Cumulant le poids d'être l'épisode de retour d'une franchise relativement obscure et le successeur d'Elden Ring dans le catalogue de FromSoftware, Armored Core VI devait frapper fort pour se distinguer. Sept longues années de développement ont néanmoins réussi à accoucher d'un des jeux de méchas les plus impressionnants depuis fort longtemps.
Il me semble d'ailleurs qu'il faille insister sur le fait que la nouvelle production du studio n'est pas (vraiment) un Souls-like. Vous avez poncé Elden Ring et Dark Souls III pendant 150 heures ? Formidable, et moi aussi, mais ce n'est pas pour autant que cet Armored Core VI est automatiquement fait pour vous. S'il fallait trouver des influences récentes dans le catalogue de From, elles seraient sans doute davantage du côté d'un Sekiro aux combats basés sur les barres de stun et la mobilité. Et pour cause, le directeur de ce nouveau projet n'est autre que Masaru Yamamura, qui était déjà lead designer sur Sekiro. Mais la parenté s'arrête en bonne partie ici. Armored Core VI est avant tout une sorte de boss rush infernal qui ne ressemble à rien d'autre, et qui va vous demander d'acquérir des réflexes bien spécifiques à sa proposition. Dont, méchas modulables obligent, un passage régulier au garage pour se bricoler la machine de mort parfaite.
C'est que le début, hardcore, hardcore
Si Armored Core VI partage quelque chose de l'ADN de son éditeur, c'est dans sa capacité presque caricaturale à vous coller un ou deux murs de difficultés proprement atroces à intervalles réguliers pour vérifier que vous avez bien assimilé les mécaniques avancées du gameplay. Gyobu dans Sekiro, les Gargouilles dans Dark Souls, Magrit dans Elden Ring : des murs quasi infranchissables sans avoir compris les mécaniques centrales du système de combat. Dans Armored Core VI, ce skill check arrive à la fin du premier chapitre sur les six que compte l'aventure et porte le doux nom de Balteus. Un gros mécha inondant l'écran de missiles et de flammes, qui vient vous informer de manière très brutale qu'arriver à voir un jour le générique de fin sera tout sauf une partie de plaisir.
Terrasser Balteus m'aura pris pas loin de cinq heures. Cinq heures d'humilité/humiliation, et une bonne cinquantaine d'essais. De manière assez claire, Armored Core VI essaye d'être un des FromSoftware les plus impitoyables jamais créés. Les possibilités de leveling ou de contournement sont ici quasi inaccessibles : chaque chapitre ne vous livre que quelques missions courtes et linéaires et quelques nouvelles pièces à acheter pour customiser votre robot. Vous devez impérativement faire avec le peu qu'on vous donne. Et Balteus est là pour porter sans délicatesse le message suivant : soit vous comprenez très précisément ce qu'on attend de vous, soit vous n'avancerez jamais d'un pouce dans l'aventure. C'est le mur le plus sec jamais proposé par un jeu du genre, et c'est, forcément, une décision de game design clivante.
Vous pourrez avoir des dizaines de raisons de ne pas adhérer à cette idée d'un boss rush régulièrement entravé par un obstacle à la difficulté absurde. Pas assez de dextérité, pas le temps de refaire cinquante fois la même chose, pas d'affection particulière pour le design de combats se résumant à de gros tas de boulons se fonçant dessus dans des espaces généralement assez vides et mornes… Il faut vraiment avoir un certain état d'esprit pour s'acharner là-dedans. Mais c'est la croix que j'ai choisi de porter, et j'ai, donc, fini par comprendre ce qu'on attendait de moi : de la mobilité, de la réactivité, et un bon coup de clé à molette.
Dommage, Garage
Ce qu'Armored Core VI veut de vous, déjà, c'est que vous bougiez. Tout le temps, en continu, et en trois dimensions. Vous envoler quand on vous attaque avec des épées en feu au sol, plonger quand des aéroplanes saturent le ciel de projectiles, faire un panic dash derrière un mur quand on vous balance un laser imparable, foncer vers le point faible d'une armure ennemie quelques centièmes de secondes après qu'elle ait balancé son attaque la plus puissante, etc. Le jeu sanctionne tout moment d'immobilité par un game over quasi instantané. Il a la bonté de le faire de manière relativement équilibrée : les performances et la fluidité du logiciel sont impeccables, même sur une config modeste, et chaque mission regorge de points de respawm. Une tentative ratée contre un boss peut ainsi être rejouée de manière quasi immédiate, et c'est heureux.
Mais davantage encore que d'examiner votre compétence purement martiale, il me semble qu'Armored Core VI veut vous transformer en garagiste d'élite pour mécha de guerre. La plupart des ennemis secondaires du jeu peuvent être tués un peu n'importe comment avec n'importe quelle arme, en insistant un peu. Quasiment tous les boss, eux, vous puniront assez fort et assez vite de ne pas avoir compris tout l'intérêt de changer vos outils offensifs au gré des circonstances. Votre mécha possède ainsi quatre emplacements d'armes : ses deux mains et ses deux épaules. Votre arsenal possible se divise entre des armes de corps à corps, des lasers, des armes antiboucliers, des missiles, etc., à chaque fois avec des munitions et des capacités de recharge claires. En gros : pointez-vous avec des mitrailleuses classiques face à un ennemi protégé par un bouclier qu'il faut court-circuiter à intervalle régulier, et vous n'entamerez jamais sa barre de vie d'un iota. À l'inverse, saturer une forteresse bourrée de points de vie et de blindage de décharges électriques vous donnera l'impression d'être un bébé en train de taper la tour Eiffel avec un bâton. Sachant que si vous arrivez à court de munitions… autant recharger votre partie immédiatement !
Il faut ajouter à cela la possibilité de modifier vos boosters, vos puces d'assistance, de changer le poids, la résistance ou l'équilibre de votre machine. Plus on progresse dans les cinq chapitres du jeu et plus cet équilibrage devient la clé du succès. Et là encore, si tout est assez instinctif, et si le sentiment de récompense quand on a trouvé "LA" combinaison qui fonctionne pour tomber un boss trois fois plus vite est bel et bien présent, l'approche de FromSoftware est clivante. Ne comptez pas vraiment sur une difficulté modulable ou un mode arcade ni sur des configurations pré-établies de méchas tout faits : c'est entièrement à vous de tester différentes manières de composer votre engin et de le tester sur le champ de bataille à coup d'essais et erreurs. On aurait d'ailleurs, à cet égard, aimé qu'il fût possible de retourner au magasin aux différents checkpoints des missions et pas uniquement entre ces dernières. Pour peu qu'il vous manque une arme ou une pièce d'armure indispensable dans votre inventaire pour triompher d'un adversaire coriace, vous êtes bons pour recommencer l'ensemble de la mission depuis le début. Il faut parfois ainsi refaire une mission en entier juste pour le plaisir de revenir avec un canon ou un missile plus adapté à une situation inattendue. Il me semble également que certaines pièces avancées auraient pu être proposées à un prix plus modeste, ce qui m'aurait évité de devoir passer du temps à refaire quelques missions pour farmer un nouveau torse ou un nouveau moteur pour mon gros robot.
Un soleil jaune se lève, beaucoup d'huile a dû couler cette nuit
Armored Core VI est, sans conteste, un pari réussi de la part de FromSoftware. Ramenant de la casse une franchise abandonnée depuis plus de dix ans, le studio a réussi à y intégrer une partie du cahier des charges qui a fait son succès tout en livrant une proposition radicale et originale. Tellement radicale, d'ailleurs, que je pense qu'elle ne pourra jamais devenir aussi populaire et admirée que l'ombre de l'ombre d'Elden Ring, malgré le marketing agressif de Bandai Namco cherchant à vous persuader du contraire. Cela n'a aucune importance : un jeu a, à mon sens, le droit d'être extrêmement clivant pour peu qu'il livre une vision aboutie et fonctionnelle.
Et c'est sans doute le petit miracle accompli ici. Comme je l'ai signalé, le jeu est d'une fluidité sans faille, un miracle pour un studio habitué aux portages PC calamiteux. Mais tout le reste est à l'avenant : le scénario est quasi absent, mais livre une ambiance immersive très plaisante, les menus sont exemplaires de clarté, le level design est simple, mais parfaitement fonctionnel, la bande-son de Kota Hoshino est au top. Dans une année ou même des jeux aussi formidables qu'un Baldur's Gate 3 sont sortis farcis de bugs et de plantages divers, il faut souligner que même si son écrin est couvert de pointes empoisonnées, Armored Core VI est un joyau de finition et d'équilibrage.
Il me faut quand même insister sur un dernier point : même si vous adhérez parfaitement à tout ce que j'ai décrit plus haut, il se peut qu'Armored Core VI ne vous embarque pas tout à fait, en partie à cause de son simple setting. Des décors d'usine à perte de vue, des affrontements désincarnés faisant se percuter des mercenaires dans des coques métalliques impersonnelles, des morts anonymes et des enjeux à la fois plus terre-à-terre et plus obscurs que dans un RPG à la Dark Souls. Et le tout dans des teintes ocre, brunes ou grises qui sentent bon la zone industrielle un dimanche de novembre pluvieux à 17h45. De plus, voir l'intégralité du contenu vous forcera à faire pas moins de trois runs complètes de la campagne principale. L'expérience de gameplay n'en est jamais parasitée, néanmoins, il faut accepter de passer une cinquantaine d'heures dans ce cimetière de carrosseries et de boulons calcinés.
Armored Core VI : Fires of Rubicon a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également sorti sur PlayStation 4 et 5 et sur les consoles Xbox.
Absolument triomphal dans ce qu'il propose, Armored Core VI est probablement le jeu du catalogue FromSoftware sorti dans le meilleur état depuis des années. C'est en partie dû à sa proposition très ramassée : pas d'open world infini ici, mais un boss rush hardcore entrecoupé de phases de bricolage de robots assez pointues et gratifiantes. En résulte un paradoxe : cette aventure restera sans doute un de mes jeux de l'année, tant elle coche les cases de ce que devrait être un actionner hardcore en matière d'audace et de finition. Mais je ne peux que vous recommander très, très fortement de l'essayer quelques heures avant de débourser 80 € pour ça : cette expérience est vraiment extrêmement abrupte. Ça passe ou ça casse.
Les + | Les - |
- Parti pris de gameplay très fort, assumé et marqué | - Le skill check de la fin du premier chapitre est excessivement brutal |
- Performances absolument exemplaires, même sur une config modeste | - Quelques mécaniques obscures ou mal expliquées |
- Quelques combats vraiment mémorables | - Il faut (parfois) farmer un peu en refaisant des missions |
- Le système de customisation du mécha, très abouti | - Devoir refaire trois fois la campagne pour voir l'intégralité des missions, une mécanique peu élégante |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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