'aventure. Une gestion de l'endurance et des proto-QTE. Clock Tower avait à peu près une idée à la seconde, même si cette idée était, parfois, mise en scène de manière maladroite.
Il y a, enfin, cette direction artistique angoissante et ce sound design volontairement abominable qui fonctionnent toujours aussi bien trente ans plus tard. Chaque apparition du croquemitaine de ce jeu, l'affreux Scissorman et sa paire de cisailles géante, est un délice, tant ce dernier multiplie les stratégies retorses. Ses apparitions semi-aléatoires et son comportement erratique lui permettant de se cacher, de changer d'itinéraire ou de vous tendre des pièges restent d'une redoutable modernité. Oui, pas de doute, il faut redécouvrir Clock Tower en 2024 si on s'intéresse à l'histoire du jeu horrifique. Est-ce que cette version est la meilleure manière de le faire ? Assurément, mais c'est un peu par défaut.
Des clocks aux doigts
Il serait malhonnête de dire que les gens qui ont travaillé sur ce remake n'ont rien fait pour rendre l'expérience de 1995 moins injouable. Car quiconque lance le Clock Tower original de nos jours (et on peut le faire via une option de cette version) admettra que l'expérience est, mettons, aussi épouvantable que peut l'être un point and click japonais pensé pour une manette de Super Nintendo. Beaucoup de choses ont été faites pour rendre l'expérience vaguement moins pénible, à commencer par une mécanique de rembobinage du temps pour effacer une éventuelle erreur sans avoir à recharger la partie. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres, mais un vrai travail a été effectué pour améliorer à la marge la qualité de vie du titre.
Il n'en reste pas moins que ces améliorations restent extrêmement marginales, et qu'une quantité immense de choses tout bonnement inacceptables de nos jours ont également fait le voyage depuis 1995. Des événements scriptés qui ne se déclenchent pas. Des confrontations contre des PNJ aux masques de collision illisibles. Le Scissorman qui se téléporte sans raison. L'héroïne Jennifer qui refuse d'interagir avec un objet tant que l'on n'aura pas chargé une vieille sauvegarde. Des conflits constants entre le clavier et la manette si vous jouez sur PC. Et ainsi de suite.
Sans doute qu'il y a 30 ans, le côté un peu cassé, aux frontières de l'injouable, contribuait un peu à l'ambiance bizarre et stressante du voyage. Les standards en matière de confort de gaming ne sont cependant plus du tout les mêmes de nos jours. Livrer un jeu dans cet état en 2024, c'est avant tout se couper du public actuel des jeux horrifiques qui aurait pu être intéressé par un tel objet.
C'est d'autant plus tragique que, contrairement à d'autres projets de modernisation de ce type, allant du petit remaster au remake complet, les modifications restent ici trop marginales pour sortir de la simple case "portage". On aurait, par exemple, pu imaginer l'ajout d'une carte du manoir, d'un journal de quête, d'une possibilité de consulter son inventaire de manière moins pénible, de mentions plus explicites du système de sauvegarde. Autant de choses absentes à l'époque, surtout parce qu'il fallait déjà caser énormément de données dans une toute petite cartouche, et que le genre n'était pas encore pleinement codifié.
Quant à la structure scénaristique du jeu, on aurait pu imaginer des apparitions plus cohérentes du Scissorman, une manière plus compréhensible de progresser dans les diverses arborescences de l'Histoire (surtout passée la première moitié de l'aventure). Mais aussi un minimum de retravail sur les dialogues, ou un débarbouillage des énigmes les moins bien fichues. Rien de tout ceci n'est au programme. Il faut donc se contenter de ce quasi-copier-coller du jeu d'origine, sans doute plein de bonne volonté, mais manquant cruellement de l'ambition nécessaire à le placer sur le radar des indispensables du jeu d'horreur de la rentrée.
Clock Tower : Rewind a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur PlayStation 4 et 5, sur Nintendo Switch et sur les consoles Xbox.
Quel dommage que ce Clock Tower : Rewind ne soit finalement qu'un "simple" portage amélioré par-ci par-là, et pas un projet complet de modernisation de ce jeu culte. En l'état, et surtout en l'état des bugs et des incohérences dans lesquelles il est englué, il m'est hélas très difficile de le recommander. Sauf, bien sûr, si vous êtes comme moi, à avoir bavé pendant des décennies devant chaque screenshot d'une œuvre culte, désormais accessible pour un prix modique sur toutes les machines modernes. Si ça se trouve, ça fait pas mal de monde, ça.
Les + | Les - |
- ENFIN, Clock Tower sort des frontières japonaises ! | - Les problèmes d'époque sont toujours présents, et sont parfois très handicapants |
- L'ambiance générale fonctionne parfaitement 30 ans après la sortie | - Les commandes sont une plaie |
- Le jeu est traduit dans de nombreuses langues, dont le français | - Aucun retravail sur le fond de l'expérience, qui est ludiquement très datée |
- Quelques petites améliorations par-ci par -là | - Les menus sont confus et irritants |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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