Cette fois-ci dans Partie Rapide, Shift vous parle de Sayonara Wild Hearts, un jeu d’action coloré qui est en fait un album pop (ou l’inverse) et Zali vous parle du 4X/Tower Defense Empire in Ruins, qui entame son accès anticipé.
Sayonara Wild Hearts
« Woh, c’était tellement classe, je pensais pas le finir d’une traite », ai-je pensé en contemplant le générique de fin de Sayonara Wild Hearts. Pensée immédiatement suivie de : « Tiens, la lumière de ma manette est restée mauve après avoir coupé le jeu ». Et voilà qui résume parfaitement tout ce que je pense du titre musical de Simogo : c’est très mauve et immensément cool. Je vois à votre regard grognon qu’il serait de bon ton de développer, alors soit, développons.
File tout droit au club à Simogo
Sayonara Wild Hearts donc, le tout dernier bébé de Simogo et Anapurna Interactive (oui ben vous êtes sur TPP hein) est ce qu’on pourrait qualifier de high concept : une œuvre que l’on peut définir et expliquer en quelques mots seulement. Et résumer Sayonara est effectivement très simple, puisqu’il s’agit ni plus ni moins d’un album pop interactif narré par Queen Latifah. Voilà. Le souci de ce genre d’œuvre au parti pris radical est qu’il ne se base souvent que sur une seule bonne idée (de gameplay, d’esthétique ou de scénario) et que ses créateurs se retrouvent fatalement à naviguer entre différents écueils, le principal étant un concept trop faible pour tenir la longueur, et finit par accoucher d’une œuvre soit très chiante, soit très courte, soit qui finit par changer les règles et ainsi trahit son idée originale.
Mais voilà, quand le concept est suffisant pour tenir sur la durée prévue par les développeurs et que les idées et mécaniques qui en découlent sont bonnes – fait relativement rare donc – on obtient Sayonara Wild Hearts et bon sang que c’est agréable d’assister à la réalisation maîtrisée d’une bonne idée sans que le projet ne se crashe en cours de route. Alors certes, le titre n’est pas toujours parfait, les associations entre la musique et les niveaux sont parfois exécutées avec la subtilité d’un CRS dans une manif (comme cette séquence remplie de champignons pour illustrer un morceau de dub, MOUAIS), ou quelques défauts inhérents au concept (les musiques plus calmes donnent des niveaux un peu moins palpitants), mais la tenue globale du jeu-album est si exemplaire que l’on passe facilement outre ces quelques égarements.
Pour aller taper le jerk sur de la musique Pop
Un autre écueil de taille pour ce genre de titre, celui de prendre le risque de laisser du monde de côté en étant si accroché à son concept. Sayonara Wilds Hearts est à mon sens un de ces jeux qui ne peuvent pas laisser de marbre : on aimera ou détestera cette pop sautillante composée (à l’exception des extraits de Clair de Lune de Debussy) par Daniel Olsén et Jonathan Eng – et sur laquelle Linnea Olsson pose sa fantastique voix durant les combats de boss -, ces niveaux et décors extrêmement colorés parcourus à toute allure et ce gameplay pour le moins minimaliste – qui ne consiste globalement qu’à ramasser quelques cœurs et éviter des obstacles. Cela fait certes quelques conditions pour entrer dedans, mais si ces aspects ne vous débectent pas – voire sont complètement votre came – il y a de grandes chances pour que, comme moi, vous ne ressortiez de Sayonara Wild Hearts qu’une fois le final atteint, un grand sourire aux lèvres.
Le dernier obstacle – discutable cela dit – à la réussite de ce genre de titre réside dans la rejouabilité. Honnêtement, 1h30 de très bon jeu, même si ensuite il n’y a plus rien, ça me va très bien, mais l’on concédera que ce n’est pas un argument commercial incroyable. « Il y a un mode arcade pour faire l’album sans coupure ! Et des objectifs de points à chaque niveau pour les acharnés du scoring ! Et des énigmes qui font office de succès à tenter de résoudre en refaisant le jeu ! », répondront les développeurs – et ils auront bien raison. Pour ma part, je suis bien trop mauvais pour espérer obtenir la médaille d’or dans l’intégralité des niveaux, et bien trop stupide pour comprendre ce qu’il faut faire pour débloquer ces succès. En revanche, si je suis bien acharné sur quelque chose, c’est sur la réécoute des albums qui me plaisent, et, à quelques titres près, celui de Sayonara Wild Hearts m’a énormément plu, la mise en scène et l’esthétique du jeu l’accompagnant agréablement. Je ne décrocherai pas la médaille d’or pour mes morceaux et niveaux préférés, cela n’a pas empêché de les relancer plusieurs fois, soit pour leur chorégraphie (Fighting Hearts entre combat et danse), leur gameplay (Parallel Universes et sa mécanique très efficace de changement de monde) ou bien sûr leur musique (je suis tombé amoureux de Begin Again quand bien même le titre est à mille lieues de mes préférences musicales).
Il y aurait encore beaucoup à dire sur Sayonara Wild Hearts, sur son sujet – celui de la douleur d’une rupture amoureuse, de la colère, de la reconstruction – sur sa symbolique, ses références nombreuses, ces fichues cartes de Tarot qu’on nous ressort à toutes les sauces, mais je ne me sens pas particulièrement touché par ces thèmes, tout en ayant conscience de leur présence et de leur importance pour d’autres joueurs et joueuses et en trouvant mon compte dans d’autres aspects du titre. Et malgré tous les autres éloges que j’ai pu lui adresser, c’est probablement ça, sa plus grande force.
Empire in Ruins
Il y a cinq ans, le studio Hammer&Ravens échouait dans les très grandes largeurs à financer Empire in Ruins via Kickstarter. Il faut dire que le projet était baroque : mélanger Civilization et un Tower Defense. Pas de grand nom au générique, et un jeune studio estonien relativement envoyé au casse-pipe : tout partait assez mal pour ce projet lancé en plein creux de la vague du financement participatif au milieu de la décennie. Mais à force de courage et d’acharnement, Empire in Ruins finit par sortir une demi décennie plus tard, dans une version en accès anticipé assez avancée pour se forger une idée de l’ensemble.
Une dernière Tour avant de quitter la partie ?
Plus facile à résumer qu’à expliquer de manière limpide, l’idée centrale d’Empire in Ruins est donc de faire alterner les phases de gestion de royaume au tour par tour (pensez davantage Total War que Civilization) et les batailles sous forme de Tower Defense. Sachant que les mécanismes de défense disponibles sont étroitement liés à votre capacité à débloquer l’arbre des technologies, l’idée est d’intercaler au mieux la macro et la micro gestion.
C’est presque deux jeux en un qui viennent donc s’articuler ici, et pour le moment, ce n’est pas le jeu de gestion qui s’en sort le mieux. Avec ses mécanismes brouillons, ses tableaux à la fois austères et peu lisibles et son incapacité à être instinctive comme peut l’être un Endless Space, la partie gestion d’Empire in Ruins irrite plus qu’elle ne motive. On passera sur la laideur générale du titre, qui se fait assez vite oublier, pour se concentrer sur ce qui marche beaucoup mieux : le Tower Defense.
En effet, si Empire in Ruins ne révolutionne jamais, ni de près ni de loin, la formule du « ils arrivent vers moi, je mets des obstacles pour les en empêcher », je constate que cette partie-là au moins est pleinement maîtrisée. Voire, par moments, assez inventive. L’intégralité de la campagne n’était pas encore déblocable dans la version qui nous a été fournie, mais les mécanismes exposés étaient déjà quasiment complets, impliquant entre autres une IA répondant à vos systèmes de défense, des sapeurs, de l’aviation, et une vingtaine de structures défensives différentes, toutes upgradables et aisées à combiner entre elles. Le niveau de difficulté est assez relevé, et le challenge stratégique très présent, misant sur une approche très inventive du temps réel. Ainsi vos structures défensives doivent être construites et réparées par des unités qui doivent circuler sur la carte sans se faire tuer au passage, ce qui donne une dimension supplémentaire au gameplay, vous conduisant à penser en termes de ligne de ravitaillement. Une idée aussi simple que brillante.
Forceur arrête de forcer
Je serai bien plus réservé sur le ton et la direction artistique générale du jeu, qui pourra rapidement faire grincer des dents. Très écrite, la campagne propose une expérience littéraire des plus oubliables, pour ne pas dire que chaque ligne de dialogue, chaque interaction entre les personnages donne une furieuse envie de se taper la tête contre les murs. La faute d’abord à une syntaxe anglaise certes globalement correcte, mais dont il est évident qu’elle n’est pas très bien maîtrisée par des développeurs dont ce n’est pas la langue natale [NOTE DE LA REDACTION : un gentil mail des développeurs suite à cette critique nous informe que les textes du jeu ont bien été rédigés par un anglophone. A la prose duquel je n’ai donc, hélas, pas été sensible]. Par un propos global ensuite, qui joue sur une sorte de pastiche de Dark Fantasy assez bas de plafond, qui consiste essentiellement en faux cynisme de Twitter un jeudi soir d’avril et en protagonistes grognant toutes les deux phrases qu’ils veulent picoler. Ce n’est pas très drôle ni très inspiré. C’est surtout très, très répétitif.
Cette écriture paresseuse, qui force beaucoup ses blagues sans jamais trouver un ton adéquat, combinée à une technique assez faible (illustrations pas très engageantes, musique de cornemuses pouêt-pouêt assez gonflante, etc.), a failli me sortir d’Empire in Ruins à plusieurs reprises. Il aura fallu toute l’inventivité des combats et les quelques belles surprises que réservent les parties avancées du jeu pour me retenir. Si le jeu a encore une bonne dose de polish à recevoir avant sa sortie, essentiellement de l’équilibrage et quelques éléments encore manquants, force est de constater que cet emballage vraiment peu engageant va subsister. En l’état, je ne vous recommande donc de sauter le pas que si vous êtes prêt à passer outre, et à vous plonger dans un des jeux de stratégie les mieux ficelés de ce début d’année (la concurrence n’est certes pas délirante).
Empire in Ruins a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur
La plupart du temps, j’aurais tendance à vous déconseiller un jeu dont j’ai passé 99% des dialogues en hurlant, mais Empire in Ruins a un incontestable pouvoir d’attraction basé sur toute la maestria qu’il propose lors de ses confrontations stratégiques. Je serai curieux de voir ce qu’il donnera dans quelque temps, quand l’ensemble aura été poli et affiné.
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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