Chorus est un shooter spatial scénarisé en monde ouvert. Disons-le une fois et après on fera comme si on avait rien entendu : GTA dans l’espace, piou-piou-piou la bagarre. Mais c’est aussi et avant tout un énorme bond en avant technologique et conceptuel pour Deep Silver, ses studios internes et sa maison-mère Koch Media. Un bond destiné à faire peser l’éditeur allemand dans le développement de jeux à gros budget. Au risque de viser un peu trop haut ?
En tout état de cause, ce n’est pas vraiment un jeu qui figurait dans les plus attendus de l’année : accompagné d’un plan média relativement modeste, sortant en décembre alors que l’actualité vidéoludique de 2021 est déjà quasiment achevée et tournée vers les Game Awards, Chorus n’a pas fait grand bruit et semblait promis à ce destin commun aux jeux « AA », pas assez petits pour être scrutés par les fans de la scène indé, un peu frêles pour l’arène impitoyable des blockbusters. Un jeu de niche, condamné aux bacs à soldes et au backlog poussiéreux de vos bibliothèques Steam. Or, Chorus est un jeu qu’il ne serait pas très malin de regarder de haut : si ce shooter spatial mystico-bourrin ne manque pas de défauts, il démontre avec brio que Deep Silver a désormais les épaules pour peser lourd dans la production.
Nara rien à comprendre
Bon. Il faut quand même avant tout qu’on parle du truc qui va peut-être (et même sans aucun doute) laisser une grosse partie d’entre vous sur le bas-côté du spatioport et possiblement vous faire jeter le jeu par la fenêtre : Chorus est vraiment écrit avec les pieds. Et probablement les pieds d’un enfant de 8 ou 9 ans qui essaye d’écrire sa première histoire après avoir vu un dessin animé un peu dark (on n’est quand même pas au niveau d’Enzo, 7 ans et demi, auteur de Super Robot Wars 30 mais pas loin).
Chorus, c’est l’histoire de Nara. Nara, elle travaillait pour le Cercle. Le Cercle, c’était les méchants sorciers de l’espace et le chef des méchants il voulait que ses soldats ils fassent EXPLOSER DES PLANETES broum broum. Alors après, Nara elle a des remords et elle s’est cachée chez les gentils, qui sont gentils (même s’il y a des pirates qui sont un peu moins gentils des fois). Mais un jour les méchants reviennent et alors ils attaquent les gentils et alors Nara comme c’est la plus forte et qu’elle a des pouvoirs et un vaisseau spatial qui parle, elle décide d’aller se venger.
Comprenez bien que je n’attends généralement pas grand-chose des scénarios d’open world orientés bagarre (sauf exception) mais là franchement, c’est tellement au rez-de-chaussée neuronal que j’ai passé une bonne partie des innombrables dialogues du jeu à lever les yeux au ciel en attendant que ça passe. Chorus s’en sortirait bien si sa trame simpliste était servie par des personnages charismatiques ou des dialogues un peu mieux troussés, mais là, c’est 100% indigent. Et plombé par l’héroïne, qui ponctue sous forme de didascalies stupides quasiment chaque ligne de dialogue par ses pensées inintéressantes marmottées à voix basse. On admettra quand même que, comme cela arrive parfois, ça devient mieux une fois passée la première zone qui sert de tutoriel géant. Mais ça reste vraiment en-dessous des standards pourtant pas très élevés des blockbusters vidéoludiques en matière d’écriture. Heureusement pour lui : il y a tout le reste.
Beau et con à la fois
Chorus, et je pense que vous en conviendrez au vu des captures d’écran de cet article, c’est déjà et avant tout un jeu qui ne se moque pas du monde en termes d’esthétique et de rendu. C’est vraiment, vraiment très beau et fluide (du moins sur PS5, j’ai quelques doutes sur la génération précédente). Les panoramas sont à couper le souffle, l’OST de Pedro Camacho (qui n’en est pas à son coup d’essai) est sublime. Sans révolutionner l’esthétique du genre mystico-spatial, Chorus livre une copie impeccable en termes de rendu, qui s’apprécie particulièrement lors des dogfights ultra-nerveux qui parsèment l’aventure. Tout juste regrettera-t-on que certaines missions se déroulent en intérieur (dans des mines, des vaisseaux ou des temples étranges) où tout est soudainement beaucoup moins joli et inspiré.
Cependant, la plupart du temps, Chorus se présente sous la forme d’un monde semi-ouvert assez classique, divisé en plusieurs petites zones représentant différents biomes d’un système planétaire déchiré par la guerre. On virevolte d’objectif en objectif à bord de notre vaisseau, des types nous haranguent pour des missions, on a des récompenses à la fin et ainsi de suite jusqu’à avancée du scénario. La structure la plus classique possible en somme, mais particulièrement efficace. Certes, tout ce qu’on fait est vu et revu et simplement recouvert d’un filtre « MAIS DANS L’ESPACE » : on fait la course contre d’autres vaisseaux, on ramasse des machins perdus, on se bat contre des gens, on escorte des véhicules… Là encore, on grince un peu des dents devant les choix moraux rincés jusqu’à l’os que l’on nous demande d’effectuer dans certaines quêtes ou devant les énoncés de mission qui n’ont formellement aucun sens et impliquent des personnages creux au comportement incohérent. Mais tout est ici sublimé par la conduite du vaisseau si satisfaisante et la qualité des affrontements qui rythment l’aventure.
Dommage que les premières heures du jeu mettent un poil trop de temps à passer. Au cœur de la mécanique de Chorus, il y a le lien entre Nara et son vaisseau et les différents pouvoirs magiques (cherchez pas à comprendre) que la pilote va récupérer au fil de l’aventure. Petit souci cependant : il faut trois bonnes heures pour récupérer le « vrai » vaisseau et les premières capacités un minimum satisfaisantes (celle permettant de se téléporter derrière les ennemis, par exemple). Et même davantage si on s’égare un peu dans les premières quêtes annexes, donnant l’impression qu’on va rester une bonne partie du jeu aux commandes d’une poubelle volante à répéter en boucle les trois mêmes combats idiots avec l’unique arme de base. Chorus aurait vraiment bénéficié d’un meilleur rythme dans le déploiement de son gameplay, très solide une fois qu’on a toutes les commandes bien en main.
Un open world aux mécaniques mûres et agréables
La plus grande force de Chorus, passé ce démarrage un poil mollasson, c’est qu’il a parfaitement compris comment la formule plombée de l’open world à la Red Dead Redemption 2 et autres Assassin’s Creed s’était enfermée dans une culture du « trop » : trop grand, trop de quêtes, trop de collectibles, trop de contenu bourré jusqu’à la moelle que pas un joueur ni une joueuse n’aura le courage d’effectuer jusqu’au bout. Ici, on fait le pari du plus petit, et donc du plus dense.
Peu de secrets, encore moins de bidules inutiles cachés à ramasser dans tous les sens, des missions longues découpées en sous-objectifs plutôt que des dizaines de sous-quêtes oubliables, des hubs à explorer de taille raisonnable qu’il est d’ailleurs possible de parcourir à trois vitesses différentes selon les besoins… Bref, un vrai travail sur le rapport taille/fun de l’aventure que très peu de jeux du genre effectuent, préférant juste nous inonder de trucs pour saturer en permanence notre circuit de la récompense avec des jauges qui montent. Chorus peut ainsi paraître austère à certains moments, mais finalement, tout ce qu’on y fait a un sens diégétique au regard de l’intrigue générale, et c’est vraiment appréciable.
Quelques petites choses auraient cependant mérité d’être un poil plus ajustées : les checkpoints internes aux missions sont parfois placés de manière aberrante, la conduite du vaisseau à l’intérieur des structures tourne parfois au jeu de balle rebondissante ou encore certains textes qui s’obstinent (malgré un patch day one de 20go que ma petite connexion a bien senti passer) à s’afficher de manière si minuscule que ça en est presque absurde.
On notera enfin que la courbe de difficulté est parfois mal pensée : tantôt super permissif, le jeu se mue parfois en tortionnaire dans certaines quêtes où la moindre micro-erreur est immédiatement sanctionnée par une défaite cruelle. De modestes critiques au regard de l’ensemble proposé, un jeu un peu idiot dans la forme mais passionnant à parcourir dans le fond. On y fait pas grand-chose d’autre que voler dans un espace modélisé de manière sublime et de dégommer des robots-zombies de l’espace mais, hey, est-ce qu’on veut autre chose dans la vie ?
Chorus a été testé sur PS5 via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur PS4, PC et sur les consoles Xbox.
Chorus n’est peut-être ni l’avenir du shooter spatial, ni une révolution de l’open world, mais ses développeurs ont su tirer le meilleur des deux genres pour livrer une aventure certes bête à manger du foin mais très amusante et délivrant des sensations de pilotage et de bataille spatiale ultra-satisfaisantes. Une excellente surprise, preuve évidente de la volonté de monter en gamme chez Deep Silver. Chorus augure du meilleur quant à la philosophie de game design privilégiée en interne : on attend donc avec impatience les prochaines productions de leurs différents studios, le Saint Row de Volition en tête.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
Articles similaires
Miniatures - La poésie du souvenir
nov. 20, 2024
Rogue Flight - Monte dans le robot, Zali !
nov. 16, 2024
Great God Grove - Queer et élastique
nov. 11, 2024