Trois ans après leur très chouette pastiche de La Légende de Zelda, Lenna’s Inception, les Britanniques de Bytten Studio reviennent avec un nouvel hommage aux jeux emblématiques des consoles Nintendo. Exit Zelda, Cassette Beasts est une imitation parfaitement assumée et réussie de la licence Pokémon. Système de combat au tour par tour basé sur le pierre/feuille/ciseaux, capture et évolution de créatures, maîtres à affronter aux quatre coins du monde : tout le monde est là, jusqu’à la Team Rocket. Une copie dont la fidélité sautera aux yeux de quiconque aurait déjà tenu une Game Boy/DS/Switch équipée de Pokémon, mais qui n’oublie pas d’intégrer sa patte personnelle et un game design résolument plus moderne, plus riche et plus complexe. Peut-être parfois un petit peu trop.
C’est là toute la difficulté de l'hommage et de l’équilibre à tenir, entre conserver tout ce qui pouvait faire le sel et l’identité de licences déjà vieilles de plus de vingt ans, et prendre en compte plusieurs décennies d’innovations en termes de technique et de game design – du moins si l’on souhaite s’adresser à un public récent et habitué aux codes modernes, sinon on fait Lunark. Cassette Beasts tient cet équilibre du mieux qu’il peut, compte tenu de ses origines, de la taille de son équipe et des idées neuves qu’il apporte, et, si l’édifice chancelle à quelques reprises, les bases sont suffisamment solides pour qu’il reste debout. Ce qui est déjà un petit exploit en soi.
J't'ai cassette
La première très grande réussite de Cassette Beasts, c’est le jusqu’au-boutisme de son concept, concept assez original, il faut le dire, sur lequel a été plaqué et entièrement adapté tout le gameplay de Pokémon. Après la création – particulièrement complète, on appréciera la possibilité de pouvoir être genré au neutre – de notre personnage, ce dernier se voit propulsé sur l’île de New Wirral, un lieu peuplé de monstres, situé à la croisée des univers parallèles et qui garde emprisonnées les personnes qui ont le malheur d’y être transportées. Dès notre arrivée, un baladeur cassette nous est remis, et tout le gameplay tournera désormais autour.
Ce lecteur de cassettes permet à son porteur de se changer en créature pour se battre, d’enregistrer les monstres adverses sur des cassettes vierges pour les ajouter à son équipe, ou de récupérer certaines techniques (la nage, le sprint, le vol, etc.). On reconnaît bien sûr les mécaniques principales de Pokémon (combat, capture, apprentissage de compétences), mais complètement transposées dans cette thématique de la cassette et de la musique, que ce soit de manière complètement esthétique (les potions de soin sont des crayons qui permettent de rembobiner la bande magnétique) ou des changements un peu plus profonds.
Cette mécanique de la cassette a un impact particulier sur la manière dont notre personnage et ses créatures s’améliorent et montent de niveau. Deux courbes de progression sont à distinguer : celle de notre héros, qui se compte en niveaux, et celle de chaque créature, qui va d'une à cinq étoiles collées sur la cassette l’hébergeant. Le niveau de notre personnage se plaquera sur chaque monstre invoqué, ce qui donne l’immense avantage de ne jamais avoir à farmer pour faire progresser notre équipe, puisque même un crabe nul capturé en début d’aventure et stocké dans une boîte pendant quinze heures héritera immédiatement du niveau de notre personnage au moment de son invocation.
Octogone avec trop de règles
Les étoiles des créatures, elles, permettent de débloquer de nouvelles attaques – sous forme d’autocollants, que l’on pourra coller et décoller à l’envi sur le reste de l’équipe – et surtout de rematricer (faire évoluer le monstre, donc) dès l’instant où elles atteignent le nombre de cinq. Comme dans les versions les plus récentes de Pokémon, toute l’équipe gagne de l’XP en combat, et les étoiles augmentent ainsi assez rapidement. Il s’agit d’une des courbes de progression les plus fluides et satisfaisantes qu’il m’ait été donné de voir dans un jeu du genre : les niveaux des humains comme des créatures montent à toute vitesse, et les autocollants collectés au fil de l’aventure permettent de moduler assez librement les capacités actives et passives de son équipe.
Seul bémol dans ce tableau autrement impeccable : le système de combat peut s’avérer assez obscur et inutilement confus. Bytten Studio a ici fait le choix de pousser plus loin l’efficace, mais peut-être un peu simpliste système de pierre/feuille/ciseaux (l’eau bat le feu, le feu bat les plantes, les plantes battent l’eau) bien connu de Pokémon, pour partir sur une complexe grille de forces et faiblesses. L’idée est brillante : en plus des forces et faiblesses de chaque type, attaquer ou défendre contre des éléments précis va créer des buffs et débuffs. Attaquer un type foudre en étant un type métal va lui donner un buff multicible qui lui permettra d’attaquer toute l’équipe en même temps ; attaquer un type air avec un type feu lui donnera un mur de protection ; attaquer de l’eau avec du feu lui confèrera une vapeur curative, etc.
L’idée est géniale et aurait pu apporter une profondeur stratégique assez vertigineuse au titre, mais elle est souvent trop contre-instinctive ou nébuleuse pour réellement fonctionner. Si les notions de forces et faiblesses coulent de source pour les éléments « classiques » (eau, feu, terre, plante, etc.), il peut devenir compliqué de se souvenir de qui gagne contre qui quand on commence à capturer ou affronter des monstres de type astral, poison, verre ou plastique. D’autant qu’une autre strate de complexité vient s’ajouter à cette mécanique, puisqu’il est également possible de faire changer les créatures de type en les attaquant (feu sur roche donne verre, glace sur eau donne glace, feu sur plastique donne poison, etc.), et que toute la mécanique d’une des créatures consiste à s’appliquer des surcouches le faisant changer d’élément, avant d’effectuer des transferts de couches sur ses adversaires. C’est certes très malin, mais beaucoup trop complexe pour ce système de combat et pour ce qu’indique l’interface (presque rien).
Ma 6-T va K-7
Ce système de combat bien trop ambitieux pour son propre bien est assez symptomatique du game design global de Cassette Beasts, que l’on pourra qualifier de « c’est très bien, mais c’est parfois un peu trop ». Car le second aspect majeur du titre, c’est son petit open world. Pour quitter l’île de New Wirral, notre personnage devra trouver et affronter des Archanges, des créatures légendaires cachées dans des gares désaffectées éparpillées sur la carte. À cette quête principale s’ajoutent un équivalent des maîtres d’arène Pokémon à trouver et vaincre, la Team Rocket – ici prenant la forme d’agent·e·s immobilier·e·s souhaitant instaurer le capitalisme sur New Wirral – à bully, une quête annexe à accomplir pour chaque compagnon·ne de combat (qui pourront être incarné·e·s par un·e autre joueur·euse en coop), des rumeurs sur lesquelles enquêter, le bestiaire à compléter, les liens sociaux à renforcer : ça fait beaucoup de contenu. Du contenu de qualité, mais dans lequel il est parfois un peu difficile de s'y retrouver et de savoir par quel bout s'y prendre.
L’histoire et les sous-intrigues sont heureusement plaisantes à suivre, le tout étant de plus soutenu par des dialogues généralement sympathiques et une version française de très, très bonne qualité (mention spéciale aux noms des créatures), mais si chaque élément pris à part fonctionne bien, le tout en tant qu’open world finit par être un peu bancal. Le parallèle pourra sembler étrange, mais l’open world de Cassette Beasts souffre un peu du même défaut que celui d’Elden Ring, dans le sens où il peut être visité un peu dans n’importe quel sens, et donne très peu d’indications sur le chemin optimal à suivre. Les quêtes ne donnant en plus aucune indication sur le niveau requis, on part parfois à l’aveuglette, sans trop savoir si les monstres que l’on va rencontrer seront dix niveaux au-dessus ou en dessous du nôtre. Si notre propre courbe de progression et celle de notre équipe sont parfaitement fluides, l’enchainement des quêtes est lui un peu plus chaotique.
Ces petits problèmes d’équilibrage d’open world, d’indications de niveaux, de combats parfois nébuleux ne sont honnêtement pas suffisants pour casser le titre ou même le rendre désagréable à jouer : au contraire, sa quantité de contenu, combinée à la vitesse de progression du personnage et de l'intrigue font qu’il y a toujours quelque chose à débloquer, un monstre à enregistrer, une cassette à rematricer, une zone à explorer, et je me suis retrouvé à constamment y retourner et y engloutir des heures. Les ambitions de Bytten Studio étaient probablement trop élevées et Cassette Beasts n’atteint jamais la profondeur qu’il semble vouloir proposer, mais en tant que sympathique Pokémon-like à binger sur plusieurs dizaines d’heures, il fait plus que l’affaire.
Cassette Beasts a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Il sera disponible sur Xbox One, Xbox Series et Nintendo Switch plus tard dans l’année.
Bien que constellé de petits défauts et erreurs de conception, Cassette Beasts est un Pokémon-like tout ce qu’il y a de plus charmant. Son ton extrêmement bienveillant, son écriture, sa traduction, son bestiaire, ses différentes quêtes, sa quantité affolante de contenu en font un digne représentant du genre. On pourra regretter un système de combat trop complexe pour son propre bien et un open world pas toujours très bien équilibré, mais les dizaines d’heures passées sur le titre de Bytten Studio sans m’en rendre compte, et l’envie bien présente d’y retourner ne mentent pas : j’ai passé un excellent moment sur Cassette Beasts.
Les + | Les - |
- Bestiaire fourni au chara design de qualité | - Système de combat parfois trop complexe pour ce type de jeu |
- La courbe de progression est fluide et gratifiante | - L'open world n'est pas toujours très bien équilibré |
- Quêtes et dialogues bien écrits et bien traduits | |
- Un contenu varié et généreux | |
- Le concept des cassettes est exploité à fond |
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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