Le jeu vidéo de programmation, c’est tout un poème. Du jeu de navigateur utilisant un langage précis comme élément de gameplay à des fins purement pédagogiques (CodeCombat pour le python et le JavaScript, Grid Garden pour le CSS, The SQL Murder Mystery pour le SQL), du jeu de programmation visuelle (while True: learn() pour le machine learning, Monster Logic pour l’algorithmie, ou les différents engins de torture de Zachtronics), du jeu de programmation à la ligne de code (Comet64 et ses exercices de première année de fac de programmation) : il y en a pour tous les goûts, même les plus chelous. Surtout les plus chelous, j’aurais envie de dire, car rien de tel pour un programmeur que de se détendre en programmant encore (je caricature à peine). L’atelier du jeu vidéo arrive ainsi au milieu de ce créneau déjà bien rempli, avec ses propres ambitions.
Nintendo étant Nintendo, le titre, sans perdre de vue l’aspect programmation (loin de là), a plutôt tendance à lorgner du côté des autres titres du studio basés sur la créativité, Super Mario Maker, Nintendo Labo et WarioWare D.I.Y en tête, et livre ici son application de création de contenu la plus complexe et complète à ce jour. Mais si tout semble simple et efficace au premier abord, une telle machinerie ne peut évidemment pas tenir sans sa batterie de problèmes.
Atelier Progra
L’atelier du jeu vidéo s’articule en deux parties distinctes : les leçons interactives et la programmation libre. S’il est très, très tentant de s’épargner le tutoriel et de se lancer tête baissée dans la création de son premier jeu, on constatera très vite que malgré une interface plutôt bien fichue et claire, la quantité d’outils et de paramètres rendent toute conception quasi impossible sans passer par la case cours magistral, ne serait-ce que pour un ou deux chapitres. Alors c’est parti. Le titre décompose chaque partie d’un jeu vidéo en nodons, de petits blocs représentant des objets, des opérations, des effets visuels ou sonores, bref : autant les parties visibles que les scripts et opérations dépendront de ces blocs, qu’il s’agira de combiner et paramétrer pour arriver à cette fin. Les vidéos de trailer, ainsi que les premiers cours théoriques de l’atelier, laissent imaginer que tout se passera bien et simplement : on place, relie et redimensionne nos personnages, blocs et actions directement sur l’écran tactile de la Switch et tout se trouve jouable d’une simple pression d’un bouton, à la façon d’un Super Mario Maker 2.
Les choses se corsent bien entendu très vite, quand L’atelier du jeu vidéo se met à nous expliquer comment programmer la destruction des ennemis sur lesquels on tape, la détection du gagnant d’une course, le suivi de la caméra en 3D… En somme, dès qu’il s’agit de faire un peu plus complexe qu’un platformer 2D basique. Ce n’est bien sûr pas un mal en soi : sans toutes ces fonctionnalités, le logiciel serait bien limité, et sans explications, ces dernières seraient incompréhensibles pour une grande majorité de son public – il faudra garder à l’esprit que le jeu a surtout été marketé pour une population assez jeune, mais j’ai personnellement plutôt vu des développeurs·euses aguerri·es montrer leurs expérimentations et analyses de l’outil sur Twitter.
Leçon, si t’enlèves la cédille…
Et la manière dont ces tutoriels sont amenés reflète assez bien un des principaux soucis de l’application : L’atelier du jeu vidéo est constamment le cul entre deux chaises, ne sachant jamais vraiment choisir entre la complexité d’un outil de création complet, et l’accessibilité, le côté familial et tout public revendiqué et cultivé par Nintendo. On se retrouve donc face à plus de HUIT HEURES de tutoriel, chaque cours étant découpé en chapitres – se concluant par une série de petits exercices, plus proches de l’énigme que de vraie mise en application – et prévu à chaque fois pour créer un type de jeu (platformer 2D, shooter spatial, jeu de course, puzzles en 3D, etc..).
Une durée d’explications insensée et décourageante – certains cours affichent une durée de 60 voire 90 minutes – qui pourrait être acceptable si la pédagogie derrière suivait. Le souci, c’est cette approche particulièrement scolaire, au point de me rappeler mes propres TP et TD de programmation à l’IUT et à la fac – et de pourquoi je me suis mis à sécher très vite. On démarre ainsi très lentement, même, je pense, pour une personne n’ayant jamais approché de près ou de loin la programmation, en voyant chaque étape détaillée à l’extrême, et enrobée d’un Nintendo talk franchement agaçant à la longue – trop de politesses, de compliments, de blagues de daron pour des cours qui durent déjà trop longtemps. Au bout d’une vingtaine de blocs posés, il devient plutôt exaspérant de se refaire expliquer une nouvelle fois dans quel menu les trouver, comment les placer et les paramétrer, à coups de « s’il te plaît, oui, bravo, ce bloc est parfait ! ». Et, vraiment tout comme mes cours de programmation, le titre passe d’un extrême à l’autre, en rushant de manière inexplicable certains aspects bien plus complexes.
Dans les passages les plus tendus, le titre nous fera aligner plusieurs blocs de logique ou de calcul sans tellement expliquer le fonctionnement du script ainsi créé, ou nous demandera de fixer des variables ou des constantes sans la moindre explication. « Paramètre la position sur l’axe Y à -0.40 s’il te plaît. », oui d’accord, mais tu veux pas me dire vite fait pourquoi ? Non ? Ah. Et c’est bien là tout le problème, à la fois du trop plein et du trop peu d’explications : chaque tuto nous explique comment programmer une situation très précise, mais ne nous donne pas tellement les clefs pour voler de nos propres ailes par la suite. Cette méthode fonctionne très bien pour les concepts de base (déplacements de personnages, actions basiques, caméras et écrans de jeu), mais s’avère très peu efficace quand il s’agit d’expliquer des concepts plus poussés ou de programmer des scripts. Je comprends pourquoi cette pédagogie est utilisée, tout comme je comprends pourquoi elle est toujours pratiquée dans nos établissements scolaires, mais je continue de la trouver inefficace dès qu’il s’agit de brasser des notions complexes ou des cas de figure précis, en plus de demander à son auditoire d’emmagasiner bien trop de notions d’un coup. J’aurais personnellement préféré des tutos bien moins dirigistes, ajoutant les nodons à utiliser au fur et à mesure et laissant un peu plus libre cours à la créativité, tout en donnant une ligne directrice pour atteindre l’objectif de chaque chapitre.
Les liaisons trop nombreuses
Mais alors, une fois cette montagne de cours interactifs passée, est-ce que ça fonctionne ? Étant familier avec les bases de la programmation, ma réponse est plutôt positive, avec toutefois quelques réserves. Je n’ai pour le moment pas été bloqué par les limites de l’outil – même si je commence à en entrevoir une, à voir si je parviens à la contourner dans la suite de ma création de niveau – et à lire les différents développeurs·euses indés et autres bricoleurs·euses, l’appli est visiblement très puissante, pour peu que l’on mette réellement les mains dans le cambouis. Car oui, une fois terminés les tutos tout beaux et tout rangés, créer son propre jeu devient rapidement un enfer de nodons plus ou moins désordonnés – les commentaires et raccourcis pour les liens deviennent vite indispensables – , devant lequel l’écran tactile affiche rapidement ses limites, et que je recommande de troquer contre la version dockée, afin d’y brancher une souris.
Et si c’est aussi rapidement le chaos, c’est parce que la moindre idée de gameplay nécessite une somme assez démesurée de nodons. Ces derniers – divisés en quatre types : entrée, milieu, sortie et objet – sont finalement assez peu nombreux, et leur puissance vient surtout du fait qu’ils peuvent être combinés d’énormément de manières, de façon à pouvoir répondre à un maximum de situations. Il est juste dommage qu’il faille en appeler des dizaines pour chaque action, et qu’on ne puisse pas les rassembler en fonctions ou presets afin de gagner en lisibilité. Pour vous donner une idée, le simple fait de programmer un bot pourchassant mon personnage a nécessité une grosse vingtaine de blocs, et plus du double de liaisons : c’est trop, ça marche bien, mais c’est trop. Et le cœur du jeu n’est même pas encore programmé.
Et si cet aspect rend l’affaire plutôt relou mais gérable pour des personnes au moins un peu au fait des bases de la programmation et de l’algorithmie, L’atelier du jeu vidéo en devient assez obscur pour un public néophyte ou trop jeune, qui risque de rester cantonné aux types de jeux présentés dans le tutoriel, faute d’accessibilité du mode Programmation libre. De même, l’utilisation de certains concepts mathématiques (comme le sinus et cosinus) ou logiques (les portes ET) pourront rendre certains nodons, pourtant utiles voire essentiels, quasi incompréhensibles pour toute une partie du public. Et si ce n’est pas particulièrement grave – il aurait été compliqué de faire sans – , il reste dommage que ces aspects-là ne soient pas plus expliqués, ou que le jeu soit à ce point marketé pour un public jeune.
Antisocial, bientôt des années de service (en ligne)
Une difficulté d’accessibilité qui aurait pu être contrebalancée par un partage de niveaux et de connaissances, mais il s’agit malheureusement du point le plus inexplicablement raté de L’atelier du jeu vidéo. Car si la complexité de l’outil ou le dosage de la pédagogie sont des paramètres ardus à gérer et dont les failles sont facilement excusables, il n’en est rien pour la partie sociale, à laquelle Nintendo devrait être rodé, depuis le temps. Ici, point de Workshop, de système de classement, de nouveautés, de likes : rien. Rien du tout.
La seule manière de partager ses jeux se trouve en local, ou via une clé envoyée aux utilisateurs·trices. J’ai pu en trouver quelques-uns en parcourant le hashtag dédié sur Twitter, mais la méthode reste plutôt laborieuse pour une fonctionnalité absolument basique et indispensable pour la pérennité de l’application. En l’état, les personnes coupées des réseaux sociaux, ou ne pensant pas à s’en servir, se trouvent totalement mises de côté de la partie communautaire du titre et, de ce que j’ai vu, il s’agit probablement des mêmes personnes qui auraient besoin des niveaux des autres pour progresser et/ou trouver un intérêt au programme en testant les créations de leurs pairs. En résulte une sorte d’entre-soi particulièrement restreint, ne bénéficiant ni aux créateurs·trices, ni aux personnes en quête de jeux à tester, ni au titre lui-même, qui finira probablement par être prématurément déserté en l’absence d’une communauté active et d’un système de partage efficace. Sérieux, qu’est-ce que vous faites Nintendo, mettez-moi ça vite à jour.
L’atelier du jeu vidéo a été testé sur Nintendo Switch via une clé fournie par l’éditeur.
L’atelier du jeu vidéo est probablement l’outil le plus puissant et abouti de création de niveaux de Nintendo, dans la suite la plus logique et cohérente de titres comme Super Mario Maker 2, confirmant définitivement la volonté de l’éditeur de s’imposer sur la scène créative. Si on pourra excuser ses quelques écarts sur la pédagogie et l’accessibilité de l’outil, tant ces paramètres sont difficiles à doser, ainsi que sa tendance à devenir un poil bordélique quand les nodons deviennent trop nombreux, on lui passera beaucoup moins cette absence dramatique de hub permettant de partager facilement ses créations et de tester celles des autres. Ne reste plus qu’à espérer une mise à jour majeure dans ce sens, qui ferait du titre l’incontournable du genre auquel il aspire à être.
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
follow me :
Articles similaires
Toads of the Bayou - Crapaud l'artiste !
nov. 25, 2024
Miniatures - La poésie du souvenir
nov. 20, 2024
Rogue Flight - Monte dans le robot, Zali !
nov. 16, 2024