J’ai un rapport extrêmement contrarié à la nostalgie : d’un côté, je comprends parfaitement la douce impression de se replonger dans un confortable sentiment oublié, fortement enjolivé par le tri naturel effectué par le cerveau pour n’en garder que le positif. D’un autre côté, je trouve l’essentiel des œuvres jouant uniquement sur la fibre nostalgique d’un niveau déplorable, tirant souvent la production vers le bas au profit du simple confort de l’objet-doudou. Je ne peux qu’admirer les jeux qui trouvent un équilibre entre les deux, à l’image par exemple des productions de Lizardcube, qu’il s’agisse d’une nouveauté (Streets of Rage 4) ou d’un remake (Wonder Boy). Je ne peux pas dire que j’ai le même respect pour la démarche du Alex Kidd in Miracle World DX, développé par une Jankenteam assemblée pour l’occasion par Merge Games, consistant à plaquer un skin paresseux sur un jeu de 1986 désormais injouable.
Si la franchise Alex Kidd est tombée dans l’oubli à part pour quelques joueurs quadra-quinquagénaire passéistes, ce n’est pas tout à fait pour rien. Alex Kidd in Miracle World a été acclamé à sa sortie, à mon avis à juste titre. Face à la déferlante représentée par Super Mario Bros., Sega aligna dans la deuxième moitié des années 1980 diverses propositions très originales, dont cet Alex Kidd, mascotte temporaire offrant une vraie alternative à la standardisation du jeu de plateforme. Une démarche qui aboutira à l’arrivée de Sonic, remisant Alex Kidd au rang des curiosités oubliées. Raides, inégaux, un peu bizarres, les jeux de la première mascotte de Sega manquaient déjà un peu d’accessibilité et de fun. Dès le début des années 90, Alex Kidd semblait vieux, usé et fatigué, lié à une Master System elle-même complètement dépassée par les machines de la génération 16 bits. J’étais le premier à avoir levé un sourcil à l’annonce de cet Alex Kidd in Miracle World DX, me demandant un peu à qui il se destinait et si ce jeu vieux de 35 ans était « sauvable ». Après l’avoir fini, je crains que la réponse soit : il ne se destine à personne, si ce n’est à la remise poussiéreuse d’un musée des arnaques.
Du maquillage sur une momie
Si autant d’enfants – moi le premier – ont joué à Alex Kidd, c’est parce que le jeu était inclus dans certains modèles de Master System à partir de 1990 : il a donc été le seul jeu de nombreux possesseurs de la console pendant des semaines voire des mois, le temps d’économiser pour en avoir un deuxième. Et Alex Kidd in Miracle World avait la particularité d’être parfaitement calibré pour cette configuration : vous pouviez passer de longues et nombreuses soirées dessus avec la garantie de ne jamais le terminer. Ce qui n’était pas nécessairement un problème : dans la seconde moitié des années 80, la plupart des jeux de ce type étaient de toute façon horriblement difficiles.
Avec son level design incitant en permanence à l’erreur, ses boss infligeant des défaites aléatoires à coup de pierre-feuille-ciseaux, ses hitbox injustes et la grande rigidité de son personnage principal, Alex Kidd in Miracle World était un jeu particulièrement frustrant et difficile à boucler en 1986, à l’opposé du gameplay toujours très solide de Super Mario Bros., plus simple, mais plus carré. Alex Kidd pouvait faire davantage de choses que son rival de chez Nintendo : donner des coups de poings, piloter des avions ou des bateaux, acheter des objets, etc. Mais aucune de ces actions n’était pleinement satisfaisante. Le jeu était déjà un peu daté à sa sortie et, malgré cinq suites (parfois bizarres), la franchise ne connaîtra pas le succès escompté et sera donc logiquement vite oubliée à la seconde où Sonic déboulera sur le marché.
Il aurait donc fallu, pour redorer un peu le blason de la franchise, proposer un peu plus qu’un peu de poudre de perlimpinpin sur le cadavre fossilisé du pauvre Alex Kidd. C’est hélas tout ce que ce remake a à offrir : l’apposition, pour quasi seule modification, d’un skin graphique sur un jeu de 1986, presque sans autre forme de modification. Autant vous le dire tout de suite, c’est un peu léger au regard des standards actuels en termes de platformers.
Même pas le minimum syndical
Alex Kidd in Miracle World n’est pas un jeu rare dont la longue absence aurait absolument justifié ce remake : il est ressorti sur Wii, Wii U et Switch dans la collection Sega Ages, sur les échoppes virtuelles de Sony et Microsoft depuis 2012, dans diverses compilations de vieux jeux et même dans des versions PC plus ou moins pirates. Quelle que soit votre machine préférée, vous pouvez sans doute vous procurer assez facilement le jeu original pour 2 à 6 euros selon les périodes de solde. Oser vendre exactement le même jeu sans la moindre amélioration sinon purement cosmétique pour 20€ (édition numérique) voire trois fois plus (édition collector), voilà une définition de l’audace à mettre sur une copie de philo pour récolter un 19/20.
Loin de moi l’idée d’accabler les graphistes et autres musiciens qui ont essayé de donner un aspect cohérent et regardable à Alex Kidd in Miracle World DX : ils ont fait leur travail et esthétiquement hissé le jeu Master System au niveau d’un platformer quelconque, mignon sans plus, comme il en sort un ou deux par semaine sur Steam. Mais le fond de l’affaire reste un habit neuf posé sur un squelette pour soutirer un peu d’argent facile à des quadragénaires en manque de doudous. C’est : triste.
Soyons tout à fait honnête : afin de rendre l’expérience moins inutilement frustrante, Merge Games a quand même ajouté quelques options de confort, à commencer par la possibilité pour Alex Kidd d’emporter avec lui non pas un mais deux objets. Ce qui enlève le côté le plus idiot du jeu d’origine consistant à choisir entre un bonus d’attaque et un bonus rendant jouable les boss en pierre-feuille-ciseaux. Autre amélioration : la possibilité d’activer un système de vies infinies, option réduisant la durée de vie du jeu de plusieurs heures à quelques dizaines de minutes, mais permettant au moins de se familiariser avec son level design ultra archaïque sans recommencer en boucle depuis le premier niveau. Enfin, à l’instar de beaucoup d’autres remakes du genre (à commencer par celui de The Secret of Monkey Island), il est évidemment possible de switcher entre l’ancienne et la nouvelle version du jeu. Un comparatif cruel : avec son absence de décors et ses couleurs criardes, l’Alex Kidd in Miracle World original était souvent plus jouable que sa version DX.
Alex Kidd in Miracle World DX a été testé sur PC, via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur Nintendo Switch, PS4, PS5, Xbox One et Xbox Series.
Alex Kidd in Miracle World DX est un remake consternant, le niveau zéro du portage paresseux destiné à revendre plus cher un jeu à peine retouché à des nostalgiques mal informés. Davantage qu’un problème lié aux développeurs du jeu, qui ont rendu une copie honnête bien que manquant de génie, ce sont les têtes pensantes cyniques derrière le projet qui me semblent être en cause. Je sais que beaucoup de « vieux » gamers aimeraient qu’un jour Alex Kidd fasse un vrai retour avec un nouvel épisode, un gameplay modernisé et une expérience adaptée aux standards contemporains. Ce jeu fastidieux et frustrant éloigne un peu plus la possibilité que ce nouvel épisode arrive un jour, tant il me semble être un nouveau clou dans le cercueil d’une licence officiellement ringarde depuis trente ans.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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