Call of the Sea est un jeu un peu sorti de nulle part. Premier titre du studio madrilène Out of the Blue, et édité par Raw Fury, il a été annoncé en mai 2020 et est sorti le 8 décembre sur Steam et le GamePass PC. J’avais été convaincu surtout par la promesse d’un jeu tout public s’inspirant légèrement de Lovecraft, et sur ce point je n’ai pas été déçu. Cependant, même si le jeu est très bon, je n’étais pas dans les meilleures conditions pour l’apprécier.
Avant de commencer ce papier il va falloir que je parle du contexte dans lequel j’ai testé Call of the Sea, car il a malheureusement influencé fortement le rythme auquel j’y ai joué, et ma réception du titre. Il se trouve que peu après avoir reçu ma clef, un membre de ma famille est décédé (avec une rebelote peu après parce que 2020), ce qui a fait que je n’ai pu jouer que sporadiquement au jeu, et que je m’en servais un peu comme échappatoire pour pouvoir respirer un coup. Au final, j’ai plus parcouru le jeu comme en faisant une promenade dans un parc pour m’aérer l’esprit.
Mon mari a disparu donc je pars en vacances
Tout commence sur un navire faisant route vers une île à proximité de Tahiti. A son bord une jeune femme, Norah Everhart, une américaine souffrant d’un mal étrange lui faisant apparaitre des taches sur les mains, et dont le mari, Harry, a monté une expédition pour pouvoir découvrir un hypothétique remède à sa maladie. Malheureusement celui-ci n’a pas donné de signe de vie depuis des mois, et Norah a reçu un colis contenant une dague ainsi que des indications pour pouvoir retracer le chemin de l’expédition perdue de son mari. C’est ainsi que débute l’aventure de Call of the Sea, qui vous fera explorer toute une île sur les traces de Harry et ses compagnons, et tentera de vous faire découvrir quel est le mal qui ronge cette pauvre Norah. J’aimerais préciser tout de même que, malgré cette entrée en matière ainsi que l’intrigue générale qui pourrait faire penser à une aventure horrifique, le jeu va constamment prendre le contrepied de cette évidence afin d’offrir une expérience plus tournée vers l’émerveillement.
Dans les faits j’ai passé mon temps à vadrouiller sur une île magnifique (on reviendra sur le côté artistique plus tard), et à résoudre des énigmes plutôt bien trouvées, même si deux en particulier m’ont fait turbiner le cerveau un peu trop fort pour mon propre bien. Cette exploration rythmée par les commentaires et remarques de Norah, qui est extrêmement bien doublée par Cissy Jones (Delilah dans Firewatch), arrive très bien à poser l’ambiance de voyage, de mystère, et quelque part de sérénité qui se dégage du titre. Que l’on soit face à la mangrove, au sommet d’une montagne pluvieuse ou dans une ruine étrange, on se sent curieusement à l’abri dans Call of the Sea, comme si on était accueilli par le jeu et son environnement. Alors ça va naturellement avec les thèmes abordés par le jeu, mais c’est une belle prouesse de la part des développeurs.
Lovecraft mais en bien
Vu que nous sommes en 2020 et que l’héritage de son œuvre est partout (de Batman, au cinéma d’horreur, en passant par le jeu vidéo) j’imagine que le nom d’Howard Phillips Lovecraft ne vous est pas inconnu, et si oui, vous avez sans doute au moins entendu une fois le nom de Cthulhu. Si je m’en réfère à sa page Wikipedia, Lovecraft est un auteur surtout prolifique durant l’entre-deux guerre, ayant écrit pour des magazines pulps des nouvelles horrifiques, et dont les plus célèbres à l’heure actuelle sont « L’Appel de Cthulhu », « Les Montagnes Hallucinées » et « Le Cauchemar d’Innsmouth ». Pour avoir lu quelques nouvelles du bonhomme, on peut dire que ses ressorts horrifiques sont surtout centrés sur deux aspects : tout d’abord le fait que l’humain n’a pas le contrôle mais que tout est géré par d’autres facteurs/entités qui considèrent l’humain comme une variable négligeable, et aussi la peur de l’inconnu voire la xénophobie pure et simple. Il est assez connu aujourd’hui que l’auteur était un raciste et antisémite notoire (même pour l’époque ses prises de positions étaient radicales en ce sens).
Partant de ce constat, il est assez triste de voir qu’un grand nombre de jeux faisant référence à Lovecraft en termes d’esthétique ou de thématique n’essaient pas forcément de recontextualiser leurs propos, ou ne tentent même pas de se les réapproprier. Mais Call of the Sea au contraire y arrive brillamment, en faisant d’une part référence de manière ténue à ce qu’on appelle « Le Mythe de Cthulhu », et d’autre part en prenant le contrepied des ressorts horrifiques de l’auteur. Là où dans les nouvelles en général le schéma de la peur sera le suivant : une recherche de vérité amène à une prise de conscience sur l’existence d’entités ou de réalités « étrangères » qui sont par nature hostiles ou néfastes à l’humain, et par conséquent brise le protagoniste dans sa psyché ou son corps ; dans Call of the Sea le schéma narratif prend l’idée contraire : une quête de vérité (la recherche de Harry), amène à une prise de conscience sur soi de la part de Norah et à une réflexion sur sa place dans le schéma de l’existence, pour enfin aboutir à un personnage au final plus « complet » à l’arrivée grâce à ses nouvelles connaissances entre autres. Là où la découverte de l’inconnu chez Lovecraft est une chose à éviter car elle mène très souvent à la perte de son innocence voire de sa santé mentale, ici elle permet à la protagoniste de mieux se comprendre elle-même ainsi que sa perception du monde (contrairement au reste des personnages, qui eux subissent le traitement classique lovecraftien, entre mort et folie).
La couleur venue du ciel
Je l’ai déjà mentionné plus haut mais le jeu est magnifique. Même si techniquement il n’est pas gourmand en termes de ressources, la direction artistique arrive parfaitement à retranscrire les différentes ambiances de l’île. Les couleurs sont éclatantes, le style très comics des personnages donne un côté sympathique au tout et la musique sait parfaitement jouer sur les différents registres de la narration, mystérieuse, nostalgique, ou plus audacieuse selon le besoin. Le fait que j’ai 75 captures d’écrans de ma partie, alors que pour les besoins de cet article une petite dizaine aurait suffi, devrait pouvoir vous indiquer à quel point j’ai trouvé le jeu artistiquement réussi.
Un autre aspect du jeu qui m’a énormément convaincu, c’est qu’il soit tout public. Bien qu’il aborde des thématiques lourdes et sérieuses, le deuil, la maladie, la quête de soi, la mort, ou l’esclavage, Call of the Sea arrive à rester accessible même pour des adolescents ou des non joueurs. J’ai déjà mentionné le fait que Norah soliloquait beaucoup pour commenter ce que l’on voit ou fait, mais il y a aussi un journal qui nous donne des indications pour les énigmes d’une part, et nous offre le point de vue de l’héroïne sur les évènements ainsi que ses réflexions d’autre part. Même s’il a l’air anecdotique, le journal permet de mettre des mots simples et clairs sur des concepts qui ne sont peut être pas évidents pour de jeunes joueurs. Le gameplay se veut lui aussi accessible, les touches d’interactions étant toujours affichées à l’écran par exemple ; les énigmes ne sont pas très difficiles mises à part celle de la fin du chapitre 4 (sérieux allez voir une solution si vous galérez parce qu’elle est retorse à en crever), et on est jamais vraiment perdu, les niveaux ayant une architecture pas bien compliquée.
Call of the Sea a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Il est aussi disponible sur Xbox One et sur Xbox Series.
En définitive je vous recommande chaleureusement ce bon Call of the Sea. Vous en aurez largement pour votre argent, et sachez d’ailleurs qu’il bénéficie de textes en français très bien écrits. Je pense sérieusement que Call of the Sea est un des meilleurs jeux auxquels j’ai joué cette année grâce à sa maitrise de thématiques lourdes tout en restant tout public, et en étant efficace dans son exécution.
Un Rieur
J'aime tous les jeux, surtout les jeux un peu nazes ou cassés. C'est pas parce que c'est nul que c'est pas bon, et puis j'aime aussi la bouffe, et le JDR
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